Comme le dit Dominique Schnapper, « La nation se définit par son ambition de transcender par la citoyenneté des appartenances particulières ». Au-delà du rappel de ce principe, il faut constater l'existence d'un débat. Celui-ci a deux aspects : la reconnaissance de communautés unies dans le souvenir du malheur qui les a frappées et la part de responsabilité de la République française dans ce malheur.
Avec les harkis, le débat tourne court, et cependant la réponse trop évidente est insuffisamment présente dans notre conscience collective. Les harkis sont ces combattants qui ont répondu à l'appel de la France, qui ont cru à sa parole, qui ont servi la IVe, puis la Ve République, la nôtre, et que nous avons trahis et abandonnés pour la plupart d'entre eux.
La lecture du livre du Bachaga Boualam Mon Pays, la France est douloureuse pour celui qui se fait une haute idée de notre pays. Il n'y a eu, dans cette tragédie aucune trace de cette grandeur sans laquelle la France n'est pas elle-même. Le Bachaga Boualam se définit lui-même comme un Français humilié, trompé, bafoué, un père qui a donné son fils à la France ainsi que dix-sept de ses proches parents. Il a été élu à quatre reprises vice-président de cette Assemblée. Il s'est engagé passionnément pour notre pays. Capitaine en 1946, il était commandeur de la Légion d'honneur ; et cet homme a dû se réfugier en Camargue, au Mas-Thibert avec ses fidèles Beni-Boudouanes. Son récit est poignant. Le rappel de la circulaire Joxe – ça, c'était mieux, monsieur Chassaigne !... – enjoignant aux autorités de limiter étroitement le départ des harkis vers la métropole et même d'organiser le retour vers leurs assassins de ceux qui s'y étaient réfugiés est tout à fait insupportable, tant il révèle la froideur calculatrice des politiciens. Je la cite : « Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront renvoyés en Algérie… Il conviendra d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure. » J'ai retrouvé ce triste et froid calcul, lorsque notre collègue socialiste a tenté tout à l'heure de ramener ce texte à une intention électorale. Il est heureux que son intervention ait été, pour le reste, empreinte d'une grande émotion que je tiens à saluer.
Il est donc tout à fait inacceptable que ceux qui sont parvenus à se maintenir sur le territoire de la République et leurs descendants soient injuriés ou diffamés. Il est indigne que la mémoire de ceux qui ont été massacrés, souvent dans des conditions horribles, soit souillée.
Pour répondre à cette double exigence, il faut donc une loi qui réprime ces atteintes. Il est particulièrement judicieux de souligner qu'il s'agit d'actes très graves par le fait qu'ils visent des membres de l'armée française, plus exactement des formations supplétives faisant partie des forces armées. Cela souligne l'appartenance des harkis à la communauté nationale par le plus beau vecteur qui soit : celui du sang versé, de la vie exposée. Cela rappelle aussi – faut-il le dire ? – le crime qui a consisté à abandonner nos soldats, les soldats qui servaient la République, à leurs adversaires.
C'est la raison pour laquelle ce texte ne serait pas complet, serait même hypocrite si le mot de « harki » ne s'y trouvait pas mentionné, d'une manière ou d'une autre. Il s'agit de répondre, une fois encore, à une double exigence : la première est d'ordre juridique et doit permettre à ce texte d'être conforme à la Constitution ; la seconde est morale. C'est bien sous le nom de « harkis » qu'ils se font insulter par certains ; c'est bien sous ce nom que la France doit rappeler leur droit particulier à sa reconnaissance et à l'honneur de revendiquer ce titre. Personnellement, je voterai ce texte avec une pensée particulière pour le père de notre secrétaire d'État, Jeannette Bougrab, qui est, elle aussi, le symbole de la volonté de la majorité actuelle de réparer une injustice !