M. Dino Cinieri interroge Mme la ministre de la culture et de la communication sur ses intentions en matière de redynamisation du marché de l'art français. Il lui demande de lui faire connaître les pistes de travail dégagées à son initiative ainsi que le calendrier de leur mise en oeuvre.
Si la France demeure un grand marché de l'art, notamment grâce à la richesse de son patrimoine et de sa création, et au dynamisme de ses maisons de vente, galeristes et antiquaires, sa position au niveau mondial s'est incontestablement dégradée au cours des dernières décennies. Certes, la France occupe encore la troisième place mondiale pour les ventes d'oeuvres d'artistes vivants, mais elle se situe désormais très loin derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne, avec environ 6 % des ventes mondiales contre respectivement 50 % et 25 %. Sur le long terme, le recul du marché et des acteurs français est indéniable : le chiffre d'affaires de Drouot en 1950 équivalait à la somme de celui de Christie's et Sotheby's, qui contrôlent désormais, à elles seules, plus de 70 % du marché mondial de l'art. Cette régression relative était particulièrement nette en 2006, dernière année connue, puisque les ventes en France ont progressé de 13 % alors que le marché mondial, pour sa part, connaissait une croissance de 36 %. La place de numéro 3 de la France lui est désormais disputée par la Chine. Par ailleurs, si le marché français reste encore soutenu par l'existence d'un patrimoine national considérable, qui en constitue la matière première, force est de constater que ce « réservoir » se vide inexorablement : une ouvre est importée pour deux oeuvres exportées. Ce constat révèle différents handicaps. Certains sont identifiés de longue date et sont étrangers au marché de l'art : pression fiscale globale trop élevée, existence d'une place financière de moindre envergure que celle des autres grandes scènes du marché de l'art que sont Londres, New York, ou Hong Kong. Mais sont également en cause de nombreuses pesanteurs fiscales ou réglementaires propres au marché de l'art et le fait que les rapports entre les institutions publiques et le secteur privé - qu'il s'agisse des professionnels du marché ou des collectionneurs - persistent, dans notre pays, à être perturbés par une méfiance réciproque, héritée de l'histoire. Or, le marché de l'art constitue pour notre pays un véritable enjeu économique : près de 50 000 emplois, plus de 8 600 entreprises. Les ventes publiques s'élèvent à plus de 1,3 milliard d'euros et les ventes privées représentent probablement le quintuple. Les effets économique induits - notamment en matière de tourisme, de transport, d'assurance - sont considérables. Le marché de l'art est également l'un des lieux essentiels du rayonnement culturel international de la France. C'est aussi le support de la diffusion de la création contemporaine. L'attractivité de notre marché de l'art pose donc, à cet égard, la question de la place que notre société réserve à ses créateurs, qui doivent pouvoir vivre du produit de leur travail plutôt que de soutiens publics. L'enjeu social, aussi bien qu'artistique, est donc considérable : pour mémoire, 38 000 créateurs sont inscrits au régime de sécurité sociale des plasticiens, par comparaison, 66 000 artistes sont affiliés au régime des intermittents du spectacle. En outre, le dynamisme du marché de l'art français est l'une des clés essentielles de l'enrichissement du patrimoine national et particulièrement des collections publiques. Il faut en effet rappeler que les dons des grands collectionneurs privés constituent le moyen privilégié de l'enrichissement des collections des plus grands musées. Enfin, les lieux du marché de l'art sont également ceux de la rencontre du public avec les oeuvres. La fréquentation, sans cesse croissante, des antiquaires, salles des ventes, galeries, salons et foires - dont témoignent les 100 000 visiteurs de la Biennale des antiquaires ou les 80 000 visiteurs de la FIAC - témoigne d'une pratique culturelle dont l'essor doit être encouragé. Ainsi la Biennale d'art contemporain de Lyon, dont la dernière édition de septembre à décembre dernier a drainé plus de 145 000 visiteurs, a organisé pour la première fois une foire, appelée Docks Art Fair. Ces nombreux enjeux justifient donc que le Président de la République et le Premier ministre aient demandé à la ministre de la culture et de la communication, dans la lettre de mission qu'ils lui ont adressée le 1er août 2007, de « prendre les dispositions nécessaires pour redresser rapidement le marché de l'art français ». Une vaste mission de consultation, de réflexion et de proposition portant sur les moyens de stimuler le dynamisme du marché de l'art français et de renforcer l'attractivité de la place de Paris au regard de ses principales concurrentes a donc été lancée en octobre dernier. La responsabilité en a été confiée à Martin Bethenod, commissaire général de la Foire internationale d'art contemporain. Le rapport de la mission Bethenod, remis au début du mois de mars, constitue un document de très grande qualité, qui a donné lieu à plus d'une centaine d'auditions de professionnels, de collectionneurs ou de responsables de grandes institutions publiques, français ou étrangers. Sur cette base, un plan de renouveau du marché de l'art français a été présenté par la ministre de la culture et de la communication au conseil des ministres du 2 avril 2008, qui se développe selon deux axes principaux. Le premier axe consiste à conforter la situation des collectionneurs privés, qu'il s'agisse des particuliers ou des entreprises, et à accroître leur nombre. En effet, l'exemple des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou du Japon démontre que le développement de la demande intérieure est décisif pour le dynamisme du marché national et de ses acteurs, comme de son rayonnement international. En outre, le rôle des collectionneurs privés est essentiel dans l'accroissement des collections publiques, mais également dans le financement de la création. Et leur poids économique est très supérieur à celui des institutions publiques. Concrètement, ce premier axe se décline en deux séries de mesures. Il s'agit, en premier lieu, d'encourager les Français à devenir collectionneurs. En effet, la décision d'acheter une oeuvre d'art est souvent regardée comme un acte aventureux. Cela résulte d'un ensemble complexe de facteurs, parmi lesquels l'idée qu'acheter des oeuvres d'art est réservé à une élite intellectuelle, dotée en outre de moyens financiers très supérieurs aux siens. La peur de manifester son ignorance devant des acteurs jugés intimidants se mêle pourtant au désir de mieux connaître l'art. Or, le mouvement des collectionneurs plus modestes mais bien informés se développe, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Il doit être, de toute évidence, soutenu et encouragé par les pouvoirs publics. Aussi, afin d'inciter les particuliers à l'achat d'oeuvres d'artistes vivants auprès des professionnels du marché de l'art - mesure qui aurait également pour effet d'encourager la création - sera mis en place un dispositif de prêt sans intérêt, financé par une banque partenaire qui sera le mécène et le relais de l'opération auprès des particuliers. Ce dispositif s'inspire du programme anglais Own Art, lancé en 2004, qui a rencontré un grand succès, notamment auprès des classes moyennes, puisque 30 % des particuliers qui ont recouru au dispositif disposaient de revenus inférieurs à la moyenne et que 30 % achetaient une oeuvre d'art pour la première fois. Une seconde série de mesures vise à élargir l'intervention des petites entreprises sur le marché de l'art. En effet, depuis la loi du 23 juillet 1987, les entreprises peuvent déduire de leur résultat imposable le coût d'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, mais à condition que ces oeuvres soient exposées dans des lieux accessibles au public et aux salariés qui ne soient pas leurs bureaux. Par ailleurs, le dispositif exclut les entreprises individuelles et les professions libérales. Enfin, il est peu attractif pour les petites entreprises, car le montant de la déduction est plafonné de façon uniforme à 0,5% du chiffre d'affaires. Ces différentes conditions ou restrictions sont d'autant plus dommageables que plus de la moitié des opérations de mécénat engagées en France le sont par des PME. Elles seront donc supprimées ou assouplies : d'une part, le dispositif sera ouvert aux entreprises individuelles et aux professions libérales ; d'autre part, le plafond de la déduction sera relevé de façon très sensible pour les PME ; enfin, les entreprises seront laissées libres de diffuser ou de valoriser les oeuvres acquises par tous moyens appropriés. Au-delà, une réflexion interministérielle globale sur le mécénat d'entreprise sera engagée. Le second axe du plan de renouveau du marché de l'art français consiste à améliorer la compétitivité du marché de l'art français et de ses acteurs. En premier lieu, la réglementation applicable aux maisons de ventes sera allégée et modernisée. À cet égard, la transposition en cours de la directive « Services », qui vise à libéraliser notamment l'exercice de ce type d'activité dans l'Union européenne, offre une occasion qu'il convient de saisir. D'abord le régime d'agrément préalable des maisons de ventes, qui constitue une caractéristique française, laissera la place à une simple déclaration, sans réduire pour autant la protection des consommateurs. Surtout, à l'instar de leurs homologues européennes, les maisons françaises disposeront enfin de la possibilité d'offrir un minimum garanti aux vendeurs, de réaliser des ventes de gré à gré, ou encore de vendre des oeuvres dont elles seraient propriétaires. Il s'agit de facultés essentielles vis-à-vis de leurs clients, qui sont ouvertes aux maisons de vente dans tous les principaux pays concurrents de la France. Enfin l'extension récente de la taxe dite « sur les arts de la table » sera abrogée. En effet, les contraintes déclaratives imposées aux acteurs du marché de l'art pour un prélèvement qui représente 0,2 % du chiffre d'affaires concerné sont disproportionnées et contre-productives. En second lieu, il conviendra de tirer un meilleur parti du cadre juridique européen. D'abord, les effets du droit de suite, perçu dans notre pays à l'occasion de la vente de toute oeuvre réalisée par un artiste vivant ou décédé depuis moins de 70 ans, ont été manifestement mal évalués en 2006, lors de la transposition dans notre droit de la directive du 27 septembre 2001 qui pose son principe. Ce droit est inconnu de places comme New York, Hong Kong ou Genève. Surtout, au sein même de l'Union européenne, le Royaume-Uni a fait le choix, ouvert par la directive, de n'appliquer le droit de suite que sur les ventes d'artistes vivants. Une distorsion non négligeable s'est ainsi instituée entre la place de Paris et sa rivale la plus immédiate, celle de Londres. Réduire l'écart entre les marchés français et britannique doit donc être une priorité. En particulier, l'application du droit de suite doit se faire selon les mêmes modalités dans les deux pays. Or, la France dispose d'une opportunité en 2008 puisque la directive de 2001 ouvre la possibilité d'une évaluation de son dispositif par la Commission européenne, sous la forme d'un rapport remis au Parlement européen le 1er janvier 2009. Cette occasion doit être mise à profit par la France pour obtenir la même « dérogation » que le Royaume-Uni pour ce qui concerne les oeuvres des artistes décédés. Ensuite, la TVA à l'importation, appliquée à l'entrée de l'Union européenne et qui détourne les ventes vers des places comme New York ou Genève, est également un facteur de difficulté majeur pour les professionnels français. En effet, elle frappe au taux normal de 19,6 % - et non au taux réduit de 5,5 %, qui s'applique en règle générale - des biens pour lesquels la place de Paris dispose ou disposait d'une spécialité reconnue : la joaillerie, les manuscrits ou les meubles de moins de cent ans d'âge - donc, les meubles « arts déco » et « art nouveau ». À titre de comparaison, la TVA à l'importation applicable en Suisse, y compris aux bijoux et aux meubles de moins de cent ans, est de 8 %. Une réflexion est engagée au niveau communautaire, à l'instigation notamment de la France, sur le champ d'application de la TVÀ à taux réduit. Cette réflexion portera notamment sur le taux applicable aux biens échangés sur le marché de l'art. En outre, pour soutenir les commerces d'art en matière de développement international, le crédit d'impôt dit de « prospection commerciale » sera aménagé pour tenir compte de leurs spécificités. Par exemple, les dépenses exposées pour l'édition de catalogues destinés à présenter les oeuvres de leurs stocks, ou pour la participation à des foires et salons à l'étranger, pourraient être éligibles. Enfin, de nombreuses mesures simples et concrètes sont possibles afin de mieux connaître et sécuriser les professionnels du marché de l'art. Les outils statistiques sur le marché de l'art seront développés. Certains documents administratifs exigés des professionnels seront modernisés - et notamment dématérialisés. L'accès aux bases de données utilisées par les services de l'État dans leur lutte contre le trafic illicite de biens culturels sera ouvert aux professionnels - notamment aux antiquaires. Une initiative sera lancée auprès des autres États membres de l'Union européenne pour encourager un mouvement de rapprochement des réglementations qui ont pour objectif de faire échec à ce trafic, notamment en matière de recel. Ce plan, qui s'adresse aussi bien aux collectionneurs - particuliers et petites entreprises en particulier - qu'aux professionnels du marché de l'art - antiquaires, galeristes et maisons de vente - présente donc un caractère global. À ce titre, il est inédit et crée enfin les conditions d'un fonctionnement dynamique du marché de l'art français, dans des conditions de concurrence comparables à celles de nos voisins, de façon à tirer pleinement parti de ce support de croissance et de ses retombées tant économiques que culturelles. En permettant une meilleure « fluidité » de ce marché, depuis le simple amateur d'art aux moyens modestes jusqu'au collectionneur averti, depuis la grande entreprise qui fait du mécénat un axe de son développement et de sa communication jusqu'à l'entreprise individuelle qui souhaite soutenir un créateur, ce plan permet à notre pays de renforcer un secteur dont tous les acteurs attendent ces mesures et de lui redonner la place que son histoire, sa richesse et sa créativité justifient. Il offre aux artistes un support performant pour diffuser leurs oeuvres et vivre de leur travail ; il dynamise ainsi la scène française en complément des actions publiques du ministère de la culture et de la communication.
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