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Intervention de Françoise Guégot

Réunion du 28 février 2012 à 21h45
Mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde de redressement ou de liquidation judiciaires — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Guégot, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner ce soir, dont je suis l'auteur, avec mes collègues de Seine-Maritime, Jean-Yves Besselat, Daniel Fidelin, Michel Lejeune et Alfred Trassy-Paillogues, est d'apparence technique. Il s'agit, en réalité, d'un texte stratégique, dont l'adoption est urgente dans le contexte actuel, marqué notamment par les difficultés que doivent affronter l'entreprise Petroplus et ses 550 salariés.

Ce texte constitue en effet une démonstration que l'État n'est pas impuissant face aux difficultés de nos entreprises, industrielles en particulier, et de leurs salariés. Il peut et doit agir, notamment en faisant évoluer le cadre législatif et réglementaire applicable afin de sanctionner les abus commis par certains.

L'actualité récente fournit, hélas, de nombreux exemples de situations dans lesquelles des tiers ont prélevé les actifs de sociétés défaillantes, organisant leur protection face au risque de voir leur responsabilité engagée ou privant l'entreprise concernée de toute possibilité de répondre à ses obligations, notamment environnementales.

La raffinerie de Petit-Couronne, en Seine-Maritime, appartenant au groupe suisse Petroplus, placée en redressement judiciaire le 24 janvier 2012, a ainsi vu ses comptes en France vidés de la totalité de sa trésorerie par les banques de sa société mère quelques heures avant le dépôt de bilan. Le montant appréhendé par l'une de ces banques s'élève ainsi à 171 millions d'euros.

Le groupe Petroplus, propriétaire des stocks de pétrole brut présents sur le site, qui s'élèveraient à 200 millions d'euros, ne semble prêt à assumer ni sa responsabilité sociale à l'égard des 550 personnes employées par sa filiale française ni sa responsabilité environnementale et les risques de pollution liés à la vétusté du site.

Dans l'affaire Sodimédical, société spécialisée dans la fabrication de matériel médical, dont le siège est à Troyes, le tribunal, puis la cour d'appel de Reims, ont considéré que la société grand-mère de droit allemand et la société mère dépendant du tribunal de commerce d'Épinal avaient artificiellement conduit la société Sodimédical aux difficultés de trésorerie qu'elle invoquait pour justifier sa demande d'ouverture d'une procédure collective.

Ces juridictions ont jugé que la défaillance de la filiale avait été déclenchée pour permettre la prise en charge des coûts salariaux par le régime de garantie de salaires, l'AGS.

Je pourrais malheureusement multiplier les illustrations de ce phénomène conduisant des multinationales à mettre en cause la survie de leurs filiales et d'entreprises, souvent performantes et même parfois bénéficiaires, sans tenir compte de leurs responsabilités.

Les pouvoirs publics ne sauraient rester inactifs face à ces situations.

La présente proposition vise à faire face efficacement aux comportements abusifs de ces tiers, en permettant l'adoption de toute mesure conservatoire utile à l'égard de leurs biens. Le code de commerce présente en effet une lacune sur ce point, à laquelle il est urgent de mettre un terme.

En l'état actuel du droit, des mesures conservatoires spécifiques, dérogatoires au droit commun des procédures civiles d'exécution, peuvent être adoptées au stade de la liquidation judiciaire, dans le cadre d'une action en comblement de passif, engagée contre les dirigeants de droit ou de fait de l'entreprise en difficulté, en application de l'article L. 651-4 du code de commerce.

Ce texte autorise en effet le président du tribunal à prendre « toute mesure conservatoire utile » à l'égard des biens des dirigeants concernés. Des saisies conservatoires et des sûretés judiciaires peuvent ainsi être prises, afin d'empêcher ces dirigeants d'organiser leur insolvabilité. Elles permettent, par exemple, de saisir les comptes bancaires d'un dirigeant ayant commis une faute de gestion, ou d'obtenir l'inscription d'une hypothèque provisoire sur ses biens immobiliers.

Ce texte n'est cependant applicable ni au stade de la sauvegarde ni à celui du redressement judiciaire. Pourtant, des tiers – société mère de l'entreprise ; banque s'étant immiscée dans sa gestion ; véritable maître de l'affaire, masqué derrière l'entreprise défaillante en cas de fictivité de cette personne morale, par exemple –, ou des dirigeants de droit ou de fait, peuvent évidemment avoir contribué aux difficultés ou à la cessation des paiements de l'entreprise dans ces procédures également, et chercher à échapper à leurs responsabilités en mettant leurs actifs hors d'atteinte.

Le droit commun des procédures civiles d'exécution ne permet généralement pas d'adopter des mesures conservatoires dans ces cas, car les conditions exigées par l'article 67 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, à savoir la démonstration d'une créance fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, sont difficilement remplies dans ce contexte.

C'est pour ces raisons que l'article 1er et l'article 2 de la proposition de loi transposent, en premier lieu, le dispositif prévu à l'article L. 651-4 du code de commerce aux extensions de procédure, c'est-à-dire aux actions permettant d'étendre une procédure collective déjà ouverte à l'encontre d'une personne à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale, et aux actions en responsabilité délictuelle intentées, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, contre des dirigeants de droit ou de fait.

Les mesures conservatoires indispensables pourront ainsi être prises dès le stade de la sauvegarde et du redressement judiciaire. L'article 3 permet, par ailleurs, de maintenir ces mesures conservatoires lors de la liquidation judiciaire, si une action en comblement de passif a été introduite.

L'article 4 met en place, en second lieu, un dispositif, strictement encadré, autorisant la cession judiciaire de deux catégories de biens ayant fait l'objet de ces mesures conservatoires. Ce dispositif est entouré d'importantes garanties, que la commission des lois a renforcées ce matin, afin d'assurer le respect du droit de propriété, protégé par notre Constitution, et plus précisément, par l'article 17 de la Déclaration de 1789, et par la convention européenne des droits de l'homme.

La première de ces garanties est que seuls les biens dont la conservation ou la détention génère des frais ou qui sont susceptibles de dépérissement pourront ainsi être cédés.

La deuxième garantie est que la cession devra être autorisée par le juge-commissaire. La commission des lois a renforcé la portée de cette autorisation – répondant d'ailleurs par là même à une préoccupation exprimée par notre collègue Michel Hunault –, en précisant que la cession devra être opérée aux prix et aux conditions déterminées par le juge-commissaire.

Troisième garantie : les sommes provenant de cette cession seront placées en compte de dépôt auprès de la Caisse des dépôts et consignations. La commission des lois a expressément consacré ce principe, en adoptant un amendement sur ce point, afin d'éviter toute ambiguïté.

Ce principe ne sera cependant pas intangible, puisque, y dérogeant, il sera possible d'affecter tout ou partie des sommes provenant de la cession au paiement des frais engagés par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur pour les besoins de la gestion des affaires du propriétaire des biens.

Le recours à la notion de gestion d'affaires, reprise des articles 1372 à 1 375 du code civil, imposera que les actes de gestion pris soient utiles et opportuns pour le propriétaire des biens cédés, dont les intérêts seront ainsi préservés. Les dépenses rendues nécessaires pour prévenir des risques imminents générés par les biens saisis, comme des risques de pollution, s'agissant de produits chimiques ou pétroliers, par exemple, ou pour assurer la mise en oeuvre de mesures de sécurité les concernant, pourront ainsi être prises en charge.

S'agissant d'une atteinte au droit de propriété, la commission des lois a précisé dans la loi que cette affectation devra être autorisée par le juge-commissaire.

La démarche entreprise ici s'inscrit dans une politique plus globale visant à lutter contre la désindustrialisation qui touche notre pays. Elle est d'intérêt national, et j'espère que ce texte, à ce titre, fera l'objet d'un consensus.

Je tiens d'ailleurs à souligner que les amendements que j'ai proposés et qui ont été adoptés par notre commission des lois résultent d'une coopération étroite avec la commission des lois du Sénat, en particulier, avec son président et rapporteur, M. Jean-Pierre Sueur, dont j'ai particulièrement apprécié l'esprit d'ouverture et la volonté d'aboutir sur ce texte.

Voilà les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles la commission des lois vous imite à adopter ce texte.

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