C'est un réquisitoire contre des politiques d'insertion qu'il ne faut plus poursuivre.
Pourtant, chaque mesure a été prise avec de louables intentions et non dans le but de nuire ou d'exclure. Seulement, mises bout à bout, elles produisent un système de relégation. Ce n'est pas l'une d'entre elles qu'il faut modifier, ce sont les politiques d'insertion dans leur ensemble qu'il faut repenser, rebâtir.
Parfois, face à des constats si désolants, on recherche des boucs émissaires. Ici, aucun des acteurs pris isolément n'est en lui-même coupable. Ce n'est pas tel ou tel qu'il faut montrer du doigt. La responsabilité est collective ; il s'agit même, plutôt, d'une irresponsabilité collective qu'il faut dénoncer, l'objectif de ce débat étant d'y mettre fin.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les causes en sont nombreuses. Je vous proposerai pour ma part un diagnostic de ce problème très français. C'est ce que j'appelle l'effet « centrifugeuse », à savoir un système qui tourne de plus en plus vite sans se préoccuper de ceux qui, pourvus d'une capacité un peu plus faible que le niveau exigé, sont peu à peu renvoyés à la périphérie. On juge qu'il ne sont pas assez performants parce que trop jeunes : n'oublions pas le taux de chômage dans cette catégorie de la population. Pas assez performants parce que trop vieux, et dans le monde du travail on est vieux de plus en plus tôt. Pas assez performants parce que insuffisamment qualifiés, mal qualifiés ou trop qualifiés. Parce que toujours disqualifiés. Parce que discriminés.
Ainsi, une enquête récente montre que les annonces d'emplois en France comportent, dans 20 % des cas, un critère d'âge, contre 1 % en Grande-Bretagne ; dans 73 % des cas, un critère de formation, contre 63 % en Espagne et 27 % en Grande-Bretagne ; dans 9 % des cas, une demande de photographie, contre 3 % en Espagne et jamais en Grande-Bretagne.
Notre société a cru que son moteur gagnait en efficacité parce qu'il donnait l'impression de s'alléger, mais il s'est privé de carburant et a rejeté directement dans l'assistance une proportion de plus en plus importante de la population. Oh, certes, pour que l'éviction ne soit pas trop douloureuse, des mécanismes de compensation ont été mis en place. Ainsi a-t-on compensé l'éviction au lieu de la combattre, mais la douleur n'en est pas moins sensible.
Après l'effet centrifugeuse, la deuxième cause des difficultés dans lesquelles nous essayons de surnager, c'est que les réponses se sont révélées chaque fois très spécifiques, très cloisonnées, trop déconnectées du travail, trop déconnectées de la formation, trop déconnectées de l'économie, trop déconnectées des aspirations individuelles. Nous avons mis en place des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, de plus en plus coûteux, de moins en moins compréhensibles, de moins en moins efficaces.
Le résultat, nous le connaissons : nos politiques d'insertion sont à bout de souffle. Mais l'énergie n'est pas morte. Nous l'avons vu au moment du lancement du Grenelle de l'insertion, à Grenoble, il y a un mois et demi, avec la participation de l'ensemble des acteurs : associations, élus, entreprises d'insertion, présidente du MEDEF, secrétaires généraux des syndicats, pionniers et inventeurs de l'insertion d'il y a vingt ou trente ans. Tous sont prêts à mettre leur énergie au service de nouvelles politiques.
Nous le voyons dans les départements, pourvus depuis quelques années de nouvelles responsabilités qui les ont amenés à concevoir de nouvelles politiques. Nous le voyons au sein des réseaux associatifs, qui ont inventé des solutions originales, devant parfois se débrouiller aux marges de la légalité. Nous le voyons dans le dynamisme de l'insertion par l'activité économique, déjà à la pointe du développement durable quand le concept n'intéressait personne.
Dans ce contexte, nous voyons quelques raisons d'être optimistes et qui poussent à agir, à commencer par les aspirations des personnes en insertion. Un sondage réalisé récemment montre leur appétence à travailler, à être formées, leurs demandes pour que les systèmes évoluent – ce qui confirme tous les témoignages dont nous pouvons disposer – mais aussi leur implication dans les groupes de travail : je pense à certains d'entre-vous qui président des groupes de travail du Grenelle avec un collège des usagers, composé notamment d'allocataires du RMI et de jeunes en insertion, tout à fait représentatifs de la très grande majorité d'entre eux.
Nous voyons une autre raison d'espérer dans ce que nous montrent les acteurs de l'insertion qui, souvent avec des bouts de ficelle, parviennent à sortir de l'ornière les personnes les plus « cassées », et interpellent les pouvoirs publics en faisant valoir qu'avec les moyens considérables dont ils disposent, ils devraient parvenir à intégrer une plus grande partie de la population, d'autant qu'elle est moins fragile que les publics prioritaires.
Enfin, changement considérable par rapport aux dix dernières années : les entreprises prennent aujourd'hui conscience qu'on ne peut plus continuer ainsi. Elles ont besoin de main-d'oeuvre, et donc de recruter des personnes sans attendre d'elles qu'elles arrivent déjà entièrement formées et dotées d'une expérience professionnelle. Dans les métiers traditionnellement en tension mais aussi dans de nombreux autres secteurs de notre économie, on nous reproche de ne jamais proposer des allocataires du RMI ou des personnes en insertion lorsqu'il y a des emplois à pourvoir. C'est le cas notamment des pôles de compétitivité. L'intérêt et l'implication des entreprises viennent aujourd'hui de ce qu'elles pensent que des politiques d'insertion réussies sont indispensables à leur développement.