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Intervention de Chantal Bourragué

Réunion du 6 mars 2012 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Bourragué, co-rapporteure :

Il est symbolique que nous achevions cette législature avec un rapport sur un sujet qui sera l'une des grandes questions du siècle à venir. Contrairement aux grandes puissances qui diminuent leurs efforts en matière culturelle, les BRIC'S ont multiplié les initiatives en faveur de leur rayonnement culturel. Celles que nous appellerons les puissances de second rang ont toutes compris l'intérêt de la culture pour déployer leur influence sur la scène internationale. La réussite économique, la satisfaction des besoins intérieurs nouveaux que celle-ci a créés, la volonté de contenir l'influence américaine comme les opportunités offertes par l'ère numérique ont convaincu les pays qui en étaient dépourvus jusqu'à présent, de se doter d'une offre culturelle susceptible de séduire le reste du monde.

La Chine a de manière spectaculaire confirmé ses ambitions en la matière en consacrant le 6èmePlenum du 17ème Congrès du comité central du parti communiste chinois, en octobre 2011, à la « réforme du système culturel » et à la « promotion du développement d'une culture socialiste florissante ».

Parmi les nombreux motifs qui justifient l'intérêt des gouvernements des pays émergents pour la culture et sa mise au service de la politique d'influence, nous avons pu constater le poids écrasant de l'économie. Parallèlement, ces pays ont conscience que le succès économique ne leur confère pas la légitimité suffisante pour s'affirmer comme puissance sur la scène internationale. Les attributs culturels peuvent en revanche y contribuer de même qu'ils aident à construire une image du pays pour le reste du monde.

Dans les entretiens que nous avons menés, nous avons été frappés par l'association presque constante de l'économie à la préoccupation culturelle. La plupart des interlocuteurs ont souligné le lien, de causalité en premier lieu puis en second lieu de subordination, qui existe entre les deux. Le développement économique fait apparaître des lacunes culturelles qui font figure de handicap pour la reconnaissance du pays sur la scène internationale et ne répondent pas aux aspirations populaires. Parallèlement, les autorités prennent conscience que la culture peut être un puissant levier pour consolider le développement économique.

En premier lieu, sur le plan intérieur, l'essor économique rend nécessaire le développement de la culture qui peut à son tour l'amplifier.

La corrélation entre la politique culturelle et la montée en puissance économique des pays est établie. Les observateurs s'accordent pour dater des Jeux olympiques de Pékin la première étape de la stratégie d'influence d'une Chine rendue confiante et décomplexée par ses succès économiques.

Mais il existe également un lien entre marchés émergents et marchés culturels émergents. Les marchés culturels sont particulièrement porteurs d'autant qu'il est loisible aux pays émergents de se positionner sur des segments de production culturelle à forte visibilité.

La croissance permet en outre de consacrer des moyens à la cause culturelle. Comme on nous l'a fait remarquer en Chine, la promotion de la culture est devenue une priorité pour la France à l'issue des trente glorieuses.

En second lieu, le développement économique est intervenu dans un environnement porteur pour les ambitions internationales. L'ère numérique et la mondialisation des idées sont propices à la diffusion des cultures. Internet n'est pas comme dans les pays occidentaux perçu comme une menace mais comme le futur outil de leur influence culturelle et économique.

En troisième lieu, l'intérêt pour la culture est très lié aux perspectives économiques que celle-ci offre. La Chine entend faire de la culture un des piliers de son économie future. La politique chinoise prônée lors du Plenum encourage ainsi le développement d'un service public culturel mais aussi d'industries culturelles. Cette incitation publique n'a pas cours dans tous les pays émergents. L'Inde préfère exporter les sciences et les technologies que le cinéma de Bollywood tandis qu'au Brésil, les industries culturelles se développent sans intervention de la puissance publique.

Singapour est un parfait exemple des visées économiques qui sous-tendent le plus souvent le développement culturel. Pour les autorités singapouriennes, l'action culturelle qui est une préoccupation très récente, doit servir le développement économique.

Enfin, l'essor économique et l'augmentation du niveau de vie corrélative créent des besoins nouveaux dans la population que le gouvernement doit satisfaire. C'est ce qui a motivé, d'après nos entretiens, l'intérêt porté à la culture lors du 6èmePlenum.

Pour les responsables chinois, la culture est nécessaire au développement harmonieux et pacifique de la société. Ce souci de stabilité de la société est également présent dans un pays comme Singapour.

Les pays émergents sont parallèlement parvenus à la conclusion que l'économie n'est pas un argument suffisant pour prétendre à l'acquisition d'une place sur la scène internationale. Le rayonnement culturel fait figure pour eux de sésame pour la reconnaissance de leur nouveau statut mais aussi pour leur acceptation par l'opinion publique internationale. Insérés dans le jeu international, les pays émergents peuvent affirmer la singularité et l'importance de leur culture face à l'irrémédiable influence américaine.

En premier lieu, tirant les leçons du modèle occidental qu'ils rejettent pourtant pour certains d'entre eux, les pays émergents font l'analyse que la culture est une carte de visite. Le rayonnement culturel est une condition d'accès au club des puissances, régionales dans un premier temps. Cela explique en partie le grand intérêt qu'ils manifestent pour l'Afrique.

Pour un pays comme la Russie, il s'agit plus de reconquérir une puissance entamée depuis la fin de l'ère soviétique en consolidant l'ère russe. La politique d'influence culturelle russe est donc principalement dirigée vers les éléments russes de l'étranger.

L'Afrique du Sud, quant à elle, forte de son poids économique et de son autorité morale liée à la fin de l'apartheid, entend jouer un rôle majeur en Afrique.

Dans le cas de Singapour, il s'agit de conquérir une place sur la scène internationale. Rien ne prédisposait en effet Singapour à devenir un acteur incontournable de l'art contemporain, si ce n'est son besoin de reconnaissance. Les autorités cherchent également à contester à Hong-Kong le rôle de plateforme stratégique du Sud-Est asiatique en améliorant son attractivité.

Pour de nombreux observateurs, le soft power chinois correspond à une stratégie défensive qui vise à rassurer le monde sur les intentions belliqueuses ou hégémoniques qui lui sont souvent prêtées. Les interlocuteurs chinois rencontrés par la Mission ont en effet tous insisté sur la volonté de leur pays de connaître un développement « pacifique ». Nous avons d'ailleurs ressenti en Chine un « besoin d'être aimé ».

La Chine a été surprise de découvrir l'image négative qui était renvoyée d'elle dans le monde. Un diplomate français nous a rappelé que les Chinois étaient aimés quand la Chine était un pays tiers-mondiste ou maoïste. Depuis, leur image s'est singulièrement ternie. Les Chinois ont le sentiment d'être victimes d'un complot visant à les empêcher d'être la puissance à laquelle ils aspirent.

Les Chinois cherchent également à adoucir leur image, en Occident, de pilleur de ressources en Afrique en mettant en avant une philosophie différente de celle des anciens colonisateurs : la diffusion de la culture chinoise y est toujours, selon eux, une réponse à une demande locale et non la conséquence d'une priorité stratégique. Les autres pays émergents du Sud tiennent également, en direction de l'Afrique notamment, un discours qui vise à les démarquer des pays occidentaux, en dépit d'une pratique qui s'en rapproche.

L'Afrique du Sud cherche également à redorer son image écornée de nation arc-en-ciel.

Avant même d'envisager de diffuser leur culture hors de leurs frontières, les pays émergents songent à la protéger contre les assauts de la culture mainstream.

A l'origine du soft power, se trouve toujours la volonté de construire un marché domestique puissant (parce que cela répond à la demande de la population et assure des revenus conséquents) mais aussi parce que cela permet de promouvoir et défendre les valeurs nationales mises en danger par l'influence américaine. Cela est très vrai pour la Chine et les pays arabes, beaucoup moins pour l'Amérique latine qui entretient des relations ambiguës avec les Etats-Unis et encore moins pour l'Inde dont le véritable ennemi est la Chine. Paradoxalement, les Chinois sont fascinés par les Etats-Unis qui servent de modèle pour le développement des industries culturelles.

La Chine se veut toutefois la championne de la diversité culturelle, vantant en cela sa proximité avec la France. Elle plaide aussi pour la sauvegarde de sa souveraineté, parfois qualifiée de sécurité, culturelle. Autant d'arguments pour lutter contre la domination du modèle culturel anglo-saxon qui séduit pourtant la population.

Les Chinois veulent changer de paradigme culturel en mettant fin aux standards occidentaux. Ils considèrent que c'est désormais leur tour de définir les standards et que l'ordre international défini par l'Occident a vécu. Ils sont à la recherche d'un équilibre entre le rayonnement culturel et la lutte contre la « pollution intellectuelle » occidentale.

Je laisse maintenant la parole à M. Mathus pour vous présenter les moyens mis en oeuvre par les pays émergents pour développer leur influence culturelle.

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