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Intervention de Marc Goua

Réunion du 7 mars 2012 à 10h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Goua, rapporteur spécial :

Le bureau de la commission des Finances nous a chargé, le 21 juin 2011, d'une mission d'information sur la situation financière et les perspectives d'Électricité de France et d'Areva.

Tout d'abord, je voudrais revenir sur les difficultés que nous avons rencontrées pour collecter certains éléments, notamment auprès de l'Agence des Participations de l'État et d'Areva. Ces éléments nous ont finalement été communiqués au prix de fortes pressions. Je tenais à le signaler.

Je tenterai de faire une courte présentation globale du rapport, avant les compléments de Camille de Rocca Serra, afin de laisser place à un échange qui ne manquera pas d'avoir lieu.

Le rapport d'information sur la situation financière et les perspectives d'Électricité de France et d'Areva, dont nous vous proposons l'examen aujourd'hui, se présente en trois parties : la première synthétise les données contenues dans le rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière électronucléaire française rendu public en janvier dernier. EDF et Areva étant les deux exploitants les plus importants de cette filière, ce rapport a été pour nous un solide support pour identifier les enjeux financiers auxquels ces entreprises vont être confrontées à l'avenir compte tenu de leur environnement industriel particulier ; les deux autres parties traitent de l'analyse économique et financière proprement dite de chacun des deux groupes, successivement EDF puis Areva.

En tant qu'entreprises représentant la filière nucléaire de notre pays, EDF et Areva sont soumises à des contraintes de gestion particulières ayant un impact direct sur leur structure financière.

La production d'électricité nucléaire a en effet pour particularité d'engendrer des coûts extrêmement importants à l'issue de la période de production. Les entreprises examinées doivent donc être en mesure de faire face aux charges futures concernant le démantèlement des installations à la fin de leur exploitation, la gestion des combustibles usés et celle des déchets radioactifs.

Le rapport de la Cour des Comptes sur les coûts de la filière électronucléaire nous a grandement aidés dans notre tâche. Elle établit les constants suivants : tout d'abord, l'estimation des charges futures incombant aux entreprises exploitantes se caractérise par un niveau d'incertitude assez élevé, compte tenu des nombreux paramètres à prendre en compte.

Fin 2010, le total de ces charges futures est estimé, pour l'ensemble des opérateurs, à 79,4 milliards d'euros. La part que devront supporter EDF et Areva représente respectivement 78 % et 13 % de ce montant.

La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire prévoit que les exploitants intègrent dans leurs bilans les provisions nécessaires pour couvrir l'ensemble des coûts futurs. Ces charges futures sont bien provisionnées dans les comptes des deux entreprises examinées, pour un total de 33,9 milliards d'euros fin 2010, dont 28,3 milliards pour EDF et 5,6 milliards pour Areva.

La loi prévoit également qu'une partie de ces provisions soit constituée d'actifs dédiés, à hauteur de 46 % pour EDF et de 54 % pour Areva. La situation est actuellement plus satisfaisante pour Areva dont le portefeuille d'actifs couvre à 102 % les provisions nécessaires. Le taux n'est que de 88 % pour EDF.

Cependant, la probabilité que l'estimation actuelle de ces charges futures soit revue à la hausse est forte.

Les dépenses futures pour le démantèlement des 58 réacteurs du parc actuel géré par EDF sont évaluées par l'entreprise à 18,4 milliards d'euros, une estimation considérée comme basse par la Cour des comptes, qui valide la méthode de calcul mais souligne que les devis ont souvent tendance à être corrigés à la hausse au moment de l'exécution des travaux.

Un autre coût futur important est lié à la gestion à long terme des déchets radioactifs, pour un montant total estimé à 28,4 milliards d'euros. Cette estimation est très incertaine car dépendante des décisions à venir sur la poursuite du projet de centre industriel de stockage réversible géologique profond.

Enfin, la Cour des comptes note que la donnée apparaissant comme la plus déterminante est liée à la durée de fonctionnement de nos centrales, prévues initialement pour fonctionner 30 ans. Un horizon de 40 ans a cependant été rapidement admis par l'ensemble des acteurs de la filière. Or, nos centrales sont vieillissantes : en 2012, la moyenne d'âge du parc est de quasiment 27 ans ; 22 réacteurs sur 58 auront atteint 40 ans d'ici 2022 ; et la totalité des 58 réacteurs aura plus de 40 ans en 2050.

Cela signifie que pour conserver le niveau de production d'électricité actuel, la France devrait construire 11 EPR d'ici la fin de l'année 2022, une performance qui ne paraît pas réalisable, tant sur le plan financier qu'industriel.

Ce contexte pousse à la décision de tout mettre en oeuvre pour que la durée de vie des centrales en France soit prolongée au-delà de 40 ans. D'ailleurs, sous réserve des autorisations délivrées par l'Autorité de sûreté nucléaire – l'ASN –, EDF travaille déjà sur une hypothèse de durée de vie des centrales portée à 60 ans.

Cette décision est doublement stratégique dans le sens où elle conditionne le nombre d'années durant lesquelles les investissements initiaux sont amortis et repousse à plus long terme les dépenses de démantèlement et le besoin d'investissement dans de nouvelles installations de production.

Elle n'interdit pas de préparer l'évolution vers un mix énergétique différent. La stratégie énergétique nationale à venir reste encore à définir et mériterait un débat public, explicite et transparent sur les coûts économiques et sociétaux des différentes options.

Néanmoins, la perspective de l'arrêt de 22 réacteurs sur les 58 que compte la France, dans à peine dix ans, impose le prolongement du fonctionnement des centrales nucléaires comme une solution transitoire qui apparaît inévitable faute d'une préparation suffisante aux besoins à venir.

La Cour des comptes relève notamment la faiblesse des investissements menés en ce domaine depuis une vingtaine d'années. Nos travaux nous ont amenés à penser que cette situation n'est pas sans lien avec les choix stratégiques opérés, jusqu'à récemment, par EDF - en particulier son évolution à l'international.

S'agissant d'EDF, nous avons, notamment, constaté que depuis son introduction en bourse en 2005, l'entreprise a nettement privilégié son développement international. Il s'agissait pour elle de prendre sa place dans le « renouveau nucléaire » qui s'affirmait à travers le monde, afin, en particulier, de faire face au nouveau contexte concurrentiel européen, mondial et même national.

Cette stratégie de conquêtes externes est sans nul doute vitale pour l'entreprise. Mais elle l'a engagée dans de lourds investissements, au Royaume-Uni et aux États-Unis par exemple, lesquels ont pesé, et pèsent toujours, sur les capacités de l'entreprise à faire face à ses engagements nationaux. Pour mener à bien ces opérations de croissance externe, le groupe recourt en effet massivement à des emprunts obligataires, d'où le doublement de son endettement financier net depuis 2007.

Parallèlement, si la contribution du périmètre international au chiffre d'affaires du groupe a beaucoup progressé, ses marges opérationnelles n'ont pas suivi au même rythme. EDF a même été contrainte de passer d'importantes provisions au titre de ces opérations internationales en 2010 (à hauteur de 2,4 milliards d'euros). Le fait est que cette stratégie, ainsi qu'une tendance à privilégier la rentabilité à court terme, a conduit l'entreprise à maintenir, jusqu'à récemment, un relatif sous-investissement dans l'outil de production d'électricité français.

Ces retards ne remettent pas en cause la sûreté des structures ; mais ils ont été à l'origine d'une moindre productivité et n'ont, surtout, pas permis de préparer la suite d'un parc de centrales nucléaires vieillissantes.

EDF doit désormais assurer un programme d'investissements de maintenance lourde (pour le prolongement de la durée de vie des centrales) estimé au minimum à 55 milliards d'euros, avec, vraisemblablement, une accélération de leur mise en oeuvre pour répondre aux préconisations de l'ASN.

Mon collègue Camille de Rocca Serra, vous exposera comment le groupe envisage d'affronter financièrement ces enjeux nationaux, tout en menant à bien ses projets externes dont la rentabilité devrait s'affirmer à terme.

En tout état de cause, les mesures à prendre pour assurer une sûreté nucléaire optimale et sécuriser l'approvisionnement électrique de la France ont été rappelées comme les priorités absolues de l'entreprise.

Pour soutenir EDF dans son rôle national, nous soulignons la nécessité de ramener la contribution au service public de l'électricité (CSPE) à un niveau qui annule le solde déficitaire supporté par l'entreprise au titre de cette compensation depuis deux ans. Un aménagement a été adopté en loi de finances pour 2011 afin de résorber progressivement un déficit qui représente déjà plusieurs milliards d'euros en cumul. Pour rectifier, à un rythme soutenable pour le groupe EDF, ce que nous considérons comme une anomalie économique illégitime, il est important que cette taxe progresse dans les années à venir au moins dans les proportions préconisées par la Commission de régulation de l'énergie.

Quant à Areva, l'entreprise a enregistré une nette dégradation de ses performances économiques entre 2007 et 2011.

Plusieurs raisons clairement identifiées expliquent ce constat : d'abord, le surcoût généré par le chantier de l'EPR finlandais commandé par l'électricien TVO. Ce projet, évalué initialement à 3 milliards d'euros, atteindrait aujourd'hui un coût global de 6 milliards d'euros. Plusieurs raisons expliquent ce doublement, notamment une vision optimiste de la construction et des difficultés constantes avec le client. Par ailleurs, le manque d'expérience d'Areva en tant que maître d'oeuvre a souvent été mis en avant. Néanmoins, EDF semble connaître les mêmes difficultés pour l'EPR de Flamanville.

Deuxième raison : l'acquisition d'UraMin, pour un coût global de 2,8 milliards d'euros en comptant les investissements réalisés par la suite (de l'ordre de 900 millions). Je reviendrai plus en détail sur ce sujet en fin de présentation.

J'y insiste : l'industrie nucléaire est une industrie à forte intensité capitalistique. Les investissements sont énormes et les retours sur investissement se déroulent selon des cycles très longs. Dans ce cadre, Areva, par la voix de son ancienne direction, avait demandé à maintes reprises une augmentation substantielle de capital (jusqu'à 3 milliards d'euros) à son actionnaire, l'État. Au lieu de cela, elle a dû accepter de céder la filiale T&D et l'augmentation de capital n'a été que de 900 millions d'euros.

Enfin, s'agissant plus précisément de l'acquisition de la société UraMin, pour qu'elle soit comprise et analysée, elle doit tout d'abord être replacée dans son contexte.

Cette acquisition est intervenue en 2007 dans un contexte d'envolée du cours des matières premières dans leur ensemble. L'uranium n'a pas été épargné ; il avait triplé en un an pour atteindre 120 USD la livre au moment de l'acquisition. Des analyses de l'époque faisaient par ailleurs mention d'un risque de pénurie.

La stratégie d'Areva était claire, cohérente et volontariste. Son objectif était à la fois de sécuriser ses approvisionnements de combustibles, tout en diversifiant ses sources d'extraction : sa mine de Cigar Lake au Canada était en effet fermée suite à une inondation et l'entreprise considérait être trop dépendante du Niger où elle rencontrait des difficultés croissantes pour l'obtention de nouveaux permis d'exploitation.

Cela avait d'ailleurs conduit l'entreprise à examiner d'autres projets d'acquisition dans le passé, dont certains (tels que l'australien Olympic Dam qui aurait possédé 25 % des réserves mondiales) n'ont pu être mis à exécution car, aux dires de l'APE, « insuffisamment instruits, du point de vue de l'APE, et pénalisés par un questionnement excessif de l'actionnaire, du point de vue de l'entreprise. »

Une étude sur les sociétés minières juniors susceptibles d'intéresser Areva a donc été entreprise ; et au vu des capacités financières relativement limitées du groupe, seule UraMin rentrait dans ce cadre.

De nombreuses discussions entourent l'envolée de la valeur du titre UraMin à la bourse de Toronto. Cette dernière est explicable par plusieurs facteurs : d'une part, la hausse vertigineuse du cours de l'uranium, d'autre part, l'intérêt manifesté par Areva en acquérant 5,5 % du capital d'UraMin, et enfin, une communication « habile » des dirigeants d'UraMin. Je signale qu'une sénatrice canadienne s'intéresse aujourd'hui au parcours boursier de cette société.

L'acquisition s'est faite sur la base de plusieurs rapports : le rapport SRK (un cabinet qui fait autorité dans le milieu) mandaté par UraMin ; un rapport de la banque d'affaires Rothschild, plus financier, qui concluait que le prix proposé était « conservateur ». Enfin, dans le rapport d'étape figurant en octobre dans mon rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2012, je m'interrogeais sur le manque de contre-expertise d'Areva. Or, des géologues de l'entreprise se sont penchés sur ce dossier et ont émis quelques réserves.

En ce qui concerne la présentation à l'Agence des participations de l'État et aux organes sociaux d'Areva, il faut prendre en compte l'asymétrie d'information qui intervient inévitablement entre contrôleur et contrôlé. La présentation par Areva de cette future opération a été très complète, comme le reconnaît d'ailleurs l'ancien directeur général de l'APE. Il considère bien « être allé très loin dans l'analyse », évoquant « l'intensité du dialogue » et « le nombre des assurances données ». Néanmoins, il semble bien que les commentaires des géologues d'Areva aient été présentés sous un angle favorable, très technique et gommant quelques aspérités.

Cependant, ces réserves n'étaient pas suffisantes pour refuser l'opération au vu de la masse de documents transmis par l'entreprise. L'opération a été validée par l'APE et le ministre de l'époque. En effet, si aucun arrêté ministériel n'est obligatoire pour la réalisation d'une telle opération, en l'absence de réserve du ministère, nous pouvons considérer que « qui ne dit mot consent ».

Le contexte de 2007, indiqué précédemment, la volonté de l'entreprise de sécuriser ses approvisionnements, la pression des clients et l'habileté des actionnaires d'UraMin ont engendré une hausse, sans doute spéculative, des cours de la société cible.

Qu'en est-il aujourd'hui de l'évaluation des potentialités des trois gisements d'UraMin ?

Ils avaient été présentés par le vendeur et le rapport du cabinet SRK pour une capacité d'extraction de 90 000 tonnes, et acquis sur la base d'une potentialité de 60 000 tonnes retenue par le plan d'affaires, par ailleurs basé sur un cours à 75 dollars la livre. À ce jour, les 60 000 tonnes sont confirmées, mais la répartition par site est différente : moins riche à Trekkopje ; plus généreuse à Bakouma ; très faible, pour ne pas dire inexploitable, en Afrique du Sud. De plus, la qualité et la densité du minerai est faible, voire médiocre, et les coûts d'exploitation supérieurs aux estimations. L'un des sites est difficilement accessible, obérant les coûts de mise en oeuvre et d'extraction.

Ces éléments endogènes et, évidemment, la chute des cours de l'uranium qui a notamment suivi l'accident au Japon (le cours actuel se situe aux environs de 50 dollars) rendent l'opération UraMin périlleuse, d'autant plus que le goodwill versé lors de l'acquisition tenait compte d'une mise en exploitation et d'une production rapides. Or, compte tenu des éléments précités, le coût d'extraction comparé aux cours actuels du minerai ne permet plus – pour l'instant, espérons-le – de réaliser les investissements nécessaires pour assurer la production dans des conditions économiques viables.

Selon les dirigeants d'Areva, la dégradation des actifs d'UraMin opérée depuis deux exercices se rapporte pour 40 % aux gisements et pour 60 % à l'impact et aux conséquences de la chute des cours. Ces provisions, conjuguées aux décaissements nécessaires pour faire face au surcoût de l'EPR finlandais dont le coût est passé de 3 à 6 milliards d'euros, rendent la situation financière d'Areva difficile.

Cela aboutit à la révision du plan stratégique du groupe et suppose des économies substantielles sur les frais de fonctionnement et des choix dans les investissements.

Que conclure, à la date d'aujourd'hui, sur cette acquisition avec les éléments dont nous disposons ? Une acquisition payée chère. Trop chère ? L'avenir le dira. Pas assez de vigilance en interne et en externe. Pourquoi l'APE ne s'est-elle pas entourée de conseils d'experts, tels que le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM ? Et pourquoi l'APE n'a-t-elle pas vérifié les affirmations de l'entreprise sur la revente imminente de 49 % des parts d'UraMin à un consortium chinois ?

De plus, en dehors de cette étude factuelle sur l'acquisition d'UraMin, l'APE devrait pouvoir analyser les conséquences pour l'entreprise d'une stratégie qui comprenait à la fois ses acquisitions et des risques industriels pris à travers la mise au point et la construction d'une centrale de nouvelle génération : le prototype de l'EPR.

Pour mener à bien cette stratégie, il eût fallu renforcer les fonds propres du groupe avec une augmentation substantielle du capital ; précisons que la présidente avait sollicité de 1,5 à 3 milliards d'euros.

Tout cela pose globalement la question du rôle de l'APE et de la gouvernance des entreprises publiques.

Il n'en reste pas moins que la stratégie intégrée d'Areva présente des avantages et que les perspectives du groupe sont intéressantes, nonobstant un renforcement des fonds propres qui devra se réaliser car l'intensité capitalistique du secteur ne peut être ignorée.

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