Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Didier Mathus

Réunion du 6 mars 2012 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus, co-rapporteur :

Le premier moyen utilisé par les pays émergents est la diplomatie culturelle qui s'appuie sur un réseau d'influence. En Chine, le dispositif s'articule autour des neuf centres culturels et des Instituts Confucius, même si ces derniers ont d'abord une vocation linguistique sur laquelle je reviendrai. La politique culturelle brésilienne va de pair avec l'expansion diplomatique : 68 ambassades ont été créées récemment, souvent avec une dimension culturelle. Le gouvernement russe mise principalement sur la promotion de la langue russe. La Russie est néanmoins implantée dans 74 pays au travers de 58 centres culturels et 25 représentations. Des efforts massifs sont donc déployés par tous ces pays à l'exception de l'Inde pour laquelle l'effort gouvernemental est plus modeste et de l'Afrique du Sud dont la préoccupation culturelle est embryonnaire.

Le soft power indien s'exerce grâce au secteur privé au travers de Bollywood et du cinéma indien. Si celui-ci est d'abord destiné au marché intérieur, il est ensuite diffusé auprès de la diaspora qui contribue ensuite à propager une image de l'Inde dans le monde qui est d'ailleurs modérément appréciée par les élites indiennes. Au Brésil aussi, les sociétés privées, par le biais des telenovelas, qui sont commercialisées dans le monde entier et connaissent un succès incroyable, participent de l'influence culturelle du pays.

Tous les pays ont également mobilisé les outils traditionnels d'influence que sont notamment la langue et la religion. Selon Claude Hagège, pour lequel la bataille de la langue est centrale, la stratégie chinoise constitue en réalité une offensive contre l'anglais. Les Instituts Confucius, qui ont pour principal voire unique objet d'enseigner le chinois, ont connu une croissance spectaculaire. De 6 en 2005, ils sont passés à 358 en 2010, répartis dans 105 pays. On compte également 500 classes Confucius. 4 000 enseignants chinois sont envoyés par le Hanban, le bureau de promotion internationale de la langue chinoise relevant du ministère de l'éducation nationale, pour dispenser des cours à plus de 360 000 étudiants. 167 millions de dollars ont été consacrés en 2010 au réseau Confucius.

La Russie attache une grande importance à sa présence à l'étranger au travers de l'église orthodoxe. Outre le projet de construction d'une église à Paris, le gouvernement a soutenu des nombreux projets de rénovation dans le monde considérant que ces édifices sont un élément de diffusion de la culture russe.

Les pays émergents s'appuient également sur leur diaspora à laquelle ils accordent beaucoup d'attention. C'est particulièrement vrai pour la Chine et l'Inde qui figurent parmi les communautés les plus importantes à l'étranger mais aussi pour la Russie.

Après la langue, les médias constituent le deuxième axe majeur de la politique chinoise d'influence culturelle. La Chine a annoncé en 2008 vouloir consacrer cinq milliards d'euros au développement de ses médias à vocation internationale parmi lesquels :

– China Radio International qui émet dans 43 langues contre 12 pour Radio France Internationale ;

– l'agence de presse Xinhua qui compte 12 600 employés dont 4 700 journalistes et 400 correspondants dans le monde. Elle dispose de 141 bureaux à l'étranger et diffuse des informations en huit langues et dans tous les formats ;

– CCTV (China central television), télévision nationale qui émet via cinq canaux à l'étranger (anglophone, francophone depuis 2007, hispanophone, arabophone et russe) ;

– CNC World, chaîne d'information en continu, lancée par l'agence de presse Xinhua, en juillet 2010, disponible en anglais et en chinois et bientôt en français, espagnol et arabe.

On peut citer également le puissant Shanghai Media Group, empire de la télévision, de la radio et d'internet détenu par les autorités de Shanghai ou encore les éditions en langue anglaise de deux quotidiens nationaux, China Daily et Global Times, ce dernier appartenant au Quotidien du peuple, journal gouvernemental.

Les efforts déployés dans ce domaine ont été dopés par les Jeux Olympiques de Pékin. A cette occasion, les Chinois ont pris conscience de leur image négative et de la nécessité d'y remédier par des moyens médiatiques. Le spectaculaire développement des médias chinois en Afrique vise, en outre, à accompagner la politique de conquête économique.

Au Brésil, la télévision TV Brasil, créée il y a deux ans seulement, a vocation à diffuser les programmes brésiliens à l'étranger mais ce sont surtout les chaînes privées qui sont fortes, à l'instar de TV Globo, qui est depuis longtemps le principal producteur de programmes brésiliens. La Russie a créé la chaîne Russia Today, qui est diffusée en anglais, en arabe et en espagnol.

L'art est également un domaine, plus inattendu, grâce auquel certains pays émergents cherchent à développer leur influence culturelle. C'est notamment le cas de Singapour et du salon d'art contemporain « Art stage Singapour ». Malgré son développement économique fulgurant, Singapour jouissait d'une image terne. La cité-Etat a choisi la politique artistique pour l'améliorer. Elle était à la recherche d'éléments de prestige pour rayonner sur le continent asiatique. « Art stage Singapour » est aujourd'hui l'une des deux grandes foires d'art contemporain en Asie avec Hong-Kong. Parallèlement à cette manifestation, Singapour a créé un « free port », qui consiste en un hangar blindé dans lequel sont entreposés des tableaux confiés par des milliardaires asiatiques. L'hôtel qui jouxte le « port » leur permet de venir admirer leurs oeuvres quand ils le souhaitent. L'art est utilisé uniquement comme un instrument de développement économique ; la foire d'art contemporain est d'ailleurs organisée par l'Economic Board Developpement (EDB), l'agence économique gouvernementale.

Le cinéma est une industrie plus difficile à développer que la télévision car elle exige d'importants capitaux. J'ai déjà évoqué le cas de l'Inde. La Chine cherche à développer sa production cinématographique mais est confrontée à des difficultés d'ordre créatif.

Le dernier vecteur des politiques d'influence culturelle est l'organisation de grands événements internationaux, comme les Jeux olympiques de Pékin. Ces événements constituent pour les pays émergents des moments–clés pour intensifier leur rayonnement culturel.

Tous les éléments que je viens de présenter doivent être mis en rapport avec la politique actuelle des grandes puissances. Je pense notamment à l'exemple de la France qui connaît une baisse constante des crédits de la présence culturelle. Le Royaume-Uni et l'Allemagne subissent les mêmes contraintes.

Dans le même temps, les pays émergents consentent des efforts massifs. Il faudra lors de la prochaine législature garder un oeil attentif sur ces questions. Il faut continuer à s'interroger sur l'intérêt des puissances émergentes pour l'influence culturelle mais aussi sur les moyens mis en oeuvre. Ces pays ont été très marqués par l'exemple américain des années 50. Ils essaient aujourd'hui d'en tirer les leçons et d'intensifier leurs efforts dans toutes les directions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion