Le sujet des SMP a donné et donne toujours lieu à de nombreuses réflexions de la part du Gouvernement, de scientifiques ou encore de journalistes. À l'heure où ces travaux pourraient bien donner le signal de changements majeurs, il nous a semblé crucial que le Parlement, et notre commission en particulier, prenne une position la plus claire et consensuelle possible.
Le premier point que nous avons relevé est l'enjeu sémantique. La notion de société militaire privée nous vient du monde anglo-saxon, où elle désigne les entreprises dont l'activité repose sur toutes sortes de services à la défense. Les grandes SMP américaines ou britanniques assurent la restauration sur les bases, des prestations médicales et de transport ou encore de formation. L'essentiel de leur chiffre d'affaires vient de leurs contrats publics et privés réalisés en métropole. Mais elles sont également très actives à l'étranger, bien souvent pour mettre en oeuvre des contrats financés par l'État. Certaines d'entre elles assurent des missions armées et parfois de combat comme on a pu le voir en Irak, par exemple lors de la célèbre bataille de Falludjah qui a impliqué des combattants de Blackwater.
Les entreprises françaises susceptibles de répondre à la dénomination de SMP occupent un périmètre d'activité beaucoup plus restreint. Pour des raisons juridiques, les activités armées et notamment de combat en sont exclues. Pour des raisons politiques et économiques, elles bénéficient d'une masse de contrats publics proportionnellement moins importante. Nous refusons par exemple de confier au secteur privé le soutien médical des armées et nous nous montrons prudents sur les externalisations. Beaucoup de pays confient la garde de leurs ambassades à des sociétés privées. Ce n'est pas notre cas, même si la révision générale de la politique publique peut rendre la perspective crédible pour des missions d'appoint.
La notion de « SMP » est donc peu adaptée à ces entreprises. Elle entretient l'idée qu'elles tutoient le mercenariat ou encore portent le risque de dérapages à la Blackwater. Cette image est inexacte, injuste et, en entravant tout véritable débat politique sur leur développement, dessert l'intérêt national.
Ainsi, au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites, nous avons retenu la proposition formulée par le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN) qui est de les inclure dans un ensemble appelé « entreprises de services de sécurité et de défense » (ESSD), suggérant une communauté d'intérêts et d'activités entre celles des sociétés de sécurité privée (SSP) et celles davantage orientées vers la défense (SMP).
À des degrés divers, les États ont toujours recouru à des moyens privés pour soutenir leur effort militaire. On pense aux Nubiens recrutés par Ramses II, aux Germains au service de Jules César, aux fameux gardes suisses ou encore à la guerre de Course. Bien que difficile à évaluer, le marché de la sécurité privée est aujourd'hui très vaste, de l'ordre de 200 à 400 milliards de dollars chaque année.
Le marché est dominé par des entreprises américaines telles que MPRI ou Blackwater, rebaptisée Xe puis Academi, ou, la plus importante, la britannique G4S qui revendique plus de 600 000 employés. Cette dernière assure des missions multiples et a notamment été retenue pour sécuriser les Jeux Olympiques de Londres. De leur côté, les entreprises françaises sont de taille bien plus modeste et leur activité est plus spécialisée. La principale est GEOS, avec 38 millions d'euros de chiffre d'affaires et 480 employés dans 80 pays, ce qui est bien supérieur à la moyenne des entreprises du secteur qui s'établit à trois millions d'euros.
La seconde entreprise est GALLICE fondée par d'anciens cadres de la DGSE et du GIGN, avec environ 20 millions d'euros de chiffre d'affaires. Elle est notamment présente au Gabon, en Mauritanie, à Madagascar ou encore dans l'océan Indien.
Le troisième est Galea, créé en Guyane pour la protection du site de Kourou et la lutte contre l'orpaillage illégal. Son chiffre d'affaires est aujourd'hui d'environ 15 millions d'euros.
Ces entreprises sont très utiles, et d'abord à leurs États. Elles permettent de répondre à des besoins en termes de soutien et offrent un moyen d'action efficace et plus discret pour la coopération militaire. Par exemple, la société américaine MPRI avait été mobilisée pour soutenir la rébellion albanophone au Kosovo après avoir fait montre de ses capacités auprès des Bosniaques.
Blackwater a décroché un contrat de près de 350 millions de dollars pour former une sorte de légion étrangère aux Émirats.
Elles répondent également à une forte demande de la part du secteur privé : en premier lieu des grands groupes, mais également des ONG qui souhaitent le plus haut niveau de sécurité pour leurs déplacements et surtout pour leurs établissements dans des zones à risques. La demande est aussi encouragée par des jurisprudences récentes, et notamment celle dite de Karachi qui a vu la DCN condamnée en 2004 pour avoir mis en danger la vie de ses employés en ne prévoyant pas un dispositif sécuritaire suffisant.
Les ESSD proposent un large panel de prestations, allant de la veille sécuritaire à l'accompagnement des personnels expatriés en passant par la sécurisation de sites ou encore le recrutement et l'encadrement de prestataires locaux, ou encore l'extradition des ressortissants.
En Algérie, nous avons constaté que les ESSD françaises étaient relativement bien implantées. Le droit local ne leur permet pas d'exercer directement leur activité, mais elles jouent un rôle crucial pour guider nos entreprises : choix du partenaire algérien, entretien de bonnes relations avec les autorités locales, actualisation des plans de sûreté, etc.
La sécurité maritime est l'autre domaine dans lequel elles sont devenues des acteurs incontournables, en particulier pour protéger les navires de la menace pirate. Statistiquement, aucun des navires ayant à son bord une équipe de sécurité armée, qu'elle soit privée ou publique, n'a été pris en otage par les pirates somaliens. Les zones touchées par ce phénomène s'étendent et la marine n'a ni les moyens ni la vocation à fournir des équipes de protection embarquées (EPE) indéfiniment et pour couvrir l'ensemble de la demande, fût-ce en mobilisant des réservistes. Partant de ce constat, les armateurs de France ont profondément évolué, se prononçant finalement pour le recours aux gardes armés du secteur privé. Nous avons d'ailleurs constaté à Djibouti combien l'offre privée était dynamique et organisés. Beaucoup de Français s'y investissent, mais pour le compte de sociétés anglo-saxonnes !
Après s'y être longtemps et fermement opposés, les armateurs réclament aujourd'hui une évolution rapide de la législation et du cadre réglementaire. Ils souhaitent des EPE incluant éventuellement des réservistes ou, à défaut, des sociétés privées.