La Charte présente par ailleurs la particularité d'être un texte à options. Les États qui y adhèrent s'engagent à respecter, outre les principes et objectifs généraux, au moins trente-cinq des quatre-vingt-dix-huit mesures qu'elle propose.
La France a sélectionné, lors de la signature de la Charte, une liste de trente-neuf engagements et, parmi ceux-ci, figurait l'engagement de rendre accessibles dans les langues régionales minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement. Cela représenterait à coup sûr un coût très important pour l'État, avec une obligation de traduction très vaste, proportionnelle au nombre de langues retenu, et cette obligation ne concernerait pas seulement les textes futurs, mais également notre stock législatif, avec un travail forcément subjectif de sélection des textes les plus importants à traduire.
Quant aux collectivités territoriales, elles ne seraient, certes pas obligées de traduire les textes officiels dont elles sont à l'origine, mais leur refus pourrait sans doute être contesté devant les tribunaux sur le fondement de ce droit imprescriptible de parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la Charte.
Pour conclure, ratifier la Charte serait contraire à nos principes. L'appliquer serait difficile, coûteux et d'une portée pratique pour le moins discutable. Elle n'apporterait au mieux qu'une réponse symbolique à la question posée, qui, elle, est bien réelle : comment mieux faire vivre les langues régionales dans notre pays ?
Cela dit, notre refus de ratifier n'est pas du tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique. Il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales à la langue de la République. La singularité française, nous l'avons tous dit, se nourrit de la richesse de nos territoires, et les langues régionales font partie de notre patrimoine commun.
Reconnaître la diversité linguistique, ce n'est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et imprescriptibles aux locuteurs de ces langues dans la sphère publique. C'est d'abord encourager leur usage, permettre leur enseignement chaque fois que les familles le demandent, favoriser leurs expressions culturelles, artistiques, médiatiques sur tout le territoire.
À cet égard, nous aurions avantage à y voir plus clair sur ce qu'autorise le cadre législatif et réglementaire actuel. Les attendus du Conseil constitutionnel nous montrent la voie. En jugeant que n'était contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre en faveur des langues régionales, le Conseil nous ouvre une très large marge de manoeuvre, et ma conviction est qu'elle est insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés par la Charte : médias, activités et équipements culturels, échanges transfrontaliers, justice, autorités administratives et services publics.
S'agissant d'ailleurs de la justice, des autorités administratives et des services publics, je l'ai rappelé, aucune disposition n'interdit à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations. Mais ne pas interdire ne signifie pas prescrire ou imposer, et la nuance est importante.
De même, rien ne nous empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de conforter s'il y a lieu les territorialisations existantes, dans le respect de nos valeurs républicaines. En effet, le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les collectivités locales et les associations, à l'image de celles qui régissent l'enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées-Atlantiques, où a été mis en place un très remarquable office public de la langue basque, qui a été cité.
Si les dispositions légales et réglementaires existent pour favoriser l'apprentissage ou l'usage des langues régionales, il est vrai que l'état du droit en la matière est insuffisamment connu et qu'il constitue souvent un véritable maquis.
Ce dont nous avons besoin, je crois, à ce stade, c'est d'un cadre de référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le Président de la République en avait émis l'idée lors de la campagne électorale. Ce texte pourra récapituler l'existant et entrer dans le concret, pour reprendre l'expression de M. Le Fur, dans le domaine des médias, et ont d'ailleurs été évoqués des problèmes aussi précis que le passage de l'analogique au numérique ou des télévisions en langue régionale, dans le domaine de l'enseignement bien sûr, de la signalisation ou encore de la toponymie. Ce projet devrait vous être présenté assez rapidement.
Voilà, mesdames, messieurs, l'approche du Gouvernement pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir à terme leur vitalité. Il s'agit en fait de permettre et non pas de contraindre, d'inciter, de développer et non pas d'imposer. Il s'agit d'ouvrir un espace d'expression plus large à d'autres langues historiquement parlées sur notre territoire, en bref de favoriser vraiment l'exercice d'une liberté d'expression.
Cette liberté, nous la garantirons avec le souci de respecter les principes de nos textes fondamentaux et le rôle primordial du français, notamment en matière d'apprentissages. Le Premier ministre l'a rappelé dans le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française, notre langue commune est au plus profond le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République. Il n'est évidemment pas question de transiger sur le statut des Français, mais aucun d'entre vous ne le demande.
En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle. Vous l'avez rappelé très justement, les régions ayant les plus fortes identités linguistiques sont souvent celles qui sont le plus à l'aise dans la mondialisation.