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Intervention de Dunya Bouhacene

Réunion du 17 janvier 2012 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Dunya Bouhacene :

Nous sommes à l'origine d'un programme appelé Women equity for growth, dont l'initiative remonte à la fin de 2009 et porte spécifiquement sur l'accès des entreprises dirigées par des femmes à des fonds de capital investissement.

Nous avons ainsi rassemblé des éléments d'information portant sur 40 000 PME de croissance dont le chiffre d'affaires se situe entre 4 et 100 millions d'euros, qui emploient entre 20 et 250 salariés et dont les données financières sont disponibles sur trois exercices consécutifs. 5000 d'entre elles sont dirigées par des femmes, qu'elles occupent des fonctions de présidente, de directrice générale ou de gérante.

Après avoir ainsi identifié ce que nous appelons un business case, il a fallu élaborer un écosystème permettant à l'acteur économique correspondant de mobiliser des capitaux et d'être accompagné en fonction des opportunités de marché et de l'enjeu sociétal qu'il représente. Car, bien que très performantes, les PME dirigées par des femmes bénéficient peu, en France, des ressources du capital investissement : moins d'une participation sur dix est gérée par une femme.

Nous ambitionnons aussi de faire de ces entreprises des modèles, ou des références, dans leur secteur d'activité au regard de la mixité des instances de direction.

Notre action a suscité de nombreux commentaires, qui nous ont permis d'accéder à une certaine visibilité. Je pense notamment à une résolution de l'Assemblée du Conseil de l'Europe de mars 2011 signalant notre initiative et incitant les États membres à s'en inspirer.

Quelques éléments de méthodologie permettent d'apprécier la nature et la portée de nos travaux : ceux-ci s'appuient sur un conseil scientifique composé d'un certain nombre de chercheurs, internationaux et spécialisés dans les différents types de relations entre le sexe – ou mieux, le genre – et les dimensions économiques que constituent la dimension managériale, l'innovation et la sociologie de l'entreprise. Nous avons ainsi pu fiabiliser les données recueillies et nous assurer de leur pertinence ; nous avons également pu développer un travail académique sur le sujet afin de nous interroger sur les raisons de certaines « sur- performances », sur les éventuelles ségrégations verticales, sur la répartition géographique des entreprises considérées - pourquoi certaines régions comptent-elles des PME plus performantes que d'autres ? Cela est-il lié à certaines initiatives institutionnelles et à l'existence de réseaux spécifiques de soutien ou d'accompagnement ? Nous étudions aussi les questions relatives à la transmission familiale des entreprises.

Nos travaux irriguent ensuite des cercles académiques puis, au-delà, des cercles ouverts au grand public car nous nous efforçons de diffuser leurs résultats afin de faire évoluer la perception de ces questions.

À partir de ces analyses statistiques, nous établissons le palmarès des 50 entreprises dirigées par des femmes et enregistrant les meilleures performances. Nous combattons ainsi des idées reçues, notamment celle qui veut que l'accès des femmes à la direction d'entreprise s'opère essentiellement par transmission familiale, ce que démentent nos observations.

À partir des données publiques figurant aux greffes des tribunaux de commerce, nous étudions donc ces entreprises, indépendantes et non cotées en bourse, durant trois ans. Ce travail permet d'identifier les PME que nous devons accompagner et de faire en sorte que leur modèle vienne un peu bousculer ce que le grand public croit connaître de cet univers.

Pour établir notre palmarès, nous intégrons trois critères de performance liés à la croissance des revenus : les premiers portent sur la progression du chiffre d'affaires au cours de la dernière année, la croissance cumulée du chiffre d'affaires sur trois ans et le volume additionnel du chiffre d'affaires créé, car nous ne voulons pas mettre systématiquement en avant les entreprises les plus petites et les plus récentes dont la croissance est nécessairement supérieure ; s'y ajoutent deux autres critères, portant sur la profitabilité et sur l'évolution de celle-ci.

Pour les années 2007, 2008 et 2009, rendues difficiles par le commencement de la crise économique, la contraction de leur revenu globalement subie par les PME a été moindre dans les PME dirigées par des femmes : elle atteint seulement 0,6 % – sans pression constatée sur les marges – contre 4,4 % en moyenne générale. La profitabilité de ces entreprises, de tailles comparables avec un chiffre d'affaires moyen se situant entre 13 et 14 millions d'euros, s'est maintenue, atteignant 6,1 % contre 5,6 % dans les entreprises dirigées par des hommes.

Les entreprises ainsi en « sur-performance » se répartissent selon une grande variété d'implantations géographiques et de stades de développement qui ne permet pas de lier les résultats obtenus à la détermination d'un secteur économique ou d'une zone géographique particulièrement favorisés.

Pour les années 2008, 2009 et 2010, on note une légère reprise de la croissance moyenne des PME considérées, entre 0,7 % et 1,5 %. Là encore, les entreprises dirigées par les femmes réalisent de meilleurs scores, avec un taux de croissance double et le maintien d'une bonne profitabilité, voire une amélioration de celle-ci, qui se traduit par un point d'écart avec celle des entreprises dirigées par des hommes.

Comment expliquer ces différences ? Pourquoi les entreprises dirigées par des femmes résistent-elles mieux à la crise, reprennent-elles plus facilement leur croissance et conservent-elles une meilleure profitabilité ?

Il ne s'agit pas d'en tirer un dogme selon lequel il existerait une capacité naturelle des femmes à mieux conduire les affaires économiques. Nous pensons plus simplement que, compte tenu de la sélection très sévère des femmes dirigeantes par le marché, de leur plus grande difficulté pour développer leurs entreprises et atteindre certains seuils, celles qui réussissent sont « sur-compétentes », ayant subi une « super-sélection » tout au long de leur parcours professionnel : elles auront ainsi appris à user de stratégies de contournement.

Cette impression se trouve corroborée par nos discussions avec ces dirigeantes de PME qui, toutes, nous relatent comment leur « genre » se répercute dans leur travail quotidien, comment on les confond régulièrement avec des assistantes de direction… On les interroge sur leur capacité à concilier leur vie de famille et leur fonction de manager, alors qu'on ne poserait jamais de telles questions à un homme. Ces femmes ont réussi à s'affranchir de certaines des représentations qui leur étaient opposées au plan social et elles obligent le marché à reconnaître leurs compétences professionnelles.

Sur les tableaux qui vous sont exposés, les chiffres relatifs aux nombres d'entreprises figurant pour l'établissement du palmarès connaissent quelques variations qui résultent du non remplacement des données manquantes, en dépit des outils statistiques de proximité d'échantillons existants : nous ne voulions pas prêter le flanc à l'accusation de fournir des résultats biaisés. Or seulement 65 à 70 % des PME nous renseignent systématiquement chaque année.

La répartition sectorielle des entreprises les plus performantes dirigées par des femmes montre une grande diversité et une présence dans des secteurs où on ne les aurait pas attendues, comme l'industrie, où leur représentation est supérieure à la moyenne nationale. On note évidemment aussi leur présence dans les secteurs traditionnels de croissance comme celui des technologies, médias et télécommunications (TMT), de la santé, des services aux entreprises…

Les femmes accèdent à la direction d'entreprises par une création de celles-ci pour 50 % d'entre elles – ce qui heurte l'idée reçue de la transmission familiale –, par des reprises d'entreprises en difficultés (20 %), par des parcours au sein d'une entreprise familiale (20 %) et, plus marginalement, par des parcours classiques en entreprises, du recrutement externe au gravissement progressif des échelons.

Le palmarès porte sur 50 PME qui, en montant cumulé, représentent un milliard d'euros de chiffre d'affaires, avec une croissance moyenne de 33 % et une profitabilité souvent à deux chiffres. Elles développent des stratégies remarquables, je pense notamment à la première d'entre elles, NUTRISET, qui est passée de 15 millions d'euros en 2005 à 100 millions d'euros en 2010. Elles utilisent très souvent des modèles innovants, prêtant une attention particulière à leur insertion dans l'environnement économique, social et écologique, comme à leur impact sur un bassin d'emploi.

La mixité des instances de direction d'entreprise en France est très déséquilibrée : 52 % des PME ne comptent aucune femme parmi leurs dirigeants, alors que la moyenne s'établit à 34 % dans une quarantaine de pays développés. Il faut donc essayer d'obtenir une amélioration dans ce domaine, d'autant que de nombreuses études, réunies par notre comité scientifique, montrent que la mixité comporte des incidences positives sur les performances globales ou sectorielles de l'entreprise. La rentabilité des fonds propres s'avère ainsi meilleure, s'établissant à 22 % contre 15 % en moyenne. Sur 600 entreprises européennes analysées en 2007, les PME dirigées par des femmes ont nécessité 35 % de capital en moins pour générer 12 % de profit en plus. Il est, en effet, plus difficile aux femmes de se procurer des capitaux, d'où une plus grande vigilance et une meilleure productivité de leur part dans l'emploi de ceux-ci.

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