M. Alain Bocquet attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les graves préoccupations que suscite l'éventualité d'une modification de la législation applicable aux oeuvres d'art, qui conduirait à rendre aliénables les oeuvres qui ne seraient pas déclarées « trésors nationaux ». Sous prétexte de rendre plus dynamiques les politiques d'acquisition des musées de France, cette évolution de la réglementation constituerait en fait un grave recul, en ouvrant largement la porte au risque de mise à l'encan, sur des décisions hâtives, du patrimoine des « petits » musées en particulier. Cette dérégulation est revendiquée depuis de longues années par une partie de la profession du marché de l'art, bien que l'exemple des années 1920 où de nombreux chefs-d'oeuvre médiévaux alors déconsidérés quittèrent le territoire national pour les États-Unis, soit là pour en dévoiler les dangers. Compte tenu des possibilités qu'offre déjà la législation (mise en dépôt d'oeuvres non présentées, dans des musées où le projet scientifique et culturel est plus en accord avec le sujet ; déclassement d'oeuvres après avis d'une commission de spécialistes), il lui demande quel prolongement le Gouvernement prévoit d'apporter pour éviter tout risque d'aliénation de ce que la loi de 2002 a déclaré inaliénable et imprescriptible.
La possibilité, pour l'État et les autres collectivités propriétaires, de céder certaines pièces des collections publiques afin d'en augmenter la richesse d'ensemble est une des plus complexes qui soit, tant elle peut sembler contradictoire avec la notion même de patrimoine national. En France, le code du patrimoine dispose au premier alinéa de son article L. 415-5, issu de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, que : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». La cession de tels biens suppose donc, comme pour tous les autres éléments du domaine public - et notamment les collections qui ne sont pas déposées dans un musée de France -, une décision préalable de déclassement, prise par l'autorité compétente. Le code du patrimoine assortit en outre le statut des collections des musées de France d'une protection supplémentaire par rapport aux autres éléments du domaine public. En effet, en vertu du second alinéa du même article L. 415-5 : « Toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret ». À cet effet, le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 institue, dans son article 16, une commission scientifique nationale des collections des musées de France, principalement composée de scientifiques éminents, chargée d'émettre son avis sur les demandes de déclassement. Le cadre juridique actuel offre donc aux collections publiques un régime dont le caractère particulièrement protecteur a encore été renforcé, dans le cas des musées de France, avec l'institution en 2002 de la procédure d'avis conforme de la commission scientifique nationale. À l'étranger, les solutions retenues sont diverses puisque, par exemple, l'État espagnol peut aliéner les oeuvres de ses collections au profit d'autres collectivités publiques et qu'en Allemagne et au Royaume-Uni, la loi prévoit une protection particulière des collections publiques mais sans poser pour autant le principe de leur inaliénabilité. C'est pourquoi, dans la lettre de mission qu'il a adressée le 1er août 2007 à la ministre de la culture et de la communication, le Président de la République a demandé que soit engagée « une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections, sans compromettre naturellement le patrimoine de la nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux ». La ministre de la culture et de la communication a donc confié à Jacques Rigaud, le 16 octobre 2007, le soin de conduire une mission de concertation, de réflexion et de proposition destinée à éclairer les choix des pouvoirs publics sur ce sujet essentiel. Jacques Rigaud a auditionné de nombreuses personnalités du monde des musées, du marché de l'art, des milieux proches de la culture, aussi bien en France qu'à l'étranger. Un rapport a été remis à la ministre le 6 février 2008, rendu public à l'occasion d'une conférence de presse tenue le même jour. Il ressort de la très large consultation menée qu'au-delà de la diversité des législations, le principe d'inaliénabilité des collections publiques est de fait mis en oeuvre dans tous les pays européens, ainsi qu'aux États-Unis dans les musées fédéraux. Le rapport souligne par ailleurs la difficulté d'apprécier celles des oeuvres qui mériteraient d'être remises en circulation au lieu d'être conservées dans les collections publiques, compte tenu du caractère contingent de ce type de jugement, largement tributaire de l'état de la recherche historique et du goût dominant à un moment donné. Nombreux sont les artistes présents dans les collections publiques dont l'oeuvre a été réévaluée plusieurs décennies après leurs décès. Enfin, le rapport de Jacques Rigaud souligne que l'engagement des musées de France dans une politique d'aliénation des oeuvres pour permettre l'acquisition d'autres collections risquerait de compromettre la poursuite de leur politique de diversification des ressources, en démobilisant les entreprises mécènes soucieuses de la pérennité des actions de soutien auxquelles elles se sont associées. Elle pourrait également dissuader les donateurs, dont la générosité constitue une des sources majeures d'enrichissement des collections nationales. La ministre de la culture et de la communication a donc décidé de ne remettre en cause, ni le principe d'inaliénabilité des collections publiques, ni les strictes modalités d'encadrement des possibilités de déclassement, prévues par la loi du 4 janvier 2002. En revanche, conformément aux préconisations de Jacques Rigaud, une réflexion est en cours sur la composition, les modalités de fonctionnement et le champ de compétence de la commission scientifique nationale des collections des musées de France. Il est ainsi envisagé que la commission puisse désormais être saisie pour émettre un avis en cas de projet d'aliénation d'un bien appartenant aux collections des Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), organismes non concernés par le principe d'inaliénabilité car constitués sous forme d'associations à but non lucratif. Il est en effet souhaitable que le traitement des oeuvres contemporaines, acquises par les FRAC, puisse bénéficier de la même qualité d'expertise et de protection que les oeuvres plus anciennes. Il est également projeté de diversifier la composition de la Commission, afin notamment de ménager une place aux représentants de la nation ou des collectivités territoriales, et de la faire bénéficier dans une plus large mesure des compétences de personnalités particulièrement qualifiées.
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