M. Francis Saint-Léger attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les conclusions de la mission Olivennes. Il désire connaître ses intentions au sujet de ces préconisations.
Plus d'un Français sur deux a aujourd'hui accès à l'internet haut débit. Bien plus qu'un phénomène de société, c'est un véritable tournant, qui constitue, pour la diffusion de la culture, une chance extraordinaire, sans précédent depuis l'invention de l'imprimerie. Mais jamais, dans le même temps, les conditions de création de ces oeuvres n'ont été aussi menacées. En 2006, un milliard de fichiers piratés d'oeuvres musicales et audiovisuelles ont été échangés en France. Le marché du disque est le plus atteint, puisqu'il a enregistré une baisse de près de 50 % en volume et en valeur au cours des cinq dernières années, ce qui s'est traduit par un fort impact aussi bien sur l'emploi - avec une baisse de 30 % des effectifs des maisons de production -, que sur la création et le renouveau artistique avec la résiliation de 28 % des contrats d'artistes par les maisons de production et une baisse de 40 % du nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année. Mais le cinéma, à chacune des étapes de la filière, commence à ressentir les premiers effets de ce changement des usages. Quant au livre, il ne devrait pas tarder à suivre. Par ailleurs, force est de constater que les ventes numériques dématérialisées de musique et de cinéma - qui doivent prendre le relais des ventes portant sur les supports physiques, CD ou DVD - demeurent proportionnellement plus faibles en France que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables : à peine plus de 7 % du marché de la musique, alors que ce taux a dépassé 20 % aux États-Unis. Pourtant, la richesse de l'offre légale en ligne s'est considérablement développée - par exemple, plusieurs millions de titres musicaux y sont disponibles. Et le coût de ces prestations pour le consommateur a fortement diminué, notamment grâce à l'émergence d'offres forfaitaires proposées par les fournisseurs d'accès à internet mais également pour le téléchargement à l'acte : dans le cas de la musique, par exemple, le prix moyen d'un titre téléchargé s'établissait à 0,73 euro en 2007 contre 0,81 euro en 2006, soit une baisse de 10,2 %. Le décollage de la consommation légale de films ou de musique en ligne demeure toutefois considérablement retardé par la persistance d'un piratage massif. Le Président de la République a donc régulièrement exprimé, au cours de la campagne électorale, sa ferme volonté de mettre en place un environnement politique et juridique favorable à l'essor de l'offre légale et à sa substitution rapide au piratage, afin que les créateurs et ceux qui les soutiennent puissent vivre du produit de leur travail. Cette volonté s'est traduite dans la lettre de mission qu'il a adressée le 1er août dernier, avec le Premier ministre, à la ministre de la culture et de la communication, à qui il a assigné pour tâche de mettre en place un plan de « protection et de promotion des industries culturelles couvertes par les droits d'auteur et droits voisins », qui s'appuiera notamment sur deux volets : « la montée en puissance d'une offre diversifiée, bon marché et simple d'utilisation » et « la prévention et la répression de la piraterie numérique ». En effet, la lutte contre l'offre illégale et l'amélioration de l'attractivité de l'offre légale de films ou de musique (prix, richesse des oeuvres proposées, délai de mise à disposition, souplesse d'utilisation) sont indissociablement liées. La méthode suivie par le Gouvernement pour mener à bien ce chantier tire d'abord les leçons du passé. Elle repose en effet sur l'idée que les solutions mises en oeuvre doivent faire l'objet d'un très large consensus préalable entre les acteurs de la culture et d'internet. La ministre de la culture et de la communication et la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi ont donc, le 5 septembre dernier, chargé Denis Olivennes, alors président-directeur général de la Fnac, d'une mission de réflexion et de concertation destinée à favoriser la conclusion d'un accord entre les professionnels du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique et les fournisseurs d'accès à internet. Le Gouvernement souhaite ensuite tirer parti d'un contexte favorable, dans lequel les intérêts de tous les acteurs convergent. En effet, les fournisseurs d'accès sont aujourd'hui désireux de commercialiser légalement, à travers leurs offres tarifaires les plus récentes, des oeuvres culturelles ; ils sont donc soucieux de dissuader le téléchargement illicite. Pour leur part, les consommateurs souhaitent pouvoir télécharger plus rapidement les films, alors que la chronologie des médias française impose un délai de sept mois et demi après la sortie en salle, et souhaitent également pouvoir lire la musique qu'ils téléchargent sur tous les appareils, ce qu'empêchent certaines « mesures techniques de protection » (MTP, encore appelées DRMS - Digital Rights Management System) implantées sur les oeuvres. De leur côté, les créateurs et les industries culturelles ont compris qu'ils doivent améliorer la richesse, la souplesse d'utilisation et le prix de l'offre légale d'oeuvres sur internet. La mission conduite par Denis Olivennnes a mené plus d'une centaine d'auditions qui lui ont permis d'entendre les représentants du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des internautes et des diffuseurs de contenus (fournisseurs d'accès à internet, plates-formes de téléchargement, sites de partage comme Youtube ou Dailymotion, etc.). Tous étaient représentés à un très haut niveau. Ces auditions ont été suivies par un cycle de négociations qui s'est voulu très rapide, compte tenu de la situation alarmante des industries culturelles. Le résultat est un accord signé à l'Élysée le 23 novembre 2007 en présence du Président de la République et des trois ministres les plus directement concernés - justice, économie, finances et industrie, culture et communication - par 46 syndicats ou entreprises du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique et d'internet. Cet accord est historique, car c'est la première fois que le monde du cinéma et celui de la musique se mettent d'accord sur les solutions à mettre en oeuvre pour lutter contre le piratage et pour améliorer l'offre légale, mais aussi la première fois qu'un consensus est dégagé entre les industries culturelles et les fournisseurs d'accès à internet. Cet accord est très équilibré car toutes les parties ont fait un effort et les internautes y trouveront leur compte aussi bien que les créateurs et les acteurs économiques du cinéma, de la musique et de l'internet. Il comporte deux volets complémentaires et indissociables. En premier lieu, l'offre légale sera plus facilement accessible, plus riche, plus souple. Ainsi, pour le cinéma, l'accord aboutit à un raccourcissement des délais de mise à disposition des films pour les internautes, en deux temps. D'abord, dès que le mécanisme de lutte contre le piratage sera en place, le délai de la VOD sera ramené au même niveau que celui du DVD, c'est à dire six mois après la sortie en salles. Ensuite, des discussions s'engageront pour aboutir, dans un délai maximal d'un an, à un raccourcissement de l'ensemble des « fenêtres » de la chronologie des médias. Dans le domaine de la musique, les maisons de disque se sont engagées à retirer les « mesures techniques de protection » des productions françaises de leurs catalogues. Cela signifie qu'une musique achetée légalement sur internet pourra être lue plus facilement sur tous les types d'appareils, par exemple sur tous les baladeurs. En second lieu, la lutte contre le piratage ordinaire changera de logique : elle ne passera plus nécessairement par le juge et revêtira un caractère essentiellement préventif et pédagogique - ce que le droit actuel ne permet pas. En effet, jusqu'à présent, quand les sociétés qui défendent les intérêts des créateurs repèrent un ordinateur pirate, la seule possibilité qui leur est ouverte consiste à saisir le juge en se fondant notamment sur le classique délit de contrefaçon. Mais la procédure judiciaire et les sanctions encourues - jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende - apparaissent disproportionnées face au piratage ordinaire. L'accord prévoit donc la mise en place d'une autorité administrative indépendante, qui sera chargée de prévenir et, en cas de multiples réitérations, de sanctionner le piratage des films et de la musique sur internet. Cette autorité serait saisie par les créateurs dont les oeuvres auront été piratées. Elle commencerait par adresser aux pirates des messages d'avertissement personnalisés, sous forme de courrier électronique puis de lettre recommandée. Cette dimension pédagogique est essentielle. En effet, une toute récente étude, réalisée auprès des internautes en Grande-Bretagne - pays qui envisage la mise en place d'un dispositif comparable à celui de la France - et publiée en mars 2008 dans la revue Entertainment Mediaresearch, fait ressortir que 70 % des internautes cesseraient de télécharger à réception d'un premier message d'avertissement et 90 % à réception du second. Ces estimations sont cohérentes avec les taux constatés aux États-Unis, sur les réseaux numériques où une solution du même ordre a déjà été mise en oeuvre à la suite d'accords passés entre ayants droit et fournisseurs d'accès internet. Un bilan récemment dressé a en effet permis de constater que 70 % d'internautes renoncent au téléchargement dès réception du premier message d'avertissement, 85 à 90 % à réception du deuxième et 97 % à réception du troisième avertissement qui peut prendre la forme - au choix du fournisseur d'accès - d'une lettre recommandée ou d'un appel téléphonique. La mise en place de ce système, qui fait consensus parmi les acteurs des industries culturelles et d'internet, suppose bien entendu l'intervention du Parlement. Un projet de loi, soumis pour avis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés devrait être présenté prochainement en Conseil des ministres. Avec ses deux volets indissociables - lutte contre le piratage et développement d'une offre légale attractive - les accords de l'Élysée constituent une solution à la fois réaliste et équilibrée, qui ménage les intérêts des consommateurs et ceux des industries culturelles.
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