Dans sa configuration actuelle, la présence militaire française en Afghanistan remonte au début de l'année 2006. La conférence de Londres avait alors conduit à renforcer de manière significative la force internationale pour assurer la protection de l'État afghan, mais surtout à concevoir une politique de moyen terme tendant à passer le relais à l'armée nationale afghane.
Le dispositif français a évolué à partir de cette date. Nous avions la responsabilité de la province de Kaboul ; nous l'avons assumée pendant un an, avant de la transmettre aux autorités afghanes, relayées par le contingent turc. Depuis 2008, nous avons la responsabilité d'un district de la province de Kaboul, le district de Surobi, et de la province de Kapisa. D'une superficie de 1 500 kilomètres carrés pour plus de 450 000 habitants, cette dernière est une région extrêmement sensible. La vallée de la Kapisa permet en effet de contourner l'agglomération de Kaboul pour se diriger vers le nord de l'Afghanistan lorsqu'on vient du Pakistan. C'est donc un secteur stratégique. Beaucoup d'entre vous connaissent ce paysage montagneux et désertique, semé dans le fond des vallées d'oasis à la végétation très dense durant sept à huit mois de l'année. Les conditions de combat y sont donc extrêmement difficiles pour nos soldats, et donnent un avantage au terroriste qui frappe avant de se fondre dans la population locale.
Soutenue par une montée en puissance progressive, significative et somme toute rassurante de l'armée nationale afghane, l'armée française a pu assurer la sécurité totale dans l'ensemble du district de Surobi, qui a été présenté à la transition et dont la responsabilité incombe depuis l'automne 2011 aux seules forces afghanes.
L'essentiel de notre effort se concentre donc sur la province de Kapisa, dont deux des cinq districts – le district de Tagab et celui d'Alasay – présentent assurément des problèmes de sécurité. Notre objectif consiste à ce que l'armée nationale afghane prenne le relais. L'évolution la plus importante est la montée en puissance de sa troisième brigade, commandée par un Ouzbek, le général Nazar, qui a su quadrupler ses effectifs en trois ans et assurer une bonne formation et une bonne coordination de l'intervention de ses bataillons avec les unités françaises. Depuis l'été 2011 et après les moments difficiles que vous avez tous en mémoire, l'armée nationale afghane est, sur les cinq districts de la province de Kapisa, en situation de combattre en première ligne – avec le soutien de l'armée française – en organisant ses propres opérations. Notre soutien porte essentiellement sur quatre points : les appuis-feu, terrestres ou aériens ; l'évacuation sanitaire ; le soutien aux états-majors, car la manoeuvre d'unités importantes n'est pas un savoir-faire inné, et l'armée nationale afghane commence seulement à le maîtriser – je parle de la troisième brigade et des manoeuvres au niveau du bataillon, l'objectif étant de pouvoir faire manoeuvrer la brigade ; l'intervention rapide, enfin, c'est-à-dire la capacité à intervenir en force pour dégager une unité afghane en situation difficile.
Depuis le mois d'août, l'armée nationale afghane est donc en mesure de tenir ses positions. Il en va de même dans les territoires des deux premières tranches soumises à la transition, qui représentent aujourd'hui 50 % de la population afghane. Un indicateur est à cet égard particulièrement intéressant : les forces de réaction rapide de la coalition n'ont pas été mobilisées au service de l'armée nationale afghane sur ces territoires. On note également une baisse de plus de 11 % du nombre des accrochages entre les forces de la coalition – au sens large – et les insurgés. Il est toujours cruel d'utiliser les statistiques de décès, mais il reste que le nombre des décès au combat dans la coalition a été très inférieur en 2011 à ce qu'il avait été en 2010. Ce n'est, hélas, pas le cas dans le secteur français de la Kapisa, où l'année 2011 - marquée par le passage de la responsabilité française à la responsabilité afghane – a été extrêmement difficile. Depuis le mois d'août, nous avons eu à déplorer un mort au combat, et six décès par tirs d'infiltrés – quatre dans les conditions que vous connaissez le 20 janvier dernier, et deux en décembre. J'ai évoqué le problème à l'occasion d'un déplacement à Kaboul avec le chef d'état-major. Il a été traité, dès les 23 et 24 janvier, par les mesures dont a parlé le ministre d'État. Elles ont d'abord consisté à demander à l'armée nationale afghane de travailler avec le service de sécurité de la défense. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent : pour des raisons culturelles et historiques, l'armée se méfiait du service de renseignement afghan, le National directorate of security (NDS), héritage de la période russe. Nous avons obtenu la mise en oeuvre effective d'un décret pris il y a plus d'un an par le gouvernement afghan, qui permet au NDS d'intervenir dans les bataillons. Nous avons également obtenu que les officiers et sous-officiers que nous formons à Kaboul, dans le Wardak ou dans notre centre de formation de Mazar-e-Shariff soient affectés en priorité aux unités de la troisième brigade, afin d'avoir le plus souvent possible à nos côtés des bataillons afghans encadrés par des officiers et des sous-officiers que nous avons-nous-mêmes formés. J'ai enfin obtenu que les services de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) soient « binômés » avec les responsables des unités afghanes qui combattent avec nous. Ces mesures de riposte immédiate ont été mises en oeuvre sur le théâtre d'opérations géré par la troisième brigade, elle-même placée sous l'autorité du 201ecorps d'armée engagé dans le secteur le plus difficile, à savoir entre Kaboul et la frontière pakistanaise, à la limite des populations pachtounes au sud et tadjikes au nord. La sensibilité de la Kapisa tient notamment à sa situation de frontière ethnique entre les deux principales populations afghanes.
Lors des récentes réunions à Bruxelles des ministres de la défense de l'OTAN et des représentants des États contribuant à la FIAS, j'ai obtenu que le commandement allié place la sécurité interne au premier rang de ses préoccupations. Compte tenu du taux d'évaporation des effectifs dans l'armée nationale afghane, estimé à 20 % en moyenne nationale, la montée en puissance de cette armée se traduit depuis quelques mois par des recrutements spectaculaires – 5 000 hommes par mois, avec des pointes à 8 000 –, mais qui méritent d'être mieux contrôlés car leur ampleur empêche un suivi méthodique des recrues. Les ministres de la coalition ont donc demandé au général Allen et au ministre afghan de la défense, le général Wardak, de maîtriser cette évolution. Dans la perspective de la définition du format de la future armée nationale afghane au sommet de l'OTAN qui se tiendra à Chicago le 20 mai prochain, il convient d'autre part de se demander si la montée en puissance des effectifs totaux jusqu'à 352 000 est pertinente, sachant que le format définitif et durable des forces nationales de sécurité afghanes – armée et forces de police – sera nettement inférieur. Le premier objectif est donc de ralentir le recrutement et d'en assurer la qualité, en mettant en place – ce qui est techniquement possible – un suivi individuel des recrues et de leur parcours. Tel est le mandat qui a été donné par la coalition à son chef d'état-major, qui a les moyens de le mettre en oeuvre.
L'objectif pour la France est de concentrer cet effort sur le territoire dont elle a la charge. Le Président Karzaï a confirmé au Président de la République le 27 janvier qu'une troisième tranche de transition serait annoncée le 31 mars prochain et devrait être opérationnelle à compter du 1er juillet. La totalité de la province de la Kapisa sera présentée à la transition. Nos soldats y maintiendront leur fonction de support jusqu'à la fin de l'année 2013. Cette fonction ne les place plus en position de responsables du combat, même s'ils peuvent être conduits à exercer l'autodéfense ou à participer à la force de réaction rapide en soutien.
En août 2011, nous avions environ 2 800 combattants de la task force La Fayette sur le district de Surobi et la province de la Kapisa. Quatre cents au total ont été retirés en octobre et en décembre. Le Président de la République a décidé le retrait de 1 000 combattants supplémentaires pour l'année 2012. Il en restera donc 1 400. Il est évidemment impensable de « garder le plus dur pour la fin », à savoir de renvoyer le transfert de responsabilité à l'armée nationale afghane à la fin 2014 ou, pour chaque phase de transition, à la fin de cette dernière. La transition doit mettre le plus rapidement possible l'armée nationale afghane en situation de responsabilité effective dans les territoires, les forces françaises – dans le cas de la Kapisa – demeurant en soutien tout au long de l'année 2012 et jusqu'à la fin 2013, à effectifs réduits à partir du deuxième semestre 2013. Le mouvement de transition a déjà commencé. Si nous avons gardé nos trois grandes bases opérationnelles avancées (en anglais forward operating base, ou FOB) de Nijrab, Tagab et Surobi, nous avons transmis à l'armée nationale afghane six postes extérieurs de combat (en anglais combat outpost, ou COP), unités plus réduites qui comportent en moyenne 20 % de soldats français en mission d'operational mentoring and liaison team (OMLT) et d'entraînement ainsi qu'une centaine de combattants afghans. Nous avons transféré des positions, en conservant celles qui sont stratégiquement indispensables pour protéger nos trois principales bases. L'armée nationale afghane assume aujourd'hui la responsabilité de douze des seize FOB et COP du secteur dont nous avons la charge. La transition est donc bien engagée, et elle fonctionne. C'est là un aspect important, que j'ai évoqué en conclusion de la réunion de Bruxelles : cette transition voulue et acceptée par l'ensemble des forces de la coalition ne doit pas donner lieu à une surenchère – course de vitesse ou, au contraire, présence indéfinie. Elle doit être commandée par les réalités du terrain. Or, la réalité du terrain en Kapisa permet aujourd'hui ce transfert à l'armée nationale afghane. Je souhaite qu'il en soit de même dans les secteurs gérés par les autres forces de la coalition.
Après les États-Unis, qui avaient encore 90 000 soldats en Afghanistan au 31 décembre 2011, le Royaume-Uni, avec 9 500, et l'Allemagne – en charge du secteur nord, à population ouzbèke et tadjike, qui ne pose pas les mêmes problèmes que le nôtre – avec 4 800, la France, avec 3 900 soldats, est le quatrième contributeur étranger à la coalition, à égalité avec l'Italie. Près de 1 200 de ces 3 900 soldats sont affectés à Kaboul et sa région à des missions de formation ou encore de logistique et de soutien sans lesquelles une armée ne peut combattre.
La position française est une position de bon sens. La transition sera totalement achevée à la fin de 2014 ; mais pour garantir son succès, il faut mettre l'armée nationale afghane en situation de responsabilité de combat principale pour l'été 2013, comme l'ont envisagé les États-Unis. Cette décision sera évoquée au sommet de Chicago de mai, qui s'inscrit dans la ligne des grandes réunions de Londres, de Bucarest et de Lisbonne qui ont rythmé la vie de la coalition, dont nous sommes un partenaire important, mais non le partenaire principal.