Nous nous apprêtons à examiner une série d'articles qui soulèvent, c'est le moins qu'on puisse dire, une certaine émotion. À l'article 35, les franchises médicales, sur lesquelles nous débattrons longuement. Aux articles 32 et 33, des dispositions qui visent tout simplement à réglementer l'installation de professions qui, jusqu'alors, ne l'étaient pas. Ce qui subsistait du caractère réellement libéral des professions de santé, c'est justement cette liberté d'installation sur laquelle, me semble-il, existait un relatif consensus sur nos bancs, quelles qu'aient été les majorités successives en charge du destin de ce pays.
Cette liberté était une tradition. Vous avez décidé de rompre le consensus d'une façon prématurée, aucun débat préalable n'ayant eu lieu, d'une façon surprenante – aucun candidat, ni lors de l'élection présidentielle ni aux législatives, n'ayant proposé cette mesure à nos concitoyens –, et, enfin, d'une façon injuste, car tout le poids de votre réforme portera sur les nouveaux professionnels, ceux qui aujourd'hui se forment, alors que celles et ceux qui sont déjà installés vont en être exonérés et profiteront donc d'une forme de rente de situation, ce qui est totalement contraire à l'esprit même des professions libérales.
Naturellement et comme toujours, cette injustice a amené à réagir les plus jeunes de ces professionnels, car ce sont les jeunes qui vivent toujours le plus mal les injustices, dans cette profession comme dans les autres. Cela est compréhensible car, je le répète, rien dans le programme électoral du candidat devenu Président de la République et pas davantage dans celui des parlementaires qui aujourd'hui forment la majorité à l'Assemblée, n'annonçait des réformes de cette ampleur et la rupture de ce consensus, de cette tradition ; d'autant plus que certains sont encore incertains sur le fait de savoir s'il fallait le faire en premier lieu pour réformer notre système de santé.
Cette injustice, ils la vivent d'autant plus douloureusement que, à côté de cette réforme que vous proposez mais qui n'a jamais été programmée, d'autres promesses, elles, ne sont pas tenues. Mes chers collègues, ces métiers de santé ne connaissent pas de délit d'initié, jamais de distribution de stock-options, pas davantage de retraites dorées ou d'avantages du même métal ! Jamais ! En revanche, votre candidat à la présidentielle avait promis de mettre un terme à ces mesures, mais vous avez refusé, cet été, d'y mettre un terme, suivant en cela le membre du Gouvernement qui vous y engageait. Je pense que vous avez eu tort. D'abord, parce que c'était une promesse de votre candidat et qu'il est quand même surprenant que seule celle-là ne soit toujours pas tenue. Ensuite, parce que vous donnez l'impression de vous acharner en premier lieu sur ces métiers qui ne bénéficient en rien de ces avantages-là !
Cette réforme vécue comme une injustice l'est particulièrement par les jeunes médecins, car ils appartiennent à une génération qui a le sentiment, pas forcément à tort, que c'est à elle qu'on demande le plus, en tout cas beaucoup plus qu'à celle qui la précède et à celle qui suit. Il s'agit de la génération des médecins qui a franchi le numerus clausus le plus difficile. Rappelez-vous : c'est en 1996 que ce numerus clausus a été le plus dur à la suite du plan Juppé, et si nous avons un reproche à nous faire, ici sur ces bancs, qu'il nous faut assumer, c'est de ne l'avoir desserré qu'à compter de 1998, ce qui nous a fait perdre une année précieuse en la matière.
C'est en 1996 que ces numerus clausus ont été les plus durs, que des écoles d'infirmières ont été fermées pour en restreindre l'accès afin de diminuer le nombre de professionnels. Et celles et ceux qui, à cette époque-là, ont réussi à les franchir ont le sentiment, alors qu'ils finissent leurs études et pourront bientôt s'installer, qu'on leur met des freins supplémentaires à la sortie, de la même manière qu'on leur en avait mis à l'entrée. Il faut comprendre ce sentiment d'injustice qui les anime, leur révolte, et donc leur volonté de vous voir abandonner ce projet.
L'abandonnez-vous aujourd'hui ? Sincèrement, j'ignore quel accord vous avez conclu, et nous n'avons pas à nous immiscer dans les négociations que vous avez pu avoir, avec les représentants des internes notamment. Mais si le produit de cet accord sont les amendements, en particulier l'amendement à l'article 33 dont nous avons eu connaissance il y a un peu plus de deux heures, alors je suis un peu triste de la façon dont les choses semblent se passer car, passez-moi l'expression, ce n'est pas un accord loyal que vous avez passé avec eux. Donc la traduction législative de cet accord que vous nous soumettez n'est ni loyale ni honnête à leur égard.
En effet, vous ne reculez en rien, vous biaisez. Vous gardez exactement la même idée, mais avec des mots différents. Les amendements que vous nous présentez ont une apparence, mais ils ont aussi une réalité. L'apparence, c'est que les termes « mesures incitatives » y figurent. L'apparence, c'est que vous évoquez des états généraux à l'article 33 – sur lesquels mes deux collègues Delphine Batho et Marisol Touraine ont indiqué que nous vous suivrions : oui, il faut ces états généraux.
Sur le fond, si accord il y a, il est déloyal. Vous ne reculez pas, vous biaisez. Je cite les amendements du Gouvernement : « Les mesures d'adaptation, notamment incitatives » – qui n'excluent en rien les mesures coercitives – vous permettent peut-être simplement de faire croire que c'est cette méthode que vous allez privilégier, alors qu'en réalité, vous n'abandonnez absolument pas la philosophie même du projet de loi.
« Ces modalités sont définies après concertation des organisations » : rien n'indique que cette concertation débouchera bien sur un accord avec les personnels concernés — en l'occurrence les jeunes médecins — et il pourrait simplement s'agir de donner l'impression qu'une négociation a été conclue, pour espérer, selon la formule consacrée, un scénario de sortie de crise. Dans ce cas, la réalité serait tout autre : vous ne renonceriez nullement à la philosophie coercitive de votre premier projet, vous la masqueriez simplement derrière des mots qui ne contraindraient en rien les pouvoirs publics. Les engagements que vous prenez n'auraient donc aucune conséquence.