Ce constat nous a conduits à étudier les enjeux juridiques, législatifs et réglementaires de ce dossier. Nous avons observé tout d'abord que le droit international évolue rapidement. Ainsi, 34 pays, dont la France ont adopté, le 17 septembre 2008, le document dit de Montreux, premier cadre juridique international couvrant l'activité de ce que nous appelons les ESSD. Ce document rassemble 73 bonnes pratiques non contraignantes, les États signataires n'étant pas censés veiller à leur mise en oeuvre. La France, qui a soutenu son adoption par le plus grand nombre possible d'États, aurait souhaité qu'il serve de base à un encadrement universel de l'activité des ESSD, sous un contrôle étatique.
Mais, en l'état, l'espoir est mince. En effet, de leur côté, les principales entreprises – anglo-saxonnes – du secteur ont adopté, le 9 novembre 2010 à Genève, un Code de conduite qui, bien que se réclamant officiellement du document de Montreux, vise en fait à éviter la mise en place d'une convention internationale contraignante, en organisant la régulation du secteur à partir d'un dispositif d'autocertification des entreprises. La France, qui avait participé aux travaux préalables, s'est retirée par la suite, n'adhérant pas à cette démarche. Ce faisant, le risque est grand que la « norme » se crée sans nous, le comité de pilotage de ce Code de conduite, où les États sont minoritaires – proposant une charte de certification qui pourrait conduire à la constitution d'un « club » fermé, seul à même de concourir aux appels d'offres, y compris des Nations Unies.
Le retour de la France dans le jeu passe maintenant par la structuration rapide d'un secteur d'activités de services de sécurité et de défense au niveau national et la recherche de partenariats européens afin de peser sur le cours des événements, dans un domaine absolument stratégique.
Pour ce faire, il nous faut tout d'abord créer les conditions dans notre droit interne, aujourd'hui silencieux sur cette question.
En effet, la loi du 12 juillet 1983 encadre l'activité des seules sociétés de sécurité privées intervenant sur le territoire national, en définissant les métiers autorisés et les conditions d'agrément. Quant à la loi de 2003 prohibant le mercenariat, elle relève une fois de plus essentiellement du message politique mais n'a pas d'impact sur l'activité des ESSD.
Tout se passe comme si nous avions, par confort d'esprit, ignoré le sujet pendant que nos concurrents anglo-saxons s'en emparaient et en faisaient un enjeu stratégique. L'idée que nous nous faisons de la France nous fait penser qu'il est temps de créer les conditions juridiques, législatives et réglementaires, pour favoriser la structuration et le développement de ce secteur d'activités.
Dans cette perspective, nous formulons quelques propositions.
Un premier pas doit être franchi rapidement pour la protection de nos intérêts contre la piraterie maritime, en autorisant l'embarquement de personnels privés armés sur nos bateaux de commerce. Cela conforterait un certain nombre d'ESSD françaises sur ce segment d'activités spécifique.
Au-delà de ce premier pas, nous préconisons d'enrichir notre droit d'une loi définissant précisément l'ensemble des domaines d'actions des ESSD, en dressant une liste des activités autorisées et en mettant en place une forme d'agrément tant pour les sociétés elles-mêmes que pour leurs personnels. Pour ce faire, la loi de 1983 pourrait, a minima, servir de guide méthodologique.
Les dispositions prises pour sa mise en oeuvre nous semblent en effet constituer un guide utile afin de mettre en oeuvre un contrôle amont lors de l'instruction des demandes d'agréments mais également a posteriori sur les activités des ESSD, voire in situ lorsqu'elles interviennent en soutien de nos forces armées.
De même, l'acquisition, la détention, le transport des armes doivent être minutieusement réglementés. Leur usage doit s'inscrire dans le cas de la légitime défense. Le dispositif de contrôle pourra s'organiser par analogie avec ce qui se fait pour les convoyeurs de fonds, par exemple.
Une structure s'inspirant du conseil national des activités de sécurité (CNAPS), établissement public et administratif en place depuis le 1er janvier dernier pour contrôler les activités privées de sécurité sur le territoire national pourrait être retenue.
Enfin, nous formulons quelques propositions pour que l'État favorise l'émergence d'acteurs de taille critique dans ce secteur, par exemple en passant des marchés nationaux pluriannuels mais également en soutenant nos ESSD dans les appels d'offres européens ou des Nations Unies.
Le secteur des services de sécurité et de défense, aujourd'hui en plein développement, est devenu incontournable pour un État moderne. À nous donc de construire notre modèle, un modèle susceptible de s'élargir à une approche commune aux États européens qui le souhaitent, pour être en mesure de peser sur l'organisation de ce secteur d'activités stratégique au niveau mondial, en y soutenant les valeurs qui sont les nôtres.