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Intervention de Henri Plagnol

Réunion du 14 février 2012 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Plagnol, rapporteur :

Les deux projets de loi qui nous sont soumis visent à approuver la création d'un « mécanisme européen de stabilité », ou MES, ayant pour objet de mobiliser des ressources financières pour apporter un soutien à des Etats de la zone euro en cas de nécessité afin d'assurer la stabilité de la zone. Le premier, dont on parle peu, vise à autoriser la ratification de la décision du Conseil européen du 25 mars 2011 modifiant le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour prévoir la possibilité que les Etats de la zone euro instituent un tel mécanisme. Cette révision n'était pas nécessaire, mais elle assure une plus grande sécurité juridique. Le second projet de loi, fort débattu, autorise la ratification du traité instituant le mécanisme, dans la version signée par les ministres des finances de la zone euro le 2 février dernier.

Je ne referai pas la genèse de la création du mécanisme qui doit beaucoup à la France et à l'impulsion du couple franco-allemand qui s'est avéré indispensable depuis le début de la crise. Vous trouverez toutes ces informations dans le rapport, ainsi que la présentation et les engagements du dispositif temporaire de stabilisation auquel le MES se substituera et qui est constitué du Fonds européen de stabilité financière, d'une capacité de prêt de 440 milliards d'euros, et du Mécanisme européen de stabilité financière, quelques 60 milliards prélevés sur le budget européen.

Je souhaiterais cependant insister sur deux choses avant de présenter les principes et le fonctionnement du MES : les modifications qui ont été apportées au traité par rapport à une première version qui avait été signée le 11 juillet dernier et les différences majeures entre le nouveau mécanisme et le Fonds européen de stabilité actuel (FESF).

Entre le 11 juillet 2011 et le 2 février 2012, les décisions qui ont été prises pour améliorer le soutien à la stabilité, que l'on retrouve dans la nouvelle version du traité, sont importantes. D'abord, le 21 juillet 2011, les Etats ont décidé d'étendre les prérogatives du FESF en lui permettant d'intervenir sur la base d'un programme établi à titre de précaution, de financer la recapitalisation des banques et établissements financiers par des prêts aux gouvernements et d'intervenir sur les marchés secondaires, sur la base d'une analyse de la Banque centrale européenne constatant l'existence d'une situation exceptionnelle sur les marchés financiers et de risques pour la stabilité financière. Ils ont également décidé de modifier la tarification en abaissant les taux des prêts, répondant ainsi à une demande justifiée des Etats en difficulté.

Ensuite, lors de la réunion des chefs d'État ou de Gouvernement de la zone euro du 9 décembre 2011, il a été décidé de rendre exceptionnelle la contribution des créanciers privés, d'introduire une procédure de décision en urgence à une majorité qualifiée de 85 % pour éviter que des Etats de peu de poids économique bloquent la décision – la France conservant évidemment son droit de veto – et de prévoir l'entrée en vigueur du traité dès lors que les États membres représentant 90 % des engagements en capital l'auraient ratifié pour assurer une ratification dans des délais raisonnable.

C'est aussi cette réunion qui décida l'accélération de l'entrée en vigueur du traité avec l'objectif de juillet 2012, ce qui implique un calendrier de ratification rapide. En conséquence, un certain nombre de précisions ont été apportées sur la période transitoire qui verra la coexistence du FESF et du MES. D'abord, le FESF demeurera actif dans le financement de programmes qui ont été lancés jusqu'à la mi-2013 et assurera le financement des programmes en cours en fonction des nécessités. Ensuite, la capacité de prêt cumulée de 500 milliards d'euros qui avait été initialement fixée sera réexaminée en mars 2012, comme le souhaitait notamment la France, un certain nombre d'observateurs estimant que cette limite devrait être relevée pour disposer d'une force de frappe suffisamment dissuasive.

Le relèvement de la limite de prêt est en débat avec l'Allemagne qui exprimera sa position en mars. Pour l'heure, l'effet de levier sera assuré par l'augmentation des contributions au FMI. Je signale que le relèvement du plafond de la capacité de prêts bilatéraux de la France au FMI est prévu par la loi de finances rectificative en cours d'examen. Toujours pour garantir une force de frappe suffisante, les Européens ont décidé d'accélérer les versements de capital au MES afin de garantir un ratio minimal de 15 % entre le capital versé et l'encours des émissions du MES.

Avec ces améliorations, on aboutit à un dispositif plus fort, plus réactif et mieux armé que le FESF. Le MES constituera un instrument pérenne prêt à répondre aux éventuelles crises à venir, dans des conditions fixées par un traité et non à définir au cas par cas. Il pourra décider une intervention sans l'unanimité des Etats lorsque l'octroi d'une assistance sera crucial pour assurer la stabilité financière de la zone euro. Le traité instituant le MES est régi par les règles du droit public international et le MES une organisation internationale et non pas une société de droit privé comme le FESF. Il s'agit bien de créer ce fameux fonds monétaire européen qui est attendu depuis le début de la crise de la zone euro.

De plus, le MES sera doté d'un capital de 700 milliards d'euros, dont 80 milliards d'euros de capital appelé, susceptibles de couvrir des pertes éventuelles. Il empruntera donc sur capitaux propres et non pas en s'appuyant sur la garantie des Etats membres. La sensibilité à la notation desdits Etats sera fortement réduite et les émissions du mécanisme bénéficieront de taux d'intérêt parmi les meilleurs. L'engagement de respecter un ratio sur fonds propres de 15 % conforte l'autonomisation du mécanisme par rapport aux Etats qui l'alimentent.

Je souligne également que compte tenu de toutes ces caractéristiques, le MES pourrait être considéré comme une institution communautaire et les financements levés par ce nouveau mécanisme ne viendront donc pas accroître l'endettement public brut des Etats, sauf naturellement en cas de constatation de pertes.

Enfin, le MES disposera du rang de créancier privilégié, seul le Fonds monétaire international disposant d'une priorité de remboursement par rapport au mécanisme.

Sont membres du MES les Etats de la zone euro et eux seuls. Pourront le rejoindre les nouveaux Etats membres de la zone. L'organe de décision principal du MES est le Conseil des gouverneurs, composé des ministres des finances des États de la zone euro ou leurs suppléants. Cela signifie que le pilotage sera concrètement assuré par les ministres des finances de la zone euro, ce que certains interprètent comme une reprise en main par les Etats membres. La Commission européenne aura un rôle important dans le diagnostic et la mise en oeuvre d'une assistance, mais la décision relèvera du Conseil des gouverneurs. Le rapport présente les modalités de prise de décision.

Le MES pourra intervenir au moyen de plusieurs instruments, ce qui lui donnera une souplesse essentielle à la gestion des crises : les prêts directs, les lignes de crédit à titre de précaution, l'intervention sur le marché primaire ou secondaire et la recapitalisation d'institution financières via des prêts à l'Etat. Cela lui permettra de répondre au mieux à une demande d'un Etat membre, après analyse des risques, de la soutenabilité de la dette et des besoins de financements effectuée par la Commission européenne, en liaison avec la BCE. Pour une intervention sur le marché secondaire, une analyse de la BCE doit conclure à une situation exceptionnelle avec risque de contagion. En cas d'octroi d'une aide, un protocole d'accord sera conclu avec une conditionnalité, de même qu'un accord sur les modalités financières.

Avec un capital de 700 milliards, dont 80 milliards de capital libéré, la capacité de prêt serait de 500 milliards d'euros et peut-être plus pendant la période transitoire, en fonction des décisions qui seront prises en mars prochain.

Il faut souligner le rôle de certains tiers, notamment du FMI. S'il n'est plus systématiquement associé comme avec le FESF, il doit l'être chaque fois que cela est possible pour une demande d'aide concomitante de l'Etat en difficulté, pour la participation à l'analyse de la situation et pour la définition du programme de conditionnalité et à sa mise en oeuvre. Les Etats non membres de la zone euro qui interviendraient aussi en assistance d'un Etat seront également associés à des réunions du Conseil des gouverneurs et verraient leurs prêts bénéficier du statut de créancier privilégié.

Il faut également mentionner le lien qui existe avec l'autre traité : le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire (« TSCG »). Un considérant du traité instituant le MES insiste sur la complémentarité des deux traités, qui forment un ensemble cohérent pour aller vers un gouvernement économique de la zone euro, et un Etat ne pourra bénéficier d'une aide que s'il a ratifié et mis en oeuvre le TSCG. Cette concordance est logique, mais les deux traités, les deux mécanismes, sont indépendants.

Je souhaiterais, pour conclure mon intervention, insister sur la dimension stratégique de cette étape pour la zone euro. Depuis le début de la crise, c'est à une course de vitesse que l'on assiste. Les marchés, les Etats en difficulté, mais aussi l'ensemble des Etats du G20 attendent que l'Union européenne mette suffisamment de moyens sur la table et un pilotage politique pour incarner le fait qu'il est impensable d'abandonner l'euro et laisser la spéculation défaire ce qui a été une création emblématique pour l'Europe. La création du mécanisme européen de stabilité est le signe même de la détermination des Etats et en tout premier lieu du couple franco-allemand de montrer que, quoi qu'il arrive, l'euro sortira renforcé de la crise. C'est aussi un signe fort aux peuples qui font des efforts considérables, parfois héroïques – et l'on pense évidemment à la Grèce. Ce mécanisme est un mécanisme de solidarité absolument vital pour les Etats en difficulté.

Enfin, vis-à-vis de ceux qui doutent de l'avenir de l'Union européenne, il est important de noter que l'ensemble des Etats de l'Union européenne, Royaume-Uni inclus, a décidé d'autoriser la modification du traité prévoyant la création du mécanisme européen de stabilité. Ce point n'a pas été suffisamment souligné. Est définitivement acceptée l'idée qu'il y ait un gouvernement spécifique à la zone euro. C'est une étape fondamentale pour sa crédibilité et un signal envers tous ceux qui doutent de son avenir, y compris les grands pays émergents.

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