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Intervention de Armand Jung

Réunion du 7 mai 2008 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur les langues régionales et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArmand Jung :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, une série impressionnante de documents relatifs à la reconnaissance, à divers degrés, des langues régionales de notre pays a été rédigée ou déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale : propositions de loi simples ou constitutionnelles, amendements, décrets, circulaires.

Des ministres de tous bords, des membres de l'actuel gouvernement, trois Présidents de la République – dont celui actuellement en exercice – ont pris des engagements précis en faveur des langues et des cultures régionales. Pour l'instant, aucune de ces démarches n'a abouti. C'est comme si la République était mise en danger, comme si l'unité de notre pays était menacée, comme si l'on redoutait une revendication identitaire ou je ne sais quel nationalisme régional. Mais peut-être est-ce tout simplement le traditionnel centralisme jacobin qui tente de maintenir coûte que coûte son hégémonie ! Comment interpréter autrement la récente décision du ministre de l'intérieur de supprimer sans crier gare, en Alsace-Moselle, la traduction des professions de foi en allemand ? Aucune raison, pas même financière, ne justifiait une telle décision, inutile et blessante pour les habitants des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle !

Et pourtant, des millions de Français maîtrisent les langues régionales, ces langues à la fois populaires et littéraires, et qui représentent souvent un atout économique incomparable.

Jean Jaurès, pour ne citer que lui, utilisait l'occitan pour s'adresser aux foules. En Alsace, la Révolution française s'est faite en langue régionale, aux cris de Freiheit – liberté – Gleichheit – égalité – Bruderliebe – fraternité – et avec une version de la Marseillaise en allemand, forme standard des dialectes alsaciens et mosellans. C'est dans cette langue encore qu'ont été menées les grèves de 1920, de 1936 et de 1968 dans les transports, les usines, les bureaux. C'est également en alsacien que les supporters du Racing Club de Strasbourg soutiennent leur équipe de football.

La littérature, ancienne et actuelle, et la créativité des langues régionales sont renommées. Le premier poème rimé en allemand vient d'Alsace. La première Bible a été imprimée à Strasbourg. Le premier roman populaire, le premier journal en langue allemande ont été composés et publiés en Alsace. Ces oeuvres, à l'instar de celle d'Aimé Césaire, représentent un enrichissement culturel pour la France et pour ses habitants.

Avec la langue nationale et la langue régionale, les Alsaciens et les Mosellans peuvent s'entretenir et travailler avec 67 millions de francophones et 100 millions de germanophones. L'économie de l'Alsace s'inscrit dans la région du Rhin supérieur et l'espace Saar-Lor-Lux. L'allemand et la langue régionale représentent des atouts incomparables sur le plan économique, favorisant l'implantation de nouvelles entreprises, l'emploi, l'exportation, le tourisme. Aujourd'hui, 12 % des actifs alsaciens travaillent en Suisse germanophone et en Allemagne, et l'Alsace compte environ 650 000 locuteurs. C'est la proportion la plus forte parmi les langues régionales de France et l'effectif le plus important s'agissant des adultes. Quant au taux de transmission familiale résiduelle, d'une génération à la suivante, il est encore le meilleur, avec le corse, puisqu'il atteint 10 %. Mais en 2050, serons-nous les derniers 10 000 locuteurs désespérés, alors qu'il en faut au minimum 100 000 pour qu'une langue survive ?

Prenons l'exemple du projet de création de I'Eurodistrict Strasbourg-Kehl-Ortenau, décidé en 2003 au plus haut niveau par Jacques Chirac et Gerhard Schröder et visant à renforcer de manière spécifique et originale la coopération franco-allemande. Il paraît inimaginable que les débats entre Français et Allemands s'y déroulent avec des traducteurs, ce qui est malheureusement le cas aujourd'hui ! Il y a une trentaine d'années, pourtant, l'Alsace fournissait une proportion majeure du personnel germanophone dans toute la France : enseignants, diplomates, techniciens, cadres, militaires. Aujourd'hui, elle ne trouve même plus sur son propre territoire les germanophones dont elle aurait besoin pour ses administrations publiques, son enseignement, ses entreprises.

À la veille de la présidence française de l'Union européenne et alors que l'on s'apprête à modifier de manière substantielle notre Constitution, il est indispensable de modifier son article 2 afin qu'il désigne les langues régionales comme faisant partie intégrante de notre patrimoine commun. Une telle modification de la Constitution ouvrirait la voie à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par le gouvernement de Lionel Jospin.

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