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Intervention de Alain Juppé

Réunion du 8 février 2012 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alain Juppé, ministre d'état, ministre des affaires étrangères et européennes :

Permettez-moi de vous rappeler les grands axes de la politique de la France en Afghanistan et dans la région.

L'engagement de la France et de ses partenaires a depuis l'origine deux objectifs, qui sont intimement liés : combattre le foyer terroriste qu'Al Qaida s'était constitué en Afghanistan à la faveur du règne des talibans, et recréer les conditions de sécurité nécessaires pour permettre aux Afghans de vivre en paix et de se consacrer pleinement au développement de leur pays. La mort d'Oussama Ben Laden en 2011 a illustré les progrès de la lutte contre le terrorisme d'Al Qaida.

La mission n'est cependant pas terminée. Un nouveau chapitre a été ouvert : celui du retrait progressif et ordonné des forces de la coalition, décidé lors du sommet de l'Alliance Atlantique qui s'est tenu à Lisbonne en novembre 2010. Nous avons défini, avec nos partenaires et alliés, une stratégie de transfert graduel des responsabilités de sécurité aux autorités afghanes. La montée en puissance des forces afghanes doit leur permettre d'assurer seules la sécurité de l'Afghanistan, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2014 : nul pays ne saurait dépendre durablement des forces étrangères pour sa sécurité, et nous n'avons pas vocation à assumer indéfiniment des responsabilités de sécurité en Afghanistan.

C'est une juste cause que servent nos soldats, avec un professionnalisme et un courage que nous saluons tous.

Nous voulons offrir aux Afghans et aux Afghanes un avenir, et empêcher le retour sur cette terre de menaces qui concernent aussi l'ensemble de nos sociétés. Nous voulons un retrait ordonné, pas une retraite précipitée qui ne serait ni à la hauteur de nos responsabilités, ni à l'honneur de nos forces armées.

Dans la mise en oeuvre de cette stratégie adoptée lors du sommet de Lisbonne, le Président de la République et le Gouvernement ont pris les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos soldats et réussir le transfert des responsabilités aux forces afghanes. Je ne peux manquer de m'associer à l'émotion qu'a suscitée, le 20 janvier dernier, la mort de quatre de nos soldats, assassinés par un taliban infiltré. Ce drame a révélé le risque, jusqu'ici sous-évalué par la coalition internationale, que représente l'infiltration de talibans dans les rangs de l'armée afghane. Même si ces actes isolés ne doivent pas conduire à douter de l'intégrité de l'ensemble de l'armée afghane, nous ne pouvons accepter que nos hommes soient tués par des soldats qu'ils sont venus former et soutenir dans le combat au service du peuple afghan.

Les forces afghanes sont rapidement montées en puissance. Elles comptent aujourd'hui 330 000 policiers et militaires à l'échelle du pays ; plus de 110 000 Afghans ont déjà été formés par la mission de formation de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS). Les deux premières tranches de la transition ont été engagées : les zones en cours de transfert représentent déjà plus de la moitié de la population. La troisième, qui sera annoncée au printemps, fera passer cette proportion à 80 %. S'agissant des zones sous notre responsabilité, le district de Surobi a déjà commencé sa transition ; et lors de sa visite en France le 27 janvier, le Président Karzaï a confirmé que la province de Kapisa serait appelée à le faire au printemps.

Le Président de la République en a tiré toutes les conséquences dans les décisions annoncées le 27 janvier.

Afin de répondre à la menace que représente l'infiltration de talibans dans l'armée afghane, les conditions d'exécution de la mission de formation seront révisées – le ministre de la défense y reviendra – pour renforcer la sécurité de nos troupes.

La France poursuit par ailleurs la transition et le transfert graduel des responsabilités de combat. Le ministre de la défense vous détaillera la programmation de ce retrait des troupes combattantes d'ici à la fin 2013. Le processus a commencé : 400 de nos soldats sont déjà rentrés en France, et d'ici la fin de l'année, 1 000 autres quitteront l'Afghanistan.

Enfin, la France a proposé à ses alliés de l'OTAN de lancer une réflexion sur les différents aspects de la transition – comment accélérer la responsabilisation des forces afghanes avec une prise en charge totale des missions de combat de la FIAS par l'armée afghane dès la fin de 2013 ? Comment sécuriser les troupes de la coalition face au risque d'infiltration par des talibans ? Comment s'engager sur le long terme aux côtés de l'Afghanistan pour la formation de ses forces ? Le ministre de la défense, qui participait à la réunion ministérielle de l'OTAN il y a quelques jours, vous donnera tous éclaircissements sur ces points.

Je voudrais maintenant évoquer avec vous le cadre politique de notre stratégie. Cette politique repose sur trois piliers.

Le premier est celui de l'aide à la reconstruction et au développement du pays. Nous y avons déjà largement contribué, mais nous montrons la voie dans ce domaine, avec le traité d'amitié et de coopération signé par les présidents français et afghan le 27 janvier. Ce traité couvre une période de vingt ans, avec un premier plan d'action de cinq ans. Conformément à l'engagement pris par le Président de la République à Kaboul en juillet dernier, il se concrétisera par une augmentation importante de notre engagement civil. Nos projets sont concentrés dans les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture, de l'agriculture, des ressources minières et des infrastructures. Mme Françoise Hostalier a d'ores et déjà sensibilisé les entreprises françaises et identifié les domaines dans lesquels elles pourraient intervenir.

Comme le président Karzaï l'a souligné lors de sa venue à Paris, il s'agit du premier traité signé par l'Afghanistan avec un pays extérieur à la région. Il sera sans doute suivi d'autres partenariats bilatéraux et multilatéraux, notamment avec l'Union européenne et l'OTAN. Cette dernière avait en effet clairement indiqué à Lisbonne que la coalition resterait engagée dans la formation et le développement du pays au-delà de 2014. Notre objectif est de mobiliser l'ensemble de la communauté internationale. La conférence qui s'est tenue à Bonn le 5 décembre dernier a réaffirmé cet engagement, et une nouvelle conférence sur le développement économique de l'Afghanistan aura lieu à Tokyo en juillet.

Le deuxième pilier de notre politique est la recherche d'une solution politique, avec l'encouragement au processus de réconciliation inter-afghane, ouvert aux insurgés prêts à rompre tout lien avec Al Qaida et le terrorisme international, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane. Ce processus est engagé, mais reste fragile. L'ouverture annoncée d'un bureau des talibans au Qatar devrait aider au lancement de négociations visant à mettre un terme au conflit inter-afghan. Ce processus n'en est pour l'instant qu'à ses prémisses. Nous appuyons ces efforts, encourageons le dialogue et insistons plus particulièrement sur la nécessité d'un processus inclusif, dirigé par les autorités afghanes et associant l'ensemble des composantes de la société afghane. Nous avons ainsi organisé à Paris, en novembre, un colloque associant ces différents acteurs pour favoriser leur dialogue sur les perspectives à long terme de l'Afghanistan.

Le troisième pilier consiste à promouvoir une approche régionale dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique. L'attitude des États de la région, tout particulièrement du Pakistan, est un facteur essentiel, qui a une influence majeure sur la situation intérieure de l'Afghanistan. Une dynamique régionale a été lancée sur les questions de sécurité lors de la conférence d'Istanbul du 2 novembre. La France a avancé l'idée d'une zone de sécurité collective autour de l'Afghanistan, et les États de la région ont pris des engagements – notamment de non-ingérence dans les affaires intérieures de l'Afghanistan. Le rôle du Pakistan est évidemment central. Ce pays entretient avec l'Afghanistan des liens complexes. Il redoute un Afghanistan sous influence indienne. Des liens forts existent par ailleurs entre les talibans et l'ISI, le service de renseignement pakistanais. La relation entre le Pakistan et les États-Unis est aujourd'hui très tendue – survol du territoire pakistanais par des drones, bombardement américain du poste-frontière le 25 novembre, évocation de liens entre l'ISI et des mouvements terroristes. Le Pakistan conserve néanmoins un rôle central aux yeux des Américains, tant sur le plan logistique que sur le plan politique et militaire. Sa situation interne est par ailleurs difficile : la Cour suprême vient de lancer une nouvelle offensive contre le Président Zardari et le Premier ministre Gilani, et la situation économique et sociale est profondément dégradée. Nous essayons de développer un dialogue politique et de sécurité. Nous avions l'idée d'un accord de sécurité, qui pour l'instant n'a pas abouti ; nous souhaitons associer le Pakistan à la construction d'un système de sécurité collective, et nous appuyons également le dialogue entre l'Inde et le Pakistan et entre l'Afghanistan et le Pakistan, avec des résultats contrastés.

Nous veillons au suivi du processus sur la sécurité collective et la coopération régionale lancé à Istanbul. L'objectif est d'obtenir, comme l'attendent les Afghans et conformément à nos propositions, des engagements concrets et contraignants afin de développer une sécurité collective dans cette zone. C'est un vaste programme.

L'action que nous poursuivons en Afghanistan n'est possible que grâce à l'engagement total, au courage et à la conviction que nos soldats apportent à l'accomplissement de la mission qui leur a été confiée dans cette délicate période de transition. Je tiens donc une nouvelle fois à saluer leur engagement.

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