M. André Wojciechowski attire l'attention de M. le secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur sur le foudroyant essor économique que connait l'Inde et qui nous oblige à nous poser des questions. Il lui demande si les pays occidentaux, dont la France, ne jouent pas trop gros en y exportant leurs bureaux et laboratoires. Si l'externalisation d'activités permet de diminuer le prix des produits et d'augmenter les profits à court terme, il lui demande quels emplois resteront à la France dans les deux prochaines décennies.
Depuis l'époque des licences Raj jusqu'à celle que nous connaissons aujourd'hui avec la progressive ouverture du marché (droit de douane industriel moyen de 10 %, libéralisation des investissements étrangers sauf exceptions), l'extraordinaire expansion internationale des groupes indiens et le poids croissant de l'Asie dans les échanges de l'Inde avec l'extérieur, la place des entreprises françaises en Inde et leur perception de ce marché ont profondément changé au cours des vingt dernières années et plus encore au cours des deux dernières années. Quelques traits peuvent résumer cette évolution : une croissance annuelle à deux chiffres des exportations françaises ; une forte poussée de l'investissement français qui devient le moteur de notre relation ; une émergence de l'Inde dans les priorités stratégiques de nos entreprises, avec de belles réussites. Cette évolution s'inscrit en outre dans le cadre du partenariat stratégique France-Inde mise en oeuvre lors de la visite présidentielle de février 2006, réaffirmé par le Président de la République à New Delhi en janvier dernier. Nos exportations sont passées de 837 MEUR en 1996 à 2,5 MdsEUR en 2006 et 3 MdsEUR en 2007 (à noter que nos échanges sont à peu près équilibrés). Les biens d'équipement professionnels représentent les 2/3 de nos ventes (équipements électriques, mécaniques, télécommunications et surtout l'aéronautique). 3 500 entreprises exportent vers l'Inde (6 300 vers la Chine), dont la moitié sont des PME. Notre part de marché est passée de 4 % dans les années quatre-vingt à 1,8 % aujourd'hui (entre 1,3 % et 2 % sur la période 1990-2005). Cette évolution structurelle est liée à la montée de l'Asie (9 % de part de marché en 1980, 26 % en 2003). La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l'Inde après l'Union européenne. La France contribue à hauteur de 2,3 % aux flux cumulés d'investissements directs étrangers en Inde. Les 400 entités juridiques créées par nos entreprises (filiales en propre ou en co-entreprises, succursales, bureaux de représentation) emploient 100 000 personnes. Ce réseau d'entreprises françaises s'étend sur un spectre très large de secteurs : énergie, environnement, matériaux de construction, équipement ferroviaire, chimie, pharmacie, automobile, technologies de l'information, agro-alimentaire, aéronautique défense, services financiers, transport maritime, hôtellerie, etc. Seuls deux domaines principaux sont encore fermés juridiquement ou de facto : la distribution de détail et la banque de détail. La présence française couvre toutes les grandes métropoles (New Delhi et les villes nouvelles qui l'entourent, Bombay et sa zone d'influence, Chennai, Bangalore, Hyderabad, Calcutta et sa région) ainsi que dans des villes moins connues du Gujarat, de l'Uttar Pradesh, du Rajasthan et même dans le Nord-Est pauvre (il convient de noter que Lafarge est un des rares investisseurs étrangers dans cette dernière région, particulièrement enclavée, instable et peu développée). Si tous les grands groupes français ont intégré dans leur stratégie des extensions de capacités ou des nouveaux investissements en Inde, surtout depuis 2005, peu de PME avaient fait ce pari (en tout une vingtaine jusqu'à il y a deux ans alors que depuis 2005/2006 le rythme des décisions d'investissement s'accélère). Désormais, toute ambition sérieuse sur le marché indien passe par une implantation sur place principalement sous forme d'investissement direct ou sous forme de franchise sans compter l'incorporation d'une activité de recherche et développement. À l'exception notable des services informatiques, les investissements français en Inde sont largement motivés par une stratégie de pénétration du marché indien, et ne s'inscrivent pas dans une logique de délocalisation. Nos grands groupes ont ainsi investi en Inde, soit parce qu'ils devaient rendre des services ou livrer des produits à proximité de leurs clients professionnels (Sodexho, SDV, CMA CGM, Suez, Veolia Environnement, Technip, Air Liquide, Lafarge, St-Gobain, Rhodia, Total, GDF, Faurecia, Carbone Lorraine, Bongrain, JC Decaux, nos banques dans leurs activités « non bancaires » ou « non détail », et désormais Accor, etc.), soit parce que le droit indien ou l'exigence de l'acheteur imposait peu ou prou la localisation en Inde d'une part locale (Safran, Thales et EADS dans l'aéronautique). Les investisseurs français ont pu acquérir des parts de marché respectables sur le marché indien grâce à leurs filiales locales : le transport et la distribution électrique (Areva, Schneider Electric, Legrand), les boissons alcoolisées (Pernod Ricard), les produits cosmétiques (L'Oréal), les sciences de la vie (Sanofi Aventis, Merial), le matériel ferroviaire (Vosslogh Cogifer, Faiveley, etc.), l'industrie automobile avec Renault (Logan) et les équipementiers automobiles, les câbles (Nexans). D'autres encore ont eu besoin de faire appel à des compétences disponibles en ingénierie, recherche et développement pour adapter leurs produits, vendre en Inde et exporter à destination de pays tiers : les télécommunications (Alcatel), la conception de semi-conducteurs (ST Micro). Dans le domaine des services informatiques, s'il est vrai que la plupart des SSII ont délocalisé une partie de leurs activités en Inde, le phénomène reste marginal : à l'exception de Cap Gemini, qui emploie 17 000 personnes en Inde grâce au rachat de l'Indien Kanbay fin 2006, les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) françaises ont beaucoup moins délocalisé que leurs concurrents. Selon une enquête réalisée par l'association indienne des société de logiciel Nasscom, les États-Unis ont délocalisé en Inde 2,8 % de leurs ressources en personnel, le Royaume-Uni 5,9 %, l'Allemagne 1 % et la France 0,2 %. Pour Atos Origin par exemple (2 300 employés en Inde), la stratégie en Inde consiste moins à délocaliser qu'à y accompagner ses grands clients (Renault par exemple). Ainsi, en intégrant une implantation ou un rachat en Inde dans leur stratégie globale, les SSII françaises maintiennent leur compétitivité, prospèrent, et gagnent des parts de marché dans le monde. Les PME ayant fait le pari de l'implantation n'ont qu'à s'en féliciter : Acteon (matériel dentaire), Alciip (plates-formes logicielles), Ateq (contrôle automobile), Cèdres Industries et Clemessy (machines spéciales pour lignes automobiles), Clestra (salles blanches), Coteba (gestion de projet dans la bâtiment), C-Tech (usinage), Episcentre (malt), Filtrauto, Pinceaux Raphaël, Roquette Frères (amidons), SCE (systèmes d'information géographique), Socomec (équipements d'installations électriques), Somfy (moteurs et solutions pour le second oeuvre du bâtiment), Tokheim (systèmes de gestion automatisée de stations services), Tourtelier (systèmes de manutention), Trèves (équipementier automobile), Trigo (contrôle qualité), Vernet (composants thermostatiques), etc. Aujourd'hui, il appartient au réseau public et privé d'appui au commerce extérieur de bien orienter un nombre croissant de PME dans leur approche du marché indien. C'est le cas lorsque le marché existe (dans le domaine des biens de consommation, l'évolution est progressive, liée à la libéralisation graduelle du marché - barrières tarifaires et non tarifaires - et à la transformation en cours des structures de distribution), lorsque leur compétitivité est avérée (elles doivent déjà posséder des références internationales sur leur niche), lorsque leurs structures le permettent (assez d'effectifs pour mettre en oeuvre un plan d'action sur deux ou trois ans) et lorsque leurs choix stratégiques sont réalistes (elles doivent éviter de viser trop de nouveaux marchés à la fois). Lorsque ces conditions sont réunies, il faut, pour espérer réussir, qu'elles acceptent de travailler dans la durée (en général deux ans d'efforts répétés sauf exception). Dans des cas de plus en plus nombreux, elles devront aussi localiser une partie de leurs activités en Inde (assemblage final, ingénierie, etc.) Pour les accompagner, il a paru souhaitable de mettre à leur disposition un programme volontariste qui s'est traduit par un plan « Cap Export Inde » déployé sur trois ans (2006-2008) qui vise à faire venir en mission, dans les conditions précitées, 500 nouvelles PME. L'événement phare aura été le Forum PME de décembre 2006 (150 PME présentes, 200 présentes ou représentées, 92 % de taux de satisfaction par rapport à l'événement, 70 % de sociétés ayant abouti six mois après à un résultat correspondant à leurs objectifs initiaux dont 12 % qui ont noué un accord). En 2007 et 2008, de multiples missions collectives et individuelles ont pris le relais ainsi que, pour les biens de consommation, des invitations d'acheteurs, une présence sur les salons et un projet de semaine commerciale française. Enfin, inciter un nombre croissant de jeunes à « se frotter » au marché indien nous a paru indispensable.
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