Je tiens à faire un bref rappel historique, qui doit inciter chacun à faire preuve d'humilité sur la question du ciblage des exonérations de charges sociales.
À la fin des années quatre-vingt, on a assisté à une destruction massive d'emplois peu qualifiés, ce qui a conduit, au début des années quatre-vingt-dix, à mettre en place des exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires. L'objectif était non pas de favoriser la compétitivité, mais de défendre l'emploi. L'augmentation de la TVA a été, à l'époque, pour partie utilisée à financer la « ristourne Juppé ». Puis, au début de 1998, Martine Aubry a estimé qu'une politique de partage du travail serait plus efficace pour créer des emplois. Aussi a-t-elle envisagé de supprimer cette ristourne. Mais comme il fallait financer les 35 heures payées trente-neuf, elle a finalement conservé les allégements existants tout en allégeant les cotisations sociales patronales pour compenser l'augmentation de 11 % du coût du travail. Lorsque nous sommes revenus aux responsabilités en 2002, il existait donc six Smic horaires différents. Aussi a-t-il été décidé de fusionner les mesures issues de la baisse du coût du travail et celles issues de la loi sur les 35 heures.
Le phénomène est trop complexe pour que l'on puisse imputer à une seule cause la dégradation du coût du travail en France. Je tiens toutefois à rappeler que nous avons procédé à l'alignement des différents Smic horaires par le haut alors que l'Allemagne a pratiqué une politique de blocage salarial. Le coût du travail était auparavant plus élevé en Allemagne que chez nous : aujourd'hui, il tend à être plus élevé dans notre pays.
Le dispositif Fillon supprime au niveau du smic vingt-huit points de cotisations sociales pour les entreprises de moins de vingt salariés et vingt-six points pour celles de vingt salariés et plus, puis applique une dégressivité quasi-linéaire jusqu'à 1,6 smic. Compte tenu de ses origines, ce dispositif vise à la fois à protéger l'emploi et à améliorer la compétitivité des entreprises. Selon des études rétrospectives, il a permis de préserver, voire de créer, entre 400 000 et 800 000 emplois, ce qui est loin d'être négligeable. Ces études indiquent également que ce dispositif, compte tenu de la distribution des salaires, concerne d'abord des secteurs abrités de la concurrence ou hors concurrence : salariés des TPE, des secteurs de la propreté, de la sécurité, du bâtiment ou du petit commerce. Il est tentant, dans ces conditions, de vouloir développer une approche ciblée sur les entreprises exposées à la concurrence internationale. Or la réglementation européenne nous l'interdit. En 1994, nous avions mis en place un dispositif d'exonérations de charges sociales patronales dans le seul secteur du textile, mais nous avons dû le supprimer et payer des pénalités importantes. Sur les 13 milliards de suppression de charges sociales prévus, une part non négligeable - 5,750 milliards – sera consacrée à augmenter progressivement les exonérations Fillon, car le Gouvernement considère que la politique familiale ne doit pas être à la charge des entreprises.
Il est faux de prétendre de manière abrupte que la mesure ne profitera pas à l'industrie. En effet, depuis une vingtaine d'années, un grand nombre d'entreprises industrielles ont externalisé certaines activités, notamment la sécurité ou la propreté. Elles bénéficieront donc également par contrecoup des exonérations.
Jusqu'où faut-il aller ? Les représentants des industries chimique et pharmaceutique m'ont fait part de leur regret que le dispositif proposé par le Gouvernement ne leur profite pas en termes de compétitivité du fait que leurs salaires moyens sont plus élevés. En revanche, le dispositif bénéficiera pleinement à l'industrie agroalimentaire – je pense notamment aux salariés des abattoirs. J'ai donné des chiffres dans mon rapport, mais je me garderai bien d'en tirer des conclusions catégoriques. Ma conviction est que le mouvement structurel initié par le Gouvernement va dans le bon sens. Certes, sur le plan politique, la mesure peut ne pas sembler opportune, mais, sur le plan économique, elle est nécessaire : la France étant dans la zone euro, elle ne peut plus se permettre d'avoir un coût du travail aussi élevé.
Lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2012, nous avons dû résoudre le problème du financement des centres techniques industriels et les dizaines de chefs d'entreprises moyennes ou de taille intermédiaire que j'ai rencontrés à cette occasion m'ont dit que c'est par rapport à l'Allemagne qu'ils avaient perdu des parts de marché, pas par rapport à la Chine ou au Maroc. Il faut bien reconnaître que l'Allemagne a mené, depuis dix ans, une politique, sinon égoïste, du moins non coopérative au plan européen, notamment au sein de la zone euro.
S'agissant des banques, qui ne sont pas assujetties à la TVA, ne crions pas systématiquement haro sur un des rares secteurs qui embauche encore chaque année. Cela ne serait pas de bonne politique. N'oublions pas non plus que c'est le seul secteur à avoir subi une augmentation sensible de la taxe professionnelle, à hauteur de 150 millions d'euros ! Il ne s'agit pas de pleurer sur les banques, mais qu'une partie des 13 milliards aille au secteur financier, cela n'a rien de choquant.