Je n'ai pas l'érudition historique et culturelle d'Hervé Gaymard sur l'Egypte et je serai donc plus direct, même si nos conclusions sont très voisines. Ce que l'on appelle « les printemps arabes », qui recouvrent des réalités différentes, ce sont en Egypte les attentes exprimées place Tahrir par les jeunes et les classes moyennes. Qu'en reste-t-il ? Il y a un processus révolutionnaire, mais on ne peut parler de révolution. Les acteurs actuellement au premier plan ne sont pas ceux de la place Tahrir. Est-ce une révolution avortée ou une révolution en devenir ? Je ne saurais répondre.
Les Frères musulmans ont été portés sur le devant de la scène au-delà de ce qui était attendu et la poussée salafiste a surpris plus encore. Tout est a priori en place pour l'établissement d'une théocratie islamiste mais ils se méfient les uns des autres et le Conseil supérieur des forces armées tient les rênes du pouvoir jusqu'en juin. Le calendrier est controversé et les procédures le sont tout autant, si bien que le flou est complet sur les étapes à venir d'ici le mois de juin.
La rue rejette de plus en plus le pouvoir des militaires, mais ces derniers ne sont pas pour autant prêts à renoncer à leurs intérêts. Ils disposent d'un statut particulier, avec un budget propre, et contrôlent une partie importante de l'économie. Les islamistes restent disposés pour le moment à maintenir leur pacte avec les militaires. Ils n'ont pas intérêt à exercer seuls le pouvoir et doivent donner des gages à la communauté internationale et aux bailleurs de fonds. Les Frères musulmans souhaitent une alliance avec les libéraux pour ne pas se trouver seuls face aux salafistes au Parlement, d'une part, et face aux militaires, d'autre part. Tout le monde observe tout le monde et attend la faute de l'autre.
Par ailleurs, la situation économique est désastreuse. Il n'est pas sûr que le pouvoir puisse continuer à subventionner l'essence et les produits de première nécessité. L'abandon de cette politique serait explosif. La classe politique est prête à mener une guerre d'observation et d'usure jusqu'en juin, mais la rue a ses attentes et ses impatiences. Le scénario du pire est-il envisageable ? L'affaire du stade de Port-Saïd montre qu'une étincelle suffit pour conduire à l'embrasement, dont le seul bénéficiaire serait l'armée, seule capable de rétablir l'ordre, sauf si les Frères musulmans trouvaient dans l'intervalle un candidat à la présidence qui reste pour l'instant introuvable. L'armée ne veut pas gérer le pouvoir mais le conserver. Les Frères musulmans veulent bien d'un nouveau pharaon civil à condition qu'ils en tirent les ficelles. Al-Nour, le principal parti salafiste, veut faire la démonstration de leur collusion et de leur échec.
Pour terminer, je veux dire combien j'ai apprécié la contribution de l'ambassadeur et de ses services.