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Intervention de Alain Claeys

Réunion du 6 mars 2012 à 17h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, député, rapporteur :

Malgré la mobilisation mondiale, la neuroimagerie performante, quand elle rend compte de l'évolution de certaines maladies neurodégénératives, voire en prédit l'apparition, n'a pas encore permis la mise au point de molécules nouvelles, car les grands groupes pharmaceutiques ne semblent pas très impliqués, à la différence des industriels de l'imagerie et de la robotique. Il n'y a pas ou très peu de médicaments nouveaux. Cette situation induit, selon Jean-Pierre Changeux, des interrogations sur la relation bénéficerisque : faut-il reconsidérer cette notion inadéquate dans le traitement des pathologies neurodégénératives, mais aussi dans certaines pathologies psychiatriques très invalidantes ? La proposition de l'ancien président du CCNE mérite débat, car il s'agit d'établir des conditions spécifiques d'essais de développement de nouvelles molécules susceptibles d'être efficaces ; du fait des effets secondaires potentiels, le consentement des personnes doit être éclairé.

En France, une amélioration de la prise en charge des maladies neurodégénératives, se dessine lentement grâce à quelques découvertes, tel le traitement de la maladie de Parkinson par stimulation cérébrale profonde, ou le développement de biomarqueurs. Toutefois des efforts sont nécessaires et indispensables pour lutter contre les pathologies psychiatriques qui, mal connues des Français, engendrent peur, rejet et stigmatisation. Elles sont associées à la folie et à la violence : 74 % des français considèrent qu'un schizophrène est dangereux, alors que seulement 0,2% des schizophrènes peuvent l'être pour les autres. On ne dispose en France, ni d'épidémiologie psychiatrique, ni de données médico-économiques, ou de santé publique. Des programmes de prévention de la psychose existent dans différents pays, en Europe, en Amérique du Nord, en Australie et au Japon, mais la France accuse dix à vingt ans de retard ; la prévention des troubles psychiatriques y est donc inexistante. En témoigne l'absence d'action de prévention ciblée sur l'impact de l'usage du cannabis dans la survenue de délires schizophréniques.

Aussi, suggérons nous de renforcer à tous les niveaux la prise en charge des patients atteints de maladies mentales en France, en luttant contre la stigmatisation dont ils font l'objet par des actions d'information et de prévention ciblées, en menant des études statistiques systématiques sur les pathologies concernées, en procédant à une large diffusion de ces données, en favorisant l'interdisciplinarité dans l'approche de ces pathologies complexes, en renforçant les liens entre la communauté des chercheurs et des associations de patients, et en créant un Institut multidisciplinaire dédié à la recherche sur les maladies mentales pour favoriser la recherche en psychiatrie.

Le décalage entre les possibilités de diagnostic précoce et les capacités de traitement est de plus en plus grand, entraînant une interrogation sur le sens même de la prédiction et son intérêt. Ce décalage génère de multiples tensions. Quel sens donner au diagnostic des maladies du cerveau ?Comment procéder lors de la découverte fortuite d'une pathologie sur une personne en bonne santé ? La loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011 règle en partie le problème délicat du droit de savoir ou de ne pas savoir, et de l'information de la parentèle en cas de découverte d'une anomalie génétique. Le texte tente de concilier les droits et devoirs de chacun, il devrait pouvoir servir de référence, encore faut-il, comme le prévoit la loi précitée, publier rapidement l'arrêté sur la définition des bonnes pratiques applicables à la prescription et à la réalisation des examens d'imagerie cérébrale à des fins médicales. Il est, en outre, nécessaire d'établir des guides de bonnes pratiques visant à assurer une information adaptée des patients et personnes acceptant de se soumettre à des traitements ou recherches par imagerie, à sensibiliser à l'impact potentiel de la communication des résultats, et à aider les médecins dans l'éthique de la pratique médicale (droit de savoir ou non, à qui communiquer les résultats, comment …).

Les techniques de neuroimagerie amènent à s'interroger sur la frontière entre actions de rétablissement et améliorations des fonctions, sur les risques de modification des comportements, et sur la valeur du consentement éclairé dans des cas limites. Aussi faut-il préciser la notion de consentement éclairé pour les patients atteints de troubles légers du comportement, et établir un guide de bonnes pratiques en terme éthique sur l'usage des implants cérébraux, donner rapidement à l'Agence de la biomédecine les moyens d'exercer les compétences nouvelles de veille et de contrôle sur les neurosciences, que lui confie la loi précitée. Certains médicaments développés pour la dépression ou les troubles du sommeil semblent être détournés de leur usage primaire en vue d'améliorer «chimiquement» la coopération entre les individus au sein d'un groupe, ou d'augmenter les périodes d'éveil en maintenant les capacités d'attention et de concentration. Nous considérons que seule une information idoine et une veille sanitaire par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et l'Agence de la biomédecine, peuvent éviter la généralisation de ces pratiques qu'une société de la performance encourage.

Un vaste programme de recherche consacré à la convergence des technologies a été engagé en 2002 principalement aux États-Unis, avec quatre voies technologiques convergentes. Le gouvernement fédéral des États-Unis a doté ce programme couramment appelé NBIC -nano, bio, info, cogno- de plusieurs milliards de dollars. Nous estimons que les aspects éthiques et les impacts sociétaux des technologies convergentes doivent être actualisés par l'OPECST, qui s'est déjà penché sur ce sujet à plusieurs reprises dans ses travaux sur les nanotechnologies. Il y a deux raisons à cela : la rapidité de l'évolution des outils dans ce domaine, et leur utilisation de plus en plus étendue.

Hors de la sphère scientifique et médicale, le développement du neuromarketing pose problème, car il procède d'un dévoiement de la neuroéconomie, discipline qui se situe à l'intersection de la micro-économie, des sciences du vivant et de l'imagerie, et qui vise à comprendre les processus, les sensations et l'action dans une situation où l'on doit prendre une décision. Le neuromarketing applique les techniques et savoirs issus des neurosciences au comportement du consommateur, et s'appuie essentiellement sur l'imagerie par résonance magnétique (IRM) pour analyser ce qui advient dans le cerveau quand on visionne une publicité, ou que l'on prend une décision d'achat. Ces expérimentations commerciales mobilisent, pendant des heures, des sujets, des IRM, des techniciens, voire des neurologues ; c'est pourquoi nous recommandons d'interdire la validation de campagnes publicitaires par le recours aux IRM dédiées au soin et à la recherche scientifique et médicale.

Quant à l'utilisation de la neuroimagerie en justice, fréquente aux Etats-Unis, elle semble gagner d'autres pays comme l'Inde et l'Italie. Toutefois la fiabilité limitée des techniques de neuroimagerie incite peu la justice américaine à s'en servir comme preuve de l'accusation ; elle est plutôt utilisée comme soutien aux moyens de défense de l'accusé. À ce jour, on compte 614 cas pour lesquels des images obtenues par IRM fonctionnelle ont servi de preuve au pénal. Alors que la recherche dans ce domaine est encore lacunaire, deux sociétés américaines proposent un service spécialisé dans la détection de mensonge par IRM fonctionnelle. L'activité de ces sociétés semble pour le moins faiblement encadrée déontologiquement et commercialement. Cette pratique est inquiétante car elle vise des affaires privées qui vont des conflits conjugaux à l'embauche, voire à la souscription d'assurances pour un coût élevé.

En France, la loi de bioéthique du 7 juillet 2011, à l'élaboration et aux débats de laquelle nous avons tous deux participé activement tout au long de l'année 2011, encadre les applications des neurosciences en réglementant l'accès aux techniques de l'imagerie cérébrale Elle crée un cadre protecteur des droits de la personne en les soumettant aux grands principes bioéthiques inscrits dans le code civil. La nouvelle loi circonscrit le domaine d'utilisation en fonction de trois finalités reconnues comme légitimes : finalité médicale, de recherche scientifique et d'expertise judiciaire.

La finalité judiciaire introduite et limitée à l'expertise judiciaire parait prématurée au regard du manque de fiabilité des techniques. Cette disposition suscite le débat et nous semble contre-productive en l'état des connaissances en imagerie cérébrale. On ne devrait pas permettre de statuer sur la culpabilité, les prédictions, et le pourcentage de récidives éventuelles d'un individu sur la seule base de données de neurosciences. L'expertise en la matière risque donc de poser plus de questions que de fournir de réponses. Il reste que le pouvoir de simplification et de fascination des images, et leur caractère scientifique, peuvent influencer, et leur conférer une valeur probante supérieure à ce qu'elles sont en mesure d'offrir. En outre, la loi précitée ignore le risque de discrimination spécifique lié à l'utilisation de données cérébrales, alors qu'il aurait été facile de s'inspirer des sanctions pénales édictées pour discrimination en raison de caractéristiques génétiques. Nous estimons que ces points doivent être éclaircis, et qu'il faut renforcer la protection des personnes contre ces dérives par un régime de sanctions appropriées.

S'il appartient au Parlement de faire des propositions de réforme, nos concitoyens doivent pouvoir être informés de ces questions par l'organisation de débats publics, car la rapidité avec laquelle les neurosciences et l'imagerie cérébrale ont investi non seulement le champ des sciences sociales, mais également la vie quotidienne, suscite des peurs.

En conclusion, M. Jean-Sébastien Vialatte, député, rapporteur, rappelle que les nombreuses personnalités auditionnées ont toutes souligné la nécessité d'apporter au public une information plus scientifique et de meilleure qualité sur les apports des neurosciences et l'évolution des traitements possibles des maladies neurologiques et psychiatriques. Toutes insistent sur les effets pervers d'informations sensationnelles laissant croire à des découvertes ouvrant à des traitements. On en est encore loin, comme le démontre la prudence des neuroscientifiques eux-mêmes, et ceux-ci insistent sur le fait que le cerveau ne fonctionnant pas en couleur, les images ne sont que des artefacts colorisés résultant de modèles mathématiques.

C'est pourquoi nous recommandons d'une part, la mise en place d'un enseignement de bioéthique dans le secondaire, et d'autre part, l'organisation de débats publics pour informer les citoyens sur les progrès et les limites de la recherche en neurosciences, et de donner à l'Agence de la biomédecine les moyens d'exercer ses nouvelles missions de veille.

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