Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie, mes chers collègues, il y a quelques semaines, nous examinions le traité relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la migration illégale. Aujourd'hui, nous avons à ratifier le protocole portant amendement à la convention européenne pour la répression du terrorisme. Le groupe socialiste, radical et citoyen votera ce texte. Mais en son nom, je souhaiterais accompagner cette approbation de trois réflexions.
La première concerne le terrorisme : ce type de crime doit-il être combattu ? Oui, cent fois oui ! Nous avons tous en mémoire les images d'attentats dévastateurs et meurtriers en Afghanistan, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Colombie, en Inde, en Indonésie, en Irak, au Pakistan, en Russie, aux États-Unis. Hélas, dans notre pays, ce type de crime n'est pas nouveau. Au cours de son histoire, la France en a déjà souffert : pendant la guerre d'Algérie, elle a connu les attentats du FLN et de l'OAS et, quelques années plus tard, des bombes posées par des criminels originaires du Proche-Orient, dans les années 80, et d'Algérie, en 1995, ont tué plusieurs dizaines de personnes.
La convention anti-terroriste que l'on nous demande aujourd'hui d'amender, ne l'oublions pas, date de 1977. Simplement, s'agissant de lutte anti-terroriste comme d'autres questions, il convient d'éviter, dans l'enceinte du Parlement comme au sommet de l'État, les emballements médiatiques. Les moyens ciblés pour gagner cette bataille doivent être les meilleurs, les mieux adaptés, les plus efficaces. Ce ne sont donc pas nécessairement les plus spectaculaires et les plus immédiatement répressifs.
Ma deuxième remarque concerne la définition du crime : qu'est ce que le terrorisme ? qui est terroriste ? Ici encore, il convient d'être le plus précis possible. Dans nos sociétés, l'exigence d'efficacité a partie liée avec le respect du cadre démocratique, ce qui suppose une homogénéité de critères et donc un partenariat entre pays ayant en partage des valeurs démocratiques compatibles. Je vous rappelle que la convention européenne pour la répression du terrorisme va bien au-delà de la Communauté européenne puisqu'elle engage, avec le Conseil de l'Europe, 47 pays, dont la Russie et la Turquie. Est-on bien sûr que certains choix politiques ne seront pas qualifiés de terroristes par les autorités de ces pays ? Ou d'autres ?
Ma troisième et dernière réflexion concerne le défi lancé par les terroristes à ce qui fait notre identité : la démocratie. Est-on bien sûr que l'accumulation de lois internationales limitant le champ du politique pour élargir celui du crime, en matière d'extradition et de coopération policière internationale, ne nous fait pas entrer dans une spirale qui, à terme, si nous n'y prenons pas garde, peut dénaturer l'esprit de nos lois ? Le phénomène n'est pas seulement français mais le risque de la dérive par amalgame est réel. Le traité concernant le terrorisme que nous avons adopté il y a quelques jours, en juxtaposant dans son intitulé « terrorisme » et « immigration clandestine », mêle dangereusement les genres. Il y aurait d'autres exemples concernant le contrôle a priori des citoyens par les moyens technologiques les plus sophistiqués. La prévention, doit-elle, peut-elle se faire au prix d'une atteinte à nos libertés individuelles ou d'une intrusion contraire à notre droit à la vie privée ? Prenons garde à ne pas dériver vers une société orwellienne gérée par un Big Brother informatique.
L'objet de mon propos vise à alerter sur notre double obligation en matière de combat pour la sécurité citoyenne. Oui, nous avons le devoir de protéger les Français : tout doit être fait pour anticiper, prévenir, lutter, punir, en coopération avec d'autres pays. Mais nous devons aussi éviter de tomber dans le piège moral et politique tendu par les terroristes : privilégier les mesures les plus expéditives au nom de l'efficacité, au prix de l'oubli de nos valeurs, de leur mise entre parenthèses et de leur érosion progressive. La répression du terrorisme doit à tout moment et en toutes circonstances, y compris les plus dramatiques, respecter les principes et les règles qui sont les nôtres, celles de la démocratie. Nos amis américains qui, après le 11 septembre, disposaient d'un soutien quasiment universel, avaient-ils vraiment besoin de Guantanamo pour exorciser les attaques effrayantes du World Trade Center ?
Ces réserves ayant été exprimées et, je l'espère, prises en compte, le groupe socialiste, radical et citoyen confirme son approbation du projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)