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Patrick Roy
Question N° 12200 au Ministère de la Culture


Question soumise le 4 décembre 2007

M. Patrick Roy attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur la propriété intellectuelle, qui fait partie de notre patrimoine, et sur la protection des droits d'auteur. La préservation de la création et le droit à une rémunération légitime de chaque auteur - qu'il soit musicien, cinéaste, graphiste, producteur ou éditeur - restent une priorité. Or le piratage numérique saborde cette création. En France, on pirate deux fois plus qu'en Allemagne et cinq fois plus qu'aux États-Unis ! Peut-être payons-nous le fait que notre pays est l'un des mieux équipés en haut débit. Après l'industrie musicale, pour laquelle des mesures d'urgence s'imposent, le monde du cinéma en subit à son tour les conséquences. Le Parlement a débattu des droits d'auteur il y a moins de deux ans, mais il a bien fallu y revenir. Il a donc confié à M. Olivennes une mission qui a débouché sur un accord, signé de l'ensemble des acteurs d'Internet et des professionnels de la culture - ce qui est déjà remarquable. L'accord reconnaît Internet comme une nouvelle frontière et un nouveau territoire à conquérir, mais précise les règles du jeu : ce n'est pas une zone de non-droit dans laquelle on pourrait piller en toute impunité les créations d'autrui. Parce qu'il est solide et équilibré, parce que la démarche préconisée est pédagogique, avec des avertissements gradués précédant la sanction, cet accord paraît juste. D'aucuns craignent cependant qu'en mettant fin au piratage des oeuvres on ne porte atteinte à la capacité d'Internet de devenir un moyen privilégié d'accès à la culture. Il lui demande si elle est consciente de ce danger, et ce qu'elle répond à ceux qui redoutent que l'autorité administrative indépendante en charge du dispositif devienne une juridiction d'exception.

Réponse émise le 26 août 2008

Les accords de l'Élysée, signés le 23 novembre 2007 par 47 entreprises et organisations représentatives de la musique, du cinéma, de la télévision et de l'internet, ainsi que le projet « Création et internet », qui en constitue la traduction législative, loin de porter atteinte à l'accès à la culture, visent tout au contraire à créer le cadre juridique et économique indispensable pour faire des réseaux numériques un vecteur privilégié de distribution des oeuvres culturelles. En effet, au-delà de ses conséquences désastreuses sur la vente des supports physiques traditionnels (CD ou DVD), le piratage constitue à ce jour un obstacle essentiel au développement de l'offre légale de films, de programmes de télévision ou de musique en ligne et à la juste rémunération des créateurs et des industries culturelles. Ainsi, les ventes numériques dématérialisées de musique, de cinéma et de programmes audiovisuels - qui doivent prendre le relais des ventes de supports physiques - demeurent beaucoup plus faibles en France que dans les autres grands pays aux habitudes de consommation comparables : à peine plus de 7 % de notre marché de la musique, par exemple, alors que ce taux a dépassé 20 % aux États-Unis. Car le piratage, outre le tort qu'il fait au créateur et à l'entreprise qui le soutient, particulièrement lorsqu'il s'agit de petites sociétés de production indépendantes, dissuade l'investissement dans la distribution numérique en faussant les termes de la concurrence. Pourtant, la richesse de l'offre légale en ligne s'est considérablement développée au cours des dernières années. Plusieurs millions de titres musicaux, notamment, sont désormais disponibles et près de 3 500 films. Et le coût pour le consommateur a fortement diminué, notamment grâce aux offres forfaitaires proposées par les fournisseurs d'accès à internet. Les accords de l'Élysée comportent donc deux volets indissociables. Le premier vise à rendre l'offre légale d'oeuvres sur internet encore plus facilement accessible, plus riche et plus souple. Les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protections bloquantes des productions françaises de leurs catalogues. Cela signifie qu'une musique achetée légalement pourra être lue plus facilement sur tous les types d'appareils. Par ailleurs, le délai d'accès aux films par les services de « vidéo à la demande » (VOD) sera ramené au même niveau que celui du DVD, c'est-à-dire six mois après la sortie du film en salle, aussitôt que le mécanisme de prévention et de lutte contre le piratage sera effectif. Puis, des discussions s'engageront pour aboutir, dans délai d'un an, à une révision d'ensemble de la chronologie des médias. Le second volet a trait à la lutte contre le piratage, qui changera entièrement de logique : dès lors qu'il s'agit de faire comprendre au consommateur qu'internet est désormais, parallèlement à ses fonctions de communication et d'échange, un outil efficace et moderne de distribution commerciale, elle sera essentiellement préventive et l'éventuelle sanction de la méconnaissance des droits de propriété littéraire et artistique ne passera plus nécessairement par le juge. Le choix d'avoir confié cette mission à une autorité administrative indépendante - qui, contrairement au juge, pourra faire de la pédagogie au lieu de se borner à prononcer des sanctions - ne soulève par lui-même aucun obstacle constitutionnel au regard de la garantie des droits et libertés. Le Conseil constitutionnel a en effet confirmé à de multiples reprises la possibilité, pour une autorité non judiciaire, de traiter des données personnelles, dès lors que la procédure suivie est encadrée par le législateur et qu'elle vise à assurer le respect d'autres exigences constitutionnelles - ce qui est précisément le cas ici, avec la défense du droit de propriété et du droit moral des créateurs sur leurs oeuvres. En outre, la composition, les procédures et le fonctionnement de la Haute Autorité instituée par le projet de loi « Création et internet » sont à la fois assortis de multiples garanties et adaptés aux besoins de la défense des objectifs à valeur constitutionnelle qui sont poursuivis. Ainsi la Haute Autorité sera seule à pouvoir se procurer sur l'abonné en infraction, auprès des fournisseurs d'accès à internet, les données personnelles - nom et coordonnées - strictement nécessaires à l'envoi des messages d'avertissement. Cette haute autorité, qui s'interpose donc entre les protagonistes - ayants droit, fournisseurs d'accès et abonnés - pour préserver le secret de la vie privée, marque l'originalité de « l'approche française », plus protectrice que d'autres expériences étrangères où les internautes sont directement aux prises avec les titulaires de droit où les fournisseurs d'accès. De plus, au sein de la Haute Autorité, c'est une commission qui présente toutes les garanties d'impartialité et d'indépendance qui traitera les dossiers : elle sera exclusivement composée de hauts magistrats et disposera d'agents publics dont l'absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables à leur recrutement. Enfin, le projet de loi ne permet la collecte d'aucune information nouvelle sur les internautes. Toutes les données nécessaires pour mettre en oeuvre le mécanisme de prévention géré par la Haute Autorité sont celles qui sont d'ores et déjà relevées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires. Cette collecte se fait selon des modalités autorisées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Simplement, le juge ne sera plus le seul destinataire possible des constats ainsi dressés : la Haute Autorité sera également compétente pour les utiliser, afin de mettre en oeuvre le mécanisme de prévention créé par la loi. Bien entendu, toutes les décisions faisant grief prises par la Haute Autorité pourront faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le juge judiciaire. Pour l'ensemble de ces raisons le projet de loi « Création et internet » ne saurait, en aucun cas, être regardé comme aboutissant à créer une juridiction d'exception, moins respectueuse des droits des internautes que les tribunaux correctionnels qui traitent actuellement des litiges de contrefaçon. Ce texte a d'ailleurs recueilli, le 12 juin 2008, un avis favorable de la part du Conseil d'État avant d'être examiné le 18 juin par le conseil des ministres, puis déposé sur le bureau du Sénat.

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