L'objectif du rapport présenté ce matin devant nos deux commissions, avec Philippe Tourtelier ainsi que nos autres collègues rapporteurs thématiques – Michel Piron, Annick Le Loch, Franck Reynier, Frédérique Massat et Geneviève Gaillard – concerne la mise en oeuvre de la loi portant engagement national pour l'environnement du 12 juillet 2010. Il s'agit pour nous aujourd'hui de rendre compte de la mise en oeuvre de la loi, c'est-à-dire de noter les avancées de la sortie des décrets, des règlements et autres mesures nécessaires à l'application du texte, ainsi que d'expliciter les réussites et les difficultés opérationnelles et de reprendre les explications de l'administration sur les retards éventuels. Il ne s'agit donc pas principalement de présenter une évaluation du contenu des mesures prises, même si nous ne nous interdirons pas de faire part d'observations plus larges, permettant ainsi de suggérer des améliorations à propos de textes aussi emblématiques.
Rappelons ici que le Grenelle de l'environnement, ce sont 268 engagements votés à l'unanimité – et 4 abstentions – en octobre 2007. La loi Grenelle I visait à fixer les grands objectifs à atteindre dans notre pays dans tous les domaines liés à l'environnement : biodiversité, transports, santé, urbanisme, eau, déchets, énergie, pollution lumineuse... La méthode de concertation et la volonté d'agir en faveur d'une économie verte a fait consensus dans la classe politique française. Elle fut considérée comme un modèle d'élaboration d'une loi programme, en associant étroitement l'ensemble des acteurs concernés – État, collectivités locales, entreprises, syndicats, associations de protection de l'environnement – à l'issue d'un processus de consultation d'une ampleur inédite. Cette méthode doit être généralisée à tous les grands textes, car elle favorise l'appropriation des enjeux par tous les acteurs et facilite leur mise en oeuvre.
Le 29 juin dernier, nous vous avions présenté une note d'étape sur l'application de la loi Grenelle II. Le tableau de suivi du secrétariat général du Gouvernement en date du 20 juin 2011 faisait alors apparaître que 38 décrets seulement avaient été effectivement publiés – 20,1 % – et que 81 décrets avaient été pris ou étaient à un stade avancé de publication, soit 42,8 % des décrets attendus. À l'époque, il nous était particulièrement difficile d'établir un bilan de l'application de la loi, certains d'entre nous considérant que le verre était à moitié vide et d'autres qu'il était à moitié plein. Le Gouvernement s'était alors engagé à publier 80 à 90 % des décrets début 2012, ce dont certains d'entre nous doutaient. Nous avions cependant découvert la difficulté de la publication rapide de textes d'application aussi complexes et la longueur des procédures d'instruction – études d'impact, concertations avec les conseils consultatifs, interrogation de la Commission européenne, arbitrages interministériels, avis du Conseil d'État... À ces délais, nous avions préconisé d'ajouter la consultation régulière du Conseil national du développement durable ainsi que la présentation des projets de décret au public, sur une période minimale de quinze jours. J'ajoute que jamais autant de textes d'application n'ont été en préparation simultanée dans un ministère. Il était par conséquent concevable que des priorités de travail soient établies.
Qu'en est-il aujourd'hui ? 128 des 185 décrets d'application de la loi Grenelle II « cibles » de la législature – si nous retirons 10 décrets inutiles et 4 prématurés – ont été publiés au 31 janvier 2012, soit 69,2 % ; 33 autres sont actuellement à la signature du ou des ministres concernés, après arbitrage interministériel ou en Conseil d'État, soit un total de 87 % des décrets « sortis du ministère ». Nous considérons qu'il s'agit là d'un bon résultat.
Nous pouvons remercier les services de l'administration, qui se sont beaucoup mobilisés, certaines directions ayant affecté près d'une centaine de collaborateurs essentiellement à ces missions – je pense notamment à celles du ministère chargé de l'écologie et au Commissariat général au développement durable. L'effort fourni afin de faire en sorte qu'un maximum de mesures soient effectivement prises avant la fin de la mandature et cela en établissant une concertation systématique avec les acteurs de la société - collectivités locales, entreprises, syndicats et associations de protection de l'environnement – a été manifeste.
En marge de la comptabilisation des décrets pris, nous nous étions fixé une seconde mission : vérifier que ces derniers respectaient l'esprit et la lettre de la loi.
Compte tenu de l'ampleur de la tâche, nous avons choisi une méthode de suivi tout à fait originale pour le Parlement et qui a été plébiscitée par l'ensemble des acteurs. Nous avons organisé sept tables rondes – le titre biodiversité ayant été divisé en deux parties, une pour l'agriculture, l'autre pour la biodiversité en général – visant à réunir toutes les parties prenantes issues des cinq collèges du Grenelle. Nous voulions que chacun exprime son point de vue et que l'administration puisse répondre en direct aux interrogations et remarques des acteurs quant à la mise en oeuvre des décrets d'application de la loi. Grâce à cette méthode, nous avons pu vérifier si les textes étaient bien en adéquation avec les demandes et comprendre les raisons d'éventuels retards. À quelques exceptions près, largement médiatisées d'ailleurs – non prise en compte des émissions indirectes dans les bilans d'émission de gaz à effet de serre des entreprises, retard d'une année de la publication des indicateurs sociaux et environnementaux des entreprises –, nous pouvons affirmer que les décrets ont généralement plutôt bien respecté le texte que nous avons voté. C'est pour tous les acteurs un sujet de satisfaction.
Nous voici donc maintenant armés d'une solide législation qui nous permettra d'amplifier des engagements environnementaux forts, portés par la société tout entière.
Qu'il me soit cependant permis, en accord avec Philippe Tourtelier, d'exprimer certaines observations, suggestions ou critiques.
Tout d'abord, pour des raisons de moyens et de temps, nous n'avons fait que suivre la parution des décrets d'application. Nombre de décrets sont toutefois suivis par des textes réglementaires de rang inférieur : certains sont pris, d'autres mettront encore du temps à être mis en oeuvre. Citons l'exemple de la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) des déchets d'ameublement. Il a fallu estimer le volume national de ces déchets – environ deux millions de tonnes –, analyser les objectifs à atteindre – 45% de recyclage contre 30 % actuellement –, définir les catégories de meubles concernés et établir le montant de l'éco-redevance. Après les consultations obligatoires et celle du Conseil d'État, le décret d'application vient de paraître. Il convient maintenant par un arrêté, lui-même soumis à consultation ainsi qu'au Conseil d'État, de définir les redevances par type de produits et de mettre d'accord les fédérations d'élus locaux et l'éco-organisme concerné afin de savoir qui fait quoi en termes de collecte. L'arrêté est attendu pour les mois de juin ou juillet avec une mise en oeuvre pour octobre prochain. Cet exemple illustre le caractère complexe du suivi d'une loi aussi importante que celle qui nous occupe. Notre travail ne devrait donc être qu'une première étape dans le cadre d'un regard permanent sur l'exécution de cette loi.
Ensuite et pour les mêmes raisons, il nous a été impossible de vérifier si les mesures d'accompagnement ou d'acceptabilité des textes que nous avions votés étaient suffisantes. Il est clair que nombre d'engagements se traduiront par l'atteinte de nos objectifs – filières REP, normes pour les bâtiments neufs, schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie... – mais que d'autres nécessiteront ou bien des moyens financiers d'accompagnement plus importants – rénovation des bâtiments anciens... – ou bien des adaptations – priorités sur les dispositifs de protection des trente mille zones de captages... Dans ce cadre, vos rapporteurs préconisent une réflexion visant à mieux adapter les réglementations futures aux caractéristiques des territoires ou des acteurs concernés. Nous devrons à l'avenir donner davantage de marges d'action au public concerné par nos décisions par le biais d'une nouvelle gouvernance locale à construire. Cela nous semble être un vrai défi, car c'est une condition d'acceptabilité de mesures complexes à prendre. Nous pensons également indispensable d'inscrire des mesures budgétaires et fiscales dans le temps.
Enfin, nous nous sommes interrogés sur les conditions de contrôle auprès de ceux qui sont concernés par toutes les mesures que nous mettons en place. Le législateur avait fait le choix, à l'époque, de ne pas généraliser les sanctions en cas de non application de la loi : nous voulions inciter les acteurs au lieu de les sanctionner. Ces dispositions trouveront cependant vite leurs limites. C'est le cas notamment des obligations pesant sur les collectivités locales. Nous nous sommes par ailleurs interrogés sur les moyens déployés pour effectuer les missions de contrôle, lorsque les obligations sont assorties de sanctions – il y en a un certain nombre. Il conviendrait à l'avenir de réfléchir sur les conditions des contrôles que nous devons effectuer et sur la répartition des missions entre les services de l'État, les organismes certificateurs et les autocontrôles des acteurs concernés. Nous souhaitons que la loi soit respectée par tous.
Je ne saurais conclure sans dire combien j'ai été heureux de travailler avec les services de nos commissions, ceux de l'État et l'ensemble de mes collègues corapporteurs. J'ai passé de très bons moments avec Philippe Tourtelier, dont je salue l'honnêteté et la rigueur intellectuelles. Je n'ai qu'un seul regret, qu'il ne se représente pas ! Peut-être pourra-t-il passer d'agréables moments avec Serge Poignant, qui, lui non plus, ne se représentera pas aux prochaines élections…