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Intervention de Kléber Mesquida

Réunion du 20 février 2012 à 17h00
Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKléber Mesquida :

S'ils attendaient bien que le législateur complète la loi du 23 février 2005 eu égard aux injures ou diffamations, ils comprennent aussi que le Président Nicolas Sarkozy, désormais candidat, tente par cette opportunité politique de faire oublier l'engagement pris le 31 mars 2007 : « Si je suis élu, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l'abandon et le massacre de harkis et d'autres milliers de musulmans français qui lui avaient fait confiance, afin que l'oubli ne les assassine pas une nouvelle fois. » Les harkis ne sont pas amnésiques. Cette promesse du candidat non tenue par le Président résonne pour eux de manière cinglante, tout comme, en son temps, le « tous Français de Dunkerque à Tamanrasset » du général de Gaulle.

De Gaulle avait oublié l'idée du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes – qui remonte à la philosophie des Lumières, notamment à celle de Jean-Jacques Rousseau –, concept repris, en sa formulation politique, par le Président Wilson et qui servit de base au traité de Versailles de 1919 et à la charte des Nations unies du 26 juin 1945.

Avant d'aborder le fond et la forme de la présente proposition de loi, faisons un rapide rappel de l'histoire de l'Algérie, pour mieux comprendre l'engagement des harkis auprès de l'armée française. Cet engagement s'inscrit dans le droit fil de leurs ascendants berbères ou arabes.

L'histoire de l'Algérie a été rythmée, au fil des millénaires, par de multiples périodes d'invasion, d'occupation et de colonisation. Je veux rappeler quelques étapes pour faire comprendre l'engagement des forces supplétives aux côtés du pouvoir du moment.

Depuis la plus haute antiquité, l'Algérie est imprégnée par la civilisation berbère. L'histoire de ce pays fut marquée par l'arrivée des Phéniciens, qui y installèrent des comptoirs commerciaux. Puis vinrent les Carthaginois, qui développèrent les activités côtières. Au premier siècle avant notre ère, ce fut au tour des Romains d'occuper l'Afrique du Nord et de transmettre leur civilisation. Le Maghreb romain prit fin avec l'occupation, en 455, des Vandales. Ceux-ci, arrivés avec leur langue germanique et l'écriture gothique, eurent peu d'influence sur les Berbères, ne laissant aucune trace de leur passage, qui dura moins de huit décennies et prit fin en 533.

Les Byzantins éliminèrent les Vandales, dont les survivants se réfugièrent en Kabylie, s'assimilant à la population berbère. L'occupation par les Byzantins fut aussi de courte durée, puisqu'ils furent chassés par le déferlement des Arabes quittant l'Égypte en 647 pour conquérir le Maghreb dès 711. L'Algérie était à cette époque associée à la Berbérie. Les Berbères adoptèrent très vite l'Islam mais, longtemps, le punique, les langues berbères, le latin et l'arabe coexistèrent. Au XVIe siècle, l'Algérie devient province de l'empire ottoman, un dey la gouvernant et le pouvoir militaire étant contrôlé par la milice des janissaires turcs.

Trois siècles plus tard, Charles X, sous le prétexte d'éliminer les corsaires turcs de Méditerranée, organisa le débarquement du 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch. Si l'expédition de 1830 fut loin d'être une improvisation, il en fut tout autrement de l'occupation du pays avec des troupes réduites à 17 000 hommes en 1831. Le commandement français ressentit, dès le début, la nécessité de recruter des autochtones parlant la langue et connaissant le territoire, les sentiers, les villages de montagne.

Le pouvoir ottoman, chassé, avait laissé les makhzens, partie des contingents locaux sur lesquels s'étaient appuyés les gouverneurs turcs. Ces makhzens, qui avaient une vocation militaire, maniant les armes, sachant monter à cheval, se mirent au service des Français dont les vertus militaires apparaissaient prestigieuses.

L'armée d'Afrique représentait 10 000 hommes en 1864, sur un total de 90 000 militaires. Comme le faisaient depuis longtemps les beys, le maréchal Clauzel avait recruté des zouaves issus de la confédération kabyle des zouaoua. D'autres corps furent mis sur pied : les tirailleurs algériens, dont l'origine remonte à divers corps irréguliers turcs et arabes ; les spahis, troupes montées en majorité turques, qui avaient servi le dey d'Alger et qui, sous les ordres du capitaine Yusuf, se rangèrent dans les chasseurs algériens.

Ces troupes, destinées à opérer en Algérie, participèrent à plusieurs guerres et furent appelées à combattre sur d'autres théâtres d'opération : la Guinée, la campagne d'Italie, celle du Mexique, la guerre contre la Prusse en 1870 mais aussi la Première Guerre mondiale, dès 1914, et la Seconde Guerre mondiale.

On peut ainsi souligner la permanence, depuis 1830, du recours à des formations d'origine nord-africaine pour épauler l'armée française. On comprend, dès lors, la création des harkas, forces supplétives levées temporairement pour renforcer l'armée régulière.

La France a reconnu les militaires qui ont versé leur sang pour elle, ainsi que ceux qui, aux heures les plus sombres de son histoire, se sont engagés dans la Résistance, mais elle n'a pas reconnu les forces supplétives, qui ont pourtant joué un rôle indispensable. Il était donc temps que les harkis, en particulier, soient reconnus partie des forces armées.

La proposition de loi que nous examinons est un moyen de cette reconnaissance. Elle est aussi une façon de rendre hommage à ceux qui ont versé leur sang pour la France, et de leur témoigner notre reconnaissance. Les harkas ont été, le plus souvent, le fer de lance des régiments des secteurs opérationnels, qu'elles ont renforcés par leur valeur guerrière, leur connaissance du terrain et de la langue. Elles ont permis de sauvegarder la vie de nombreux soldats métropolitains du contingent, peu aguerris à ces types de combat, sur un sol qui leur était étranger. Ni supplétifs ni à-côtés, les harkis, combattants du premier rang, ont été, à travers leur valeur exceptionnelle, l'honneur du devoir accompli, le sacrifice et la fidélité à la patrie, la France dans sa grandeur.

En Algérie, ils ont été commandés par des officiers d'élite de grande valeur dont certains, au moment de l'exode, ont bravé les ordres du ministre gaulliste Pierre Messmer et ont pris l'initiative de rapatrier les harkis, les moghaznis et leurs familles. En 1962, à leur arrivée, les harkis furent transportés vers des camps dans vingt-huit départements, dont l'Hérault. Comme un très grand nombre de rapatriés, ils étaient ouvriers, pêcheurs, défricheurs, agriculteurs, petits commerçants ou modestes fonctionnaires. Ils n'avaient rien, et ils n'ont pas été l'objet d'une chaleur, d'un élan de sympathie et d'unité nationale qui leur auraient fait sentir qu'ils étaient les bienvenus et chez eux en France.

Nous n'avons pas pu faire grand-chose pour ceux qui sont morts, mais, pour qu'ils ne soient pas morts pour rien, honorons-les en apportant protection et reconnaissance à ceux qui ont survécu à cette guerre et à ce déracinement.

Nos frères ont cru en la France. De Gaulle ne disait-il pas lui-même : « L'Algérie restera française » ? Les harkis ont donc choisi de servir la France, parce qu'ils pensaient servir leur pays.

Leur accueil en France s'est aussi opéré à travers la création de hameaux forestiers, comme dans ma commune, Saint-Pons-de-Thomières, au Plô de Mailhac.

L'an passé, nous avons érigé une stèle sur l'emplacement de l'ancien camp de harkis, avec une plaque commémorative sur laquelle figurent les noms des 141 familles de harkis. Ces harkis ont travaillé, dans le cadre de l'ONF, au reboisement et à la protection de la forêt. Un ancien cadre de l'ONF racontait le courage et la dureté au travail qu'il avait trouvés chez les harkis, particulièrement leur attitude exceptionnellement courageuse pendant les incendies. Ils allaient, au péril de leur vie, vers la fournaise, au plus près des flammes pour être plus efficaces. Ils allaient au feu, disait-il, comme ils seraient montés à l'assaut pour repousser un ennemi qui aurait voulu détruire le village. Ils combattaient des embrasements diaboliques, dont ils se jouaient et que personne d'autre qu'eux ne se risquait à approcher ; ils défendaient la forêt domaniale et pourchassaient le feu comme s'il s'agissait de leur bien propre ou de leur famille. Pour eux, la forêt dont ils avaient la charge, c'était aussi leur patrie.

Leur patrie, oui, mais le pays de leurs ancêtres, celui où ils ont grandi, leur manque. Et ils le taisent. Ils savent que, si l'homme, comme la fleur, sème au loin ses pétales, la terre natale garde toujours son coeur.

À travers cette évocation des périodes de l'histoire, j'ai tenu à replacer dans son contexte l'engagement des harkis, descendants des Berbères et des populations autochtones, qui perpétuèrent l'engagement des indigènes auprès de la France.

J'en viens maintenant au texte de la proposition de loi. C'est une nécessité juridique, qui vise à remédier à la carence de la loi du 23 février 2005, dont l'article 5 prohibe « toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki ». Cet article 5 se borne à indiquer que l'État assure le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur, sans renvoyer aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

La jurisprudence de la Cour de cassation a démontré que le droit commun n'était pas applicable. En effet, les harkis ne constituent pas un groupe ethnique, national ou religieux. Les textes réprimant l'injure contre ces groupes ne sont donc pas applicables.

Depuis quelques années, la jurisprudence a révélé plusieurs lacunes dans la protection pénale des harkis.

Tout d'abord, le 29 janvier 2008, la Cour de cassation a rappelé que l'action visant à réprimer une diffamation publique ou une injure publique commise envers un particulier supposait que puisse être identifiée une victime précise. Ensuite, dans un arrêt du 31 mars 2009, relatif aux propos tenus le 11 février 2006 par le président de la région Languedoc-Roussillon, la Cour de cassation a jugé que ni les harkis, ni leurs descendants ne constituaient un groupe de personnes entrant dans l'une des catégories limitativement énumérées par les articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En effet, ces deux articles sanctionnent, respectivement, la diffamation et l'injure publiques commises « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à un ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Or, quelques années auparavant, la jurisprudence avait déjà établi que la mise en cause publique de harkis fustigeait en réalité des Français musulmans non à raison « de leur origine religieuse ou ethnique, mais à raison de leur choix politique au moment de la guerre d'Algérie ».

Cette proposition de loi vise donc un objectif bien déterminé : combler les lacunes de notre droit pénal en matière de protection des harkis et anciens supplétifs de l'armée française et réprimer les injures et diffamations commises envers les supplétifs. Dorénavant, une injure proférée à l'encontre des harkis sera considérée comme une injure faite à des membres de l'armée française.

Toutefois, et cela m'interroge, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, nous pouvons remarquer que le terme d'« assimilés » n'a pas été retenu dans la formulation de la proposition de loi. Aussi vous demanderai-je, monsieur le secrétaire d'État, de bien vouloir nous en préciser les raisons, d'autant que, dans tous les autres textes de loi, c'est la notion de forces supplétives et assimilés qui est retenue.

Parmi les assimilés, l'Office national des anciens combattants recense les agents contractuels de police, les agents temporaires occasionnels, les gardes champêtres des zones rurales, les agents de renseignement, les auxiliaires médico-sociaux et certaines catégories d'anciens militaires. En cas d'injure ou de diffamation à l'encontre des assimilés aux forces supplétives, les tribunaux pourraient alors retenir que le législateur les a écartés de la définition restrictive de cette proposition de loi, qui dispose seulement que les « formations supplétives sont considérées comme faisant partie des forces armées ».

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous apporter des garanties afin que ce qui pourrait être considéré comme une faille ne produise pas les mêmes effets que la loi du 23 février 2005, qui s'est révélée incomplète ?

Pour ma part, je souhaite que cette proposition de loi soit sans lacune et vienne compléter les dispositions législatives.

Je voudrais aussi, par décence et par respect envers les harkis, que toute récupération politique ou électoraliste soit écartée. Il faut que l'on ne retienne que la volonté unanime du législateur de protéger nos compatriotes de toute injure ou diffamation. Ces harkis, qui, par choix, ont servi notre patrie, font partie du patrimoine humain de notre pays et la France leur doit sa pleine considération.

C'est pourquoi, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

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