Monsieur le président, monsieur le rapporteur, cher Patrick Balkany, mesdames et messieurs les députés, le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord qui scellait la coopération entre nos deux pays pour la création d'un musée universel à Abou Dabi.
À l'automne 2005, les autorités de l'émirat d'Abou Dabi sollicitaient l'appui de la France et du musée du Louvre pour la conception et la mise en oeuvre d'un musée national du niveau des plus grandes institutions au monde. En attendant que cet objectif de longue haleine soit atteint, elles demandaient aussi que la France les aide à réaliser un musée de renommée internationale, qui aurait pour nom le Louvre Abou Dabi.
En cela, l'Émirat témoignait à la fois de la priorité qu'il accorde aujourd'hui à la culture et au dialogue des civilisations et de son ambition de devenir, pour l'art et l'enseignement supérieur, l'acteur-clé de la vaste zone qui couvre le Golfe, le Moyen Orient et le sous-continent indien, à mi-chemin entre l'Asie et l'Europe. Ainsi l'île de Saadiyat, dédiée à la culture et au tourisme, accueillerait également le musée Guggenheim, des théâtres et salles de concert, le musée maritime et le musée du patrimoine émirien.
En ayant recours à la France pour cette opération d'un caractère inédit dans cette région du monde, l'Émirat rendait hommage au prestige de nos institutions muséales et témoignait du crédit exceptionnel dont disposent notre expertise et notre savoir-faire au niveau international.
Le Gouvernement a décidé de répondre favorablement à la demande de l'Émirat. La proposition de partenariat qui nous était faite illustrait en effet de manière exemplaire à la fois la dimension d'ouverture sur le monde que nous voulons donner à notre politique culturelle et notre volonté de promouvoir le dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident.
La négociation qui a suivi a porté, dans une large mesure, sur les points suivants : quel serait le rôle du musée pour promouvoir le dialogue des cultures ? Comment garantir de la qualité scientifique et artistique du futur musée ? Sur quelle base assurer la juste rémunération des musées français fortement sollicités pour la réalisation de ce projet ?
En accord avec ses partenaires, la France a posé comme principe que ce musée devait être un « musée universel » dont les collections couvriraient toutes les périodes, y compris la période contemporaine, et toutes les aires géographiques. Il se devait de répondre aux critères de qualité et de déontologie les plus exigeants, qu'il s'agisse de la pertinence du discours scientifique et culturel ou de la conception et de la réalisation du bâtiment : un comité scientifique de très haut niveau est ainsi chargé de définir précisément ces critères et d'en assurer le respect. Quant aux contreparties financières − cet accord représente un montant de l'ordre de 1 milliard d'euros sur trente ans −, elles doivent bénéficier, dans leur totalité, aux musées de France, le musée du Louvre en tête, pour des projets scientifiques nouveaux.
Pour accompagner cet ambitieux projet jusqu'à sa réalisation, une agence a été créée, l'Agence France-Museums, émanation de douze établissements publics patrimoniaux, dont le Louvre est membre de droit. L'État y est représenté par deux censeurs, l'un du ministère de la culture et de la communication, l'autre du ministère des affaires étrangères et européennes, qui sera garant de la bonne exécution des obligations prévues par l'accord intergouvernemental et des intérêts de la France lors de la conclusion des nouveaux projets de nature muséale et patrimoniale d'ampleur internationale.
L'agence aura pour tâche de mettre en oeuvre et d'accompagner ce projet jusqu'à sa réalisation. Le temps que le musée constitue ses propres collections, elle coordonnera une politique de prêts d'oeuvres issues des collections du Louvre, de l'ensemble des musées nationaux et des autres musées français qui souhaiteront participer au projet. Par ailleurs, elle concevra et mettra en place une programmation d'expositions temporaires pendant quinze ans.
Pour accompagner la formation de la collection émirienne, des experts français indépendants proposeront une stratégie d'acquisition.
Enfin, la France conseillera Abou Dabi pour la mise en place de la future structure de gestion du musée, participera à la formation de ses cadres et, de manière générale, accompagnera pendant une durée de vingt ans le fonctionnement du musée afin de lui permettre de conforter sa place dans le paysage des institutions internationales.
L'ampleur et la nature du projet, totalement inédit en France comme à l'étranger, a évidemment suscité de nombreuses inquiétudes et interrogations.
Celles-ci concernaient particulièrement les risques d'entorse au principe d'inaliénabilité des collections publiques, de dépouillement des musées français de leurs oeuvres majeures, de censure et de marchandisation.
Le principe de l'inaliénabilité des collections publiques n'a jamais été remis en cause depuis la Révolution. Il est inscrit dans la loi. Il n'est question ni de louer, ni de vendre des oeuvres du patrimoine national. Là-dessus, la réponse est claire. Le public français et les touristes qui viennent en France ne seront pas privés de la contemplation de nos chefs-d'oeuvre. Je rappelle que le nombre d'oeuvres prêtées par an sera de l'ordre de 200 à 300, pour des durées allant de six mois à deux ans, et ce pendant dix ans. Or, chaque année, la France prête environ 30 000 oeuvres dont 1 400 par le Louvre seul.
Il n'y aura ni censure ni interdit dans le choix des oeuvres. Le choix sera défini par l'équipe scientifique française qui gardera le contrôle du contenu et de l'intégrité du programme des expositions.
Les contreparties financières sont probablement le point qui aura suscité le plus de critiques, notamment dans certains milieux artistiques. Le principe n'est pourtant pas nouveau : il est même couramment pratiqué quand il s'agit d'opérations d'envergure allant au-delà du simple prêt. Mme Christine Albanel, que je remercie pour sa présence qui témoigne de l'attachement du ministère de la culture à ce projet, a eu l'occasion de rappeler, lors de la séance au Sénat du 25 septembre dernier, que les travaux de l'Orangerie ou encore l'exposition « Mélancolie » au Grand Palais, ont ainsi bénéficié de dotations générées par le prêt de collections à l'étranger. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que certains ont pu dire un peu vite, d'un dévoiement de l'art dans un monde dominé par les puissances de l'argent, mais bien d'un partenariat de long terme qui permet à la France d'obtenir une juste rémunération pour service rendu.