M. Didier Quentin appelle l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur l'usage du français au sein des compagnies aériennes, notamment par le personnel navigant technique. En effet, il semble envisagé d'autoriser les compagnies aériennes à remettre aux salariés les documents de travail liés à la maintenance, à la certification et à l'utilisation d'un aéronef en seule langue anglaise. Ceci semble représenter un danger pour la sécurité aérienne en France et le personnel navigant technique a fait savoir son opposition au passage au « tout anglais » qui lui est destiné. Il convient d'ajouter que cet amendement risque d'entrer en contradiction directe avec l'article 2 de notre Constitution qui dispose dans son premier alinéa que « la langue de la République est le français », et la loi Toubon qui reconnaît le droit au salarié de recevoir toute information utile en français. C'est pourquoi il lui demande les mesures qu'il entend prendre pour préserver la sécurité aérienne.
La place de la langue française dans le monde du travail relève d'une double préoccupation pour le ministère de la culture et de la communication. Elle prend prioritairement en compte la nécessité de garantir la santé et la sécurité des salariés et des usagers, en veillant notamment à la bonne compréhension des documents mis à leur disposition. Elle vise par ailleurs à préserver la fonctionnalité du français face aux risques de « perte de domaine » que fait peser sur lui la pression de l'anglo-américain de communication internationale. Elle veille, enfin, à l'application du cadre légal et réglementaire qui encadre l'emploi de la langue française dans notre pays, en coordonnant un dispositif d'enrichissement de la langue française qui permet à celle-ci de disposer de termes adaptés aux évolutions des sciences et des techniques. Ces deux impératifs sont étroitement liés l'un à l'autre. C'est bien sur un impératif de santé et de sécurité que reposent en effet les dispositions de la loi du 4 août 1994 (loi Toubon) relative à l'emploi de la langue française : si ce texte impose l'usage du français dans le monde du travail (sans exclure d'ailleurs celui d'autres langues), c'est parce qu'une information qui serait exclusivement disponible en langue étrangère peut ne pas être (bien) comprise des salariés et occasionner chez eux une gêne, susceptible d'entraîner des dysfonctionnements, voire des accidents du travail. Dans le domaine de l'aéronautique, il est clair que l'évolution des techniques et l'internationalisation des marchés a conduit à la généralisation de l'anglais dans le fonctionnement des systèmes. Il s'agit d'un langage professionnel reposant sur un vocabulaire normé, dont la connaissance s'impose à l'ensemble des personnels - navigant comme au sol sont impliqués dans la construction, la maintenance et l'utilisation opérationnelle des aéronefs. La maîtrise de ce langage spécialisé ne préjuge d'ailleurs en rien des compétences en anglais « général » des personnels concernés. Désormais, les aéronefs renvoient eux-mêmes à une documentation électronique intégrée aux appareils : les manuels d'utilisation auxquels se réfère cette documentation électronique doivent disposer d'informations en anglais cohérentes avec celles apparaissant dans le cockpit, afin que les pilotes soient en mesure de réagir sans délai à une éventuelle anomalie. Cette concordance apparaît notamment indispensable en situation de stress, lorsque des réactions proches de l'automaticité s'imposent aux personnels concernés. Mais le recours à une traduction éventuelle constituerait au mieux une aide à la compréhension de la langue de fonctionnement des systèmes. C'est dans cet esprit qu'a été élaboré le nouvel article L. 6221-4 du code des transports présenté et adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Son rapporteur a réaffirmé qu'il n'a pas vocation à affaiblir l'attachement des acteurs français du secteur aéronautique à l'usage de la langue française dans les relations quotidiennes de travail. De larges pans de l'activité aéronautique française ne sont pas concernés par cette disposition. Il convient de souligner que la langue française est une des langues de l'aéronautique : elle est une des langues officielles de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et doit rester une de ses langues de travail. Par ailleurs, le ministre de la culture et de la communication a rappelé à son homologue en charge des transports que tout ce qui fait appel aux capacités cognitives doit passer par la langue maternelle. Si les systèmes à bord (hydrauliques, électroniques, électriques, commandes de bord...) sont bien désignés en anglais, ce qui les explique et sert à les comprendre doit également pouvoir être exprimé en français. Pour cette raison, une documentation de référence en anglais ne doit pas impliquer que la formation qui sert à transmettre le savoir nécessaire à sa compréhension et à son utilisation soit elle-même dispensée en anglais. Dans ces formations, le recours au français doit donc être possible, voire encouragé, sans même avoir à évoquer les risques de délocalisation qui pourraient être associés au recours à des sociétés de formation anglo-saxonnes. Ceci explique aussi que le français soit - et doive rester - la langue naturelle utilisée dans les cockpits entre pilotes francophones : cette pratique est de nature à garantir la sécurité des vols. Les autorités allemandes, qui avaient entrepris d'imposer l'anglais, ont dû pour cette raison revenir sur leur décision. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République a, dans son rapport, analysé ce texte au regard de la Constitution : l'utilisation de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques n'apparaît pas contraire à l'article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français. En effet, le Conseil constitutionnel a décidé en 1999 que « l'usage du français [s'imposait] aux personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ». Le Conseil d'État, pour sa part, a jugé qu'il ne se déduisait pas de l'article 2 de la Constitution une « obligation d'usage du français dans les relations de droit privé ». Quant à la loi Toubon, ce texte ne la modifie que dans un champ extrêmement restreint. En tout état de cause, le ministre de la culture et de la communication suivra avec beaucoup d'attention tous les développements relatifs à l'application de ce nouvel article du code des transports.
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