Nul doute que nous abordons, ce soir, un texte qui trouve aussi son origine dans une commande politique. Ni proposition de loi ni projet de loi, ce texte devrait plutôt s'intituler « Opportunité politique d'un Président de la République en campagne ». Cette initiative, il ne l'a pas prise en temps ordinaire, au cours de la législature. Les textes qui se sont succédé ont plutôt fait la part belle à l'assouplissement du droit des sociétés ou au desserrement de la vie des affaires, bref au libéralisme toujours paré de ses vertus émancipatrices. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir dénoncé à chaque fois les comportements sans scrupule d'entreprises aux dirigeants masqués, dirigeants procédant, ici, à des licenciements d'économie plutôt qu'à des licenciements économiques – je pense à toutes ces femmes salariées d'Aubade – là, à des détournements d'actifs ou à des surfacturations de services pour réduire les résultats et éviter de verser la participation. Je pense à la société Montupet ou à l'usine Fonderie du Poitou, pour ne citer que les entreprises de mon département. Nous sommes nombreux sur tous les bancs, mes chers collègues, à avoir connu dans nos circonscriptions de tels comportements qui ont mis à mal notre potentiel industriel national. Vous le savez tous ici, mais n'avez jamais eu le courage politique de vous y opposer, par complaisance ou par dogmatisme, les deux parfois.
Quand les échéances électorales approchent et que le libéralisme se fait à ce point arrogant qu'on évoque la faillite frauduleuse pour qualifier un comportement jusqu'alors impuni, on se dit qu'il faut se méfier de ce sursaut de vertu. En effet, si ce texte se veut répondre à une urgence sociale, pour autant le mot salarié n'y figure pas. De quoi s'agit-il ? D'introduire, dans le droit des procédures collectives affectant la vie des entreprises, des mesures permettant de faire obstacle à ce que des tiers prélèvent les actifs de l'entreprise défaillante, organisent leur protection ou privent l'entreprise de toute possibilité de répondre à certaines de ses obligations. Ainsi, avec ce texte, comme dans la liquidation judiciaire, faculté sera donnée aux personnes pouvant exercer des mesures conservatoires d'y procéder, même dans une procédure de sauvegarde ou de redressement.
L'action en extension à la personne du ou des dirigeants ne doit pas se cantonner, pour être efficace, au seul comblement du passif, parce qu'il est déjà trop tard ! Si faute il y a, il convient d'appréhender le plus tôt possible les actifs du débiteur en procédant aux mesures conservatoires préalables qui permettront, une fois la faute reconnue, de restituer à l'entreprise les actifs détournés. Cette mesure se veut curative en ce sens qu'elle doit permettre de retrouver dans les actifs sociaux ce qui aurait été détourné abusivement. Elle se veut aussi préventive en ce sens qu'elle devra dissuader les dirigeants d'y procéder. Si nous en avions eu le temps, nous aurions pu également travailler sur le versant pénal de ce texte pour qualifier les comportements délictueux. La substance même de l'entreprise doit être protégée des agissements frauduleux de ses dirigeants et pas seulement quand a sonné l'heure de la liquidation pour désintéresser les créanciers.
En effet, de nouveaux comportements sont apparus chez les repreneurs. Ils aboutissent à convertir en dividendes la cession d'éléments d'actifs et à appauvrir l'outil de production, lequel, non renouvelé, perdra son efficacité économique. Les salariés le constatent chaque jour sans avoir les moyens de le dénoncer. Il faut leur ouvrir un droit de suite sur les biens ainsi détournés, notamment quand le tribunal aura opportunément fait remonter la date de cessation des paiements à une date antérieure à celle du dépôt de bilan. Qui mieux que les salariés et leurs représentants est à même d'agir dans l'urgence ? Un mandataire devra préalablement procéder à son rapport d'audit avant d'agir. Un juge devra se faire sa propre opinion avant d'y procéder lui-même. Les salariés, eux, seront les premières sentinelles et pourront agir rapidement. Il en va de l'intérêt de tous : l'emploi qu'il convient de maintenir ; l'entreprise qu'il convient de sauvegarder ; les créanciers qu'il conviendra de désintéresser. Ce sont, je le rappelle, les objectifs assignés par les textes sur la prévention, la sauvegarde et le redressement des entreprises.
Cette proposition de loi constitue un élément utile à la réalisation de ces objectifs pour autant que confiance soit donnée à tous ceux qui ont pour mission d'agir en ce sens. Mais d'autres situations méritent que le législateur intervienne. On ne peut plus laisser fermer des entreprises sur notre territoire sans qu'aient été préalablement mis en oeuvre tous les moyens pour trouver un repreneur. Il en va ainsi des entreprises qui font de la fermeture d'un site de production un simple acte de gestion délaissant ainsi l'emploi sans autre forme de procès. Le législateur ne peut laisser les restructurations industrielles se faire sans contrôle, aboutissant au paradoxe qu'une entreprise en difficulté, selon l'expression du professeur Derrida est « à vendre sinon à reprendre » alors qu'une entreprise saine serait susceptible d'être liquidée sans préalable. La mise en perspective de ces deux situations doit nous conduire à intervenir aussi en ce domaine. L'intervention du tribunal de commerce saisi à l'initiative de l'entreprise ou du comité d'entreprise permettra aussi de répondre aux objectifs de maintien de l'emploi et de l'entreprise qu'il a l'habitude d'apprécier dans le cadre des procédures collectives. Il n'y a, ici, qu'une suite logique à respecter que commandent l'intérêt général et l'intérêt national. C'est tout le sens des amendements que nous déposerons pour enrichir votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)