M. Jacques Desallangre attire l'attention de M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur les dysfonctionnements institutionnels et l'interprétation abusive de l'article L. 321-1 du code du travail par la chambre sociale de la Cour de cassation. L'autorité judiciaire s'est autorisée à rendre une décision contra legem. Or dans nos institutions républicaines ce n'est pas au juge de faire la loi, mais au Parlement. Les juges, quelles que soient leurs compétences, ne sauraient légitimement se substituer au pouvoir législatif chargé de par la Constitution de « déterminer les principes fondamentaux du droit du travail ». Au-delà de ces questions institutionnelles qui supposeraient en elles-mêmes un rappel à l'ordre de la part du Président de la République chargé de veiller au respect de la Constitution, les arrêts du 11 janvier 2006 ont bouleversé le droit du licenciement. La Cour de cassation s'est permis de redéfinir les critères du licenciement économique en considérant que « la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité (...) pour prévenir des difficultés économiques à venir (...), sans être subordonné à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement ». Voilà une série d'arrêts pour le moins surprenants car, d'une part, ils comportent tous en eux-mêmes leur contradiction et, d'autre part, ils s'avèrent être directement contraires à la loi. La Cour de cassation accepte en l'espèce l'application du motif économique tout en reconnaissant que l'entreprise ne connaît aucune difficulté économique. Cette interprétation contrevient directement à l'article L. 321.1 du code du travail qui dispose que le licenciement pour motif économique est celui réalisé pour des motifs consécutifs à « des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». Cette jurisprudence participe à l'offensive ultra-libérale menée contre toutes les protections juridiques dont bénéficient les salariés pour préserver leur emploi. Les doctrinaires les plus libéraux ont réussi leur entreprise de sape en corrompant les esprits de nos élites en faisant croire, même aux juges, que la norme et la règle étaient l'ennemi de l'emploi et que seul le chemin de la déréglementation assurerait au marché de l'emploi toute la souplesse dont il aurait besoin. Le juge exauce les plus secrets désirs du MEDEF et du Gouvernement, obtenant des plus hauts magistrats ce qui fut refusé par les représentants du peuple. Car l'instauration du licenciement préventif est bien, à l'origine, un projet du Gouvernement dont la représentation nationale n'avait pas voulu. Il est temps de rappeler le juge à la loi et pour ce faire nous ne disposons que d'un outil. Une loi est nécessaire : interdisant aux employeurs d'abuser arbitrairement du pouvoir de licencier en invoquant seulement l'anticipation de possibles difficultés économiques prévisibles, mais non certaines, dans un avenir non déterminé, pouvant éventuellement nuire à la compétitivité de l'entreprise. Les salariés verront sinon peser sur eux le risque constant de perdre leur emploi même lorsque les conditions économiques sont favorables. Le salarié sera tenu sous peine de licenciement d'accepter servilement le durcissement des conditions de travail et la réduction de la masse salariale pour accroître la rentabilité du capital investi. Il lui demande de présenter un projet de loi sauvegardant l'emploi, préservant les hommes et interdisant les licenciements, usurpant le qualificatif d'économique alors que l'entreprise est prospère.
L'attention de M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité a été appelée sur l'interprétation de l'article L. 321-1 du code du travail résultant des arrêts de la Cour de cassation du 11 janvier 2006, dits « arrêts Pages jaunes ». Ces arrêts, en rendant possible le licenciement économique en l'absence de difficultés économiques, consacreraient une lecture défavorable aux salariés et contraire au principe de la préservation de l'emploi fondant le droit social en cette matière. Cette analyse mérite d'être nuancée. Il est indiqué dans l'un des attendus des arrêts évoqués ci-dessus que constitue un motif économique « une réorganisation de l'entreprise (...) si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité (...) » et que « répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement ». Cette position n'est pas nouvelle puisqu'elle reprend des éléments figurant déjà dans l'arrêt dit « Vidéocolor » du 5 avril 1995 (n° 93-42.690, société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres). Ledit arrêt précisait que « lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité ». Ainsi, le fait que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise puisse constituer un motif économique légitime, a été reconnu par la Cour de cassation il y a treize ans, éclairant l'adverbe « notamment » du premier alinéa de l'article L. 321-1. De plus, si dans un tel cas de figure la survie de l'entreprise n'a pas à être menacée, il n'en demeure pas moins que l'employeur doit démontrer l'existence d'éléments permettant de prouver les difficultés à venir sur l'emploi. Du point de vue législatif, il convient de rappeler ici l'importance attachée désormais à l'anticipation des difficultés économiques à travers notamment des dispositifs tels que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences introduite par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 et qui concerne les entreprises de 300 salariés et plus, sans oublier les incitations prévues pour les entreprises ayant un effectif plus restreint de s'engager dans une démarche similaire. Ces initiatives participent d'une prise de conscience du fait que l'entreprise est en constante mutation, qu'elle doit s'adapter en permanence et que sa réussite passe par une anticipation des difficultés sans attendre qu'elles apparaissent, les mesures accompagnant cette anticipation devant par ailleurs faire l'objet d'un examen mené en concertation avec les partenaires sociaux. Les arrêts de la Cour de cassation de janvier 2006 confirment cette approche et ne se trouvent donc pas en décalage avec le législateur, bien au contraire. Enfin, une telle approche renforce le contrôle par la juridiction suprême de l'obligation incombant à l'employeur de veiller à l'adaptation à leur poste et au maintien de leur capacité à occuper un emploi, dont le manquement a récemment été considéré comme entraînant un préjudice distinct de celui résultant de la rupture du contrat de travail (Cass. Soc. 23 octobre 2007, n° 06-41.286). La Cour demeure toujours aussi exigeante dans son contrôle, garante en cela d'un équilibre indispensable et non contesté entre liberté d'entreprendre et protection de l'emploi. Aussi n'apparaît-il pas souhaitable de modifier les textes actuels.
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