« Vanité d'être publié, de paraître international d'autant plus parfois qu'on est médiocre. Le Protocole de Londres sur les brevets, hélas signé, mérite, puisqu'il n'est pas encore ratifié, un réexamen attentif car nous ne pouvons accepter ses dispositions conduisant au tout anglais dans ce domaine stratégique. » Je ferai part de vos observations au Président du Sénat.
Allons-nous accepter que des textes en langue étrangère aient force de droit dans nos propres tribunaux, en violation d'un usage bien établi depuis François 1er et au risque d'introduire une inégalité majeure entre Français, qui ne maîtrisent pas tous l'anglais ? Sur ce point, bon nombre de juristes ont déploré la décision rendue il y a un an par le Conseil constitutionnel. Pour estimer le Protocole de Londres compatible avec notre Constitution, le Conseil a retenu une définition très étroite du droit de la propriété industrielle et de l'égalité linguistique dans notre pays. Il me paraît illogique en effet de considérer que la traduction en français des seules revendications, qui demeure obligatoire, à l'exclusion de la description suffit à assurer une compréhension satisfaisante d'un brevet – on revient à la question clé, que j'évoquais tout à l'heure. Au contraire, selon tous les spécialistes et selon le droit de la propriété intellectuelle lui-même, les revendications ont besoin d'être suffisamment explicitées par une description pour ne pas courir le risque d'être invalidé. Cela sera d'autant plus vrai à compter du 13 décembre prochain.
À tous les points de vue donc, une ratification du Protocole de Londres serait néfaste pour notre pays : elle n'apporterait pas grand-chose, mais enlèverait au contraire beaucoup à notre économie comme à notre langue.
On ne peut que partager le souhait du Président de la République de dynamiser nos entreprises, de les moderniser, de favoriser leur compétitivité et leur offre. Le Protocole de Londres va, hélas ! dans le sens exactement inverse, tout en menaçant notre identité linguistique et nationale, à laquelle le chef de l'État, gardien suprême de l'intérêt de la France, ne saurait être indifférent.
Mais le débat d'aujourd'hui ne concerne pas seulement l'avenir de notre pays – et je conclurai sur ce point. Le vote de notre assemblée traduira aussi notre vision de l'Europe et du monde.
De l'Europe tout d'abord. L'Académie française a résumé en quelques mots la problématique essentielle de notre débat : « Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que les textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire. En fait, par le biais des brevets se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n'ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l'Europe ? Économiser sur les traductions, c'est non seulement mettre en péril les langues nationales mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité. Pour ces raisons l'Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le Protocole de Londres. »
Toute la question est là : comment se fait-il que les Italiens, les Espagnols, les Autrichiens, en refusant de signer ce protocole, se montrent capables de mener le combat de la diversité linguistique et culturelle, alors que les élites françaises, Gouvernement en tête, démissionnent avant même d'avoir combattu ?