M. Jean Lassalle interroge Mme la ministre de la culture et de la communication sur l'inaliénabilité des collections détenues par les musées français. Dans la lettre de mission en date du 1er aout 2007 remise à Mme la ministre conjointement par le Président de la République et le Premier ministre, il lui a été demandé « d'engager une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leur collection sans compromettre naturellement le patrimoine de la nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux ». Sachant que la majorité des conservateurs se sont élevés contre cette idée, notamment par l'intermédiaire de M. Loyrette, président-directeur du Louvre, et Mme Francine Mariani-Ducray à la direction des musées de France, sachant que les risques de dérives mercantiles sont à craindre dans la perspective d'une aliénabilité des oeuvres, sachant que le mythe des cavernes d'Ali Baba enfouies sous nos musées a été démenti par les conservateurs eux-mêmes à plusieurs reprises, il est possible de se questionner sur la nécessité d'un tel projet. Par ailleurs, cette politique de commercialisation des collections, déjà pratiquée aux États-Unis, a prouvé sa dangerosité en rendant possibles les erreurs d'évaluation des oeuvres, qui ont entraîné des drames financiers pour les musées concernés. Il lui demande en conséquence de prendre en compte ces éléments afin de procéder en concertation avec les acteurs concernés à une réelle évaluation de cette problématique.
La possibilité, pour l'État et les autres collectivités propriétaires, de céder certaines pièces des collections publiques afin d'en augmenter la richesse d'ensemble est une des plus complexes qui soit, tant elle peut sembler contradictoire avec la notion même de patrimoine national. En France, le code du patrimoine dispose au premier alinéa de son article L. 415-5, issu de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, que : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». La cession de tels biens suppose donc, comme pour tous les autres éléments du domaine public - et notamment les collections qui ne sont pas déposées dans un musée de France -, une décision préalable de déclassement, prise par l'autorité compétente. Le code du patrimoine assortit en outre le statut des collections des musées de France d'une protection supplémentaire par rapport aux autres éléments du domaine public. En effet, en vertu du second alinéa du même article L. 415-5 : « Toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret ». À cet effet, le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 institue, dans son article 16, une commission scientifique nationale des collections des musées de France, principalement composée de scientifiques éminents, chargée d'émettre son avis sur les demandes de déclassement. Le cadre juridique actuel offre donc aux collections publiques un régime dont le caractère particulièrement protecteur a encore été renforcé, dans le cas des musées de France, avec l'institution en 2002 de la procédure d'avis conforme de la commission scientifique nationale. À l'étranger, les solutions retenues sont diverses puisque, par exemple, l'État espagnol peut aliéner les oeuvres de ses collections au profit d'autres collectivités publiques et qu'en Allemagne et au Royaume-Uni, la loi prévoit une protection particulière des collections publiques mais sans poser pour autant le principe de leur inaliénabilité. C'est pourquoi, dans la lettre de mission qu'il a adressée le 1er août 2007 à la ministre de la culture et de la communication, le Président de la République a demandé que soit engagée « une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections, sans compromettre naturellement le patrimoine de la nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux ». La ministre de la culture et de la communication a donc confié à Jacques Rigaud, le 16 octobre 2007, le soin de conduire une mission de concertation, de réflexion et de proposition destinée à éclairer les choix des pouvoirs publics sur ce sujet essentiel. Jacques Rigaud a auditionné de nombreuses personnalités du monde des musées, du marché de l'art, des milieux proches de la culture, aussi bien en France qu'à l'étranger. Un rapport a été remis à la ministre le 6 février 2008, rendu public à l'occasion d'une conférence de presse tenue le même jour. Il ressort de la très large consultation menée qu'au-delà de la diversité des législations, le principe d'inaliénabilité des collections publiques est de fait mis en oeuvre dans tous les pays européens, ainsi qu'aux États-Unis dans les musées fédéraux. Le rapport souligne par ailleurs la difficulté d'apprécier celles des oeuvres qui mériteraient d'être remises en circulation au lieu d'être conservées dans les collections publiques, compte tenu du caractère contingent de ce type de jugement, largement tributaire de l'état de la recherche historique et du goût dominant à un moment donné. Nombreux sont les artistes présents dans les collections publiques dont l'oeuvre a été réévaluée plusieurs décennies après leurs décès. Enfin, le rapport de Jacques Rigaud souligne que l'engagement des musées de France dans une politique d'aliénation des oeuvres pour permettre l'acquisition d'autres collections risquerait de compromettre la poursuite de leur politique de diversification des ressources, en démobilisant les entreprises mécènes soucieuses de la pérennité des actions de soutien auxquelles elles se sont associées. Elle pourrait également dissuader les donateurs, dont la générosité constitue une des sources majeures d'enrichissement des collections nationales. La ministre de la culture et de la communication a donc décidé de ne remettre en cause, ni le principe d'inaliénabilité des collections publiques, ni les strictes modalités d'encadrement des possibilités de déclassement, prévues par la loi du 4 janvier 2002. En revanche, conformément aux préconisations de Jacques Rigaud, une réflexion est en cours sur la composition, les modalités de fonctionnement et le champ de compétence de la commission scientifique nationale des collections des musées de France. Il est ainsi envisagé que la commission puisse désormais être saisie pour émettre un avis en cas de projet d'aliénation d'un bien appartenant aux collections des Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), organismes non concernés par le principe d'inaliénabilité car constitués sous forme d'associations à but non lucratif. Il est en effet souhaitable que le traitement des oeuvres contemporaines, acquises par les FRAC, puisse bénéficier de la même qualité d'expertise et de protection que les oeuvres plus anciennes. Il est également projeté de diversifier la composition de la Commission, afin notamment de ménager une place aux représentants de la nation ou des collectivités territoriales, et de la faire bénéficier dans une plus large mesure des compétences de personnalités particulièrement qualifiées.
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