Je voudrais revenir sur l' « obstination déraisonnable » évoquée par le rapport. Le rôle d'un médecin, c'est d'être obstiné. Je ne vois pas en quoi l'obstination serait une attitude déraisonnable. Pour moi qui suis médecin, l'objectif d'un médecin doit être de maintenir son malade en vie. Je me limiterai à citer quatre exemples d' « obstination déraisonnable » qui ont entraîné des progrès de la médecine que plus personne ne conteste.
Le premier remonte au XIXème siècle, époque des premières tentatives de sutures du coeur. Un grand chirurgien anglais, Theodor Billroth, avait alors dit que tout chirurgien qui voudrait faire une suture du coeur perdrait l'estime de ses confrères. Or, aujourd'hui, même si cette opération est rare en raison du caractère très spécifique des situations qui l'imposent, elle se pratique.
Le deuxième exemple concerne la leucémie aiguë de l'enfant. Lorsque Jean Bernard a réalisé les premières exsanguino-transfusions, il a permis à un enfant de vivre trois semaines supplémentaires et a alors été critiqué par tous ses confrères. Or, aujourd'hui, la plupart des enfants atteints de leucémie – maladie mortelle à l'époque où j'étais jeune étudiant en médecine – sont en situation de rémission prolongée, voire de guérison.
Le troisième exemple est celui des transplantations cardiaques. Aucun comité d'éthique n'aurait donné à Christian Barnard l'autorisation de réaliser la première de ces transplantations. Alors que son maître, Norman Shumway, qui avait réalisé toute l'expérimentation animale, n'avait jamais franchi le pas, Barnard l'a fait à une époque où la cyclosporine n'était pas connue et où le rejet était donc quasi systématique. Certes, son malade n'a survécu que trois semaines, mais s'il n'avait pas effectué la première transplantation cardiaque, la cyclosporine aurait-elle été découverte ? La transplantation cardiaque n'est-elle pas devenue un espoir pour les malades ?
Enfin, lorsque le chirurgien français Jean-Louis Lortat-Jacob a réalisé les premières chirurgies du cancer de l'oesophage, ses quarante premiers malades sont morts. La petite histoire dit qu'il l'avait fait savoir au quarante-et-unième, qui l'interrogeait sur ses chances de survie. Ce malade a néanmoins accepté l'opération, et a survécu – assez brièvement, il est vrai, car le cancer de l'oesophage reste un cancer extrêmement grave.
Autrement dit, pour moi qui suis médecin, il n'y a pas d' « obstination déraisonnable ». Ce sont les progrès de la médecine qui sont en jeu.