Votre observation est très juste, mais cette question relève plutôt des sociologues. De formation philosophique, je me situe plutôt du côté de la théorie. Je m'efforce de réfléchir en tirant les conséquences ultimes de cette situation dans laquelle nous nous trouvons, qui est celle d'une nouvelle place pour les femmes dans la société. Elle met au jour des questions importantes, notamment pour ce qui concerne la procréation et l'éducation des enfants, et son analyse permet de mesurer l'importance des avancées réalisées. On peut cependant, il est vrai, multiplier les exemples d'inégalités qui perdurent entre les femmes et les hommes. Ainsi, en travaillant cet été sur le « plafond de verre » dans le monde académique – question qui m'a concernée très directement –, j'ai observé que, toutes disciplines confondues, 85 % des professeurs d'université sont des hommes. Comme dans toutes les sphères professionnelles, et dans le monde politique au premier chef, on explique la disparition des femmes au fil de la hiérarchie par deux facteurs principaux : elles auraient intériorisé leur potentialité maternelle et s'autocensureraient en s'interdisant de postuler à des fonctions ou à des grades supérieurs, ou encore les institutions qui recrutent appliqueraient un modèle masculin de l'excellence académique, dans lequel la vie privée n'interfère en rien avec le travail scientifique. J'ai cependant observé que les femmes qui parviennent à traverser le plafond de verre sont beaucoup plus souvent mères que celles qui ne le traversent pas. L'année dernière, sur huit lauréats à l'agrégation de science politique, six étaient des femmes et toutes étaient mères. La prétendue incompatibilité des fonctions maternelles et professionnelles est un préjugé à déboulonner de toute urgence. L'alternative « un enfant ou un poste » peut aisément être démentie par la sociologie. Faire des enfants n'empêche pas les femmes de réussir.
Abandonner aux études de genre l'étude des inégalités et des retards immenses qui restent à combler m'autorise à repérer des phénomènes qu'elles n'investissent pas, comme la maternité ou la conjugalité – qui, je le répète, participent pour elles de l'enfermement des femmes et de leur exclusion de la société. Les femmes sont aujourd'hui des sujets de droit, comme les hommes, et ont aussi une vie de famille, quel qu'en soit le mode. Elles tiennent toutes ces dimensions ensemble et il faut également les tenir ensemble lorsqu'on réfléchit à leur condition, sous peine d'en rester à des préjugés sexistes, comme celui selon lequel les femmes ne parviennent pas aux grades et fonctions les plus élevés parce qu'elles font des enfants.