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Intervention de éric Lajesse

Réunion du 6 mars 2012 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

éric Lajesse, vice-président des Distributeurs indépendants réunis européens, DIRE :

DIRE regroupe douze sociétés de distribution indépendantes, dont Pyramide, Les films du Losange ou Haut et Court par exemple, qui ont « sorti » entre autres films Habemus Papam de Nanni Moretti, L'exercice de l'État de Pierre Schoeller, Melancholia de Lars von Trier, Une Séparation de Asghar Farhadi ou Le Havre d'Aki Kaurismäki. Notre part de marché avoisine 8 %.

Pour dresser un bilan de cette mutation profonde que connaît le secteur, il faut d'abord se demander si les objectifs visés par la loi – et approuvés par l'ensemble de la filière, distributeurs en tête – ont bien été atteints.

Le premier était de réaliser la mutation de l'ensemble du parc dans les meilleurs délais. De ce point de vue, l'organisation économique retenue a porté ses fruits, avec d'une part la forte contribution des distributeurs à l'équipement des salles et, d'autre part, le plan d'aide sélective à l'équipement mis en place par le CNC. On estime que la quasi-totalité des salles seront équipées dans six mois, soit deux ans seulement après la promulgation de la loi.

Ensuite, il fallait prendre garde à ne pas déstabiliser les différents acteurs. Préserver la maîtrise des exploitants sur leur offre de films et celle des distributeurs sur leurs plans de sorties était donc un autre objectif essentiel, lui aussi globalement atteint. Les dispositions de la loi ont permis la déconnexion entre la fixation et le versement des VPF, d'une part, et les choix de distribution ou de programmation, d'autre part. Enfin, le Médiateur a joué un rôle très positif dans les quelques affaires qui lui ont été soumises.

En revanche, nous conservons de fortes interrogations sur trois points cruciaux. Le premier, ce sont les conditions de négociation des VPF. Si la loi précise que le montant de cette contribution doit être négocié entre les parties à des conditions équitables, transparentes et objectives, la réalité a plutôt été celle du rapport de forces classique, déterminé par la taille des opérateurs. Les salles appartenant à des groupes ont obtenu des distributeurs les VPF les plus élevés et un taux de couverture des équipements qui peut approcher de 90 %. Il est bien difficile alors de faire le lien entre la réalité des coûts et celle des économies réalisées par les opérateurs…

Deuxième difficulté : la loi prévoit que les distributeurs doivent pouvoir suivre précisément l'amortissement des équipements numériques qu'ils financent. Michel Herbillon avait proposé qu'ils puissent demander l'aide du CNC à cet effet. Je confirme que, comme il l'avait prévu, les distributeurs indépendants n'ont pas les moyens de vérifier, en cette matière complexe, les informations transmises par les exploitants ou par les tiers investisseurs : plafonds, dépenses éligibles, taux de couverture, autres sources de contribution… Je souhaite donc que le comité de concertation constitué par le CNC se saisisse du sujet et, en particulier, qu'il tienne compte des ressources perçues par les salles auprès d'acteurs extérieurs à la filière cinématographique, par le biais du « hors film ». Ce suivi est d'autant plus indispensable que les équipements seront amortis bien avant le terme des dix ans fixé par la loi, en raison de l'accélération de la rotation des films.

Enfin, la caisse de répartition envisagée par le législateur pour redistribuer les VPF en cas d'élargissement ou de continuation de la programmation n'est pas encore en place et la complexité du système imaginé fait douter qu'elle le soit jamais. Nous souhaitons que le comité de concertation analyse les pratiques des acteurs et propose les mesures de simplification nécessaires.

J'en viens aux conséquences économiques de la mutation pour les distributeurs indépendants, conséquences dont certaines n'avaient pas été anticipées. Le postulat de départ était que le numérique ferait réaliser de très importantes économies aux distributeurs et qu'ils devaient donc, et par voie de conséquence les producteurs avec eux, contribuer à cette mutation. Le raisonnement était en grande partie fondé – et c'est pourquoi les distributeurs ont accepté cette mécanique –, mais l'expérience des derniers mois montre qu'il doit être nuancé.

D'abord, de nouveaux coûts de gestion sont apparus au sein des sociétés de distribution. Des recrutements sont ainsi en cours pour assurer le suivi des DCP (Digital Cinema Package), c'est-à-dire des masters numériques, ce qui à l'échelle de nos sociétés entraîne une augmentation non négligeable de la masse salariale. On assiste d'autre part depuis plusieurs semaines à des transferts de coûts des exploitants vers les distributeurs, en particulier pour ce qui est du transport des DCP. On envisage certes de développer les plateformes de diffusion pour parvenir à une dématérialisation totale de la transmission des oeuvres aux salles, mais même cela ne se fera pas à coût nul. Quoi qu'il en soit, on peut penser que certaines catégories d'exploitants ont vu une partie de leurs coûts de fonctionnement diminuer. DIRE est donc favorable à un audit du CNC sur ces mouvements de coûts et sur la réalité des économies réalisées par les différentes parties.

Ensuite, le numérique, par la dématérialisation du support, a encore accentué le déséquilibre déjà très grand entre distributeurs indépendants et grandes exploitations ou groupes intégrés : déprogrammations sauvages en cours de semaine, développement du hors film, accélération du turn-over accentuant la concentration et condamnant encore plus radicalement les films les plus fragiles… Les distributeurs ont les plus grandes difficultés à suivre la réalité de la programmation. Leur visibilité, lorsqu'ils définissent leur plan de sorties et les investissements nécessaires, est de plus en plus faible. Ils supportent des frais de sortie croissants alors que leur capacité d'amortissement devient de plus en plus aléatoire. Cet effet indirect du tout numérique aura un fort impact sur l'équilibre de ces sociétés. Les phénomènes déjà constatés de stagnation de la recette moyenne par spectateur et de diminution du nombre total d'entrées par film – à l'exception d'un ou deux chaque année, qui nous permettent de préserver globalement notre faible part de marché – vont aller en s'amplifiant.

C'est pourquoi la réforme de l'aide à la distribution engagée par le CNC est pour nous cruciale. Je tiens à remercier Éric Garandeau et Olivier Wotling, directeur du cinéma du CNC, pour la qualité de nos échanges à ce sujet et j'espère qu'il sera pleinement tenu compte de la situation que je viens de décrire.

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