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Intervention de Jean-Luc Reitzer

Réunion du 8 février 2012 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Reitzer, rapporteur :

Effectivement, l'Amérique latine change, et très vite. Elle est même devenue l'un des moteurs de la croissance mondiale. Au-delà de l'aspect économique, il y a aujourd'hui, comme nous le disons dans le rapport, une modernité de l'Amérique latine qu'elle n'avait pas jusqu'à récemment.

En deux décennies à peine, l'évolution a été considérable. C'est une région qui est passé de régimes majoritairement dictatoriaux dans les années 1970 et 1980 à des démocraties, installées et qui fonctionnent dans tous les pays du sous-continent. Des alternances politiques parfois très marquées, sont même intervenues, dans des pays comme le Venezuela, l'Equateur, la Bolivie ou le Paraguay. De plus, on n'a pas assisté seulement à des basculements de droite à gauche, mais aussi à l'arrivée de nouvelles élites, indiennes ou métisses, en Bolivie et au Pérou. Les quelques tentatives de coups d'Etat ou les tensions politiques parfois très vives que certains pays ont connues, ont avorté, à la différence de ce qui se passait antérieurement, et parfois grâce à l'intervention de l'armée, comme en Equateur en 2010. La démocratie est non seulement installée mais elle est défendue et les processus d'intégration régionale, même encore balbutiants, jouent un rôle de stabilisation très fort.

En outre, quelles que soient les différences idéologiques existant entre les gouvernements des différents pays, évidemment très importantes si l'on compare la Colombie ou le Chili à la Bolivie, au Venezuela ou à l'Equateur, le développement économique et social est devenu le sujet numéro 1, la première priorité de l'ensemble des gouvernements de la région.

L'Amérique latine a retenu les leçons du passé : il y a encore une dizaine d'années, un certain nombre de ces pays étaient quasiment en faillite, si l'on se rappelle la situation de l'Argentine il y a tout juste 10 ans, ou le plan Colombia à la fin des années 1990 proposé par les Etats-Unis pour reprendre en mains la lutte contre le trafic de cocaïne. Ce sont aujourd'hui, des pays qui, non seulement, sont sortis de leur difficile situation, financière, économique, sociale, mais qui se sont désendettés, qui ont su mettre en place des politiques macroéconomiques efficaces qui leur ont permis de sortir de la crise de 2008-2009 de bien meilleure manière que nous. Certains n'ont pas connu de récession. Tous sont repartis, dès l'année suivante, sur des rythmes de croissance inconnus de ce côté-ci de l'Atlantique, de 4 ou 5 %, voire 7 %. Après avoir dû passer sous les fourches caudines du FMI il y a 10 ou 15 ans, ils s'attaquent aujourd'hui à leur développement économique et social sur des bases assainies et avec une gestion rigoureuse des finances publiques.

Cela étant, tout n'est pas pour autant tout rose. Les bases de la croissance, notamment, restent à consolider dans la plupart des pays. Car cette croissance est avant tout dopée par le fait qu'ils sont avant tout exportateurs de matières premières. Ce sont donc à la fois les prix actuels des matières premières, portés par la demande chinoise, qui leur permettent ces performances exceptionnelles. C'est la situation encore aujourd'hui pour beaucoup de pays de la région, y compris les plus importants, qui tirent l'essentiel de leurs recettes de leurs exportations de produits miniers, ou de leur agriculture. La région a donc besoin de fonder son développement économique et social sur de nouvelles bases, de façon à être moins dépendante de la demande de matières premières, et l'industrialisation est une priorité d'autant plus affirmée. Un pays comme le Pérou est aujourd'hui particulièrement conscient et souhaite attirer au maximum les investisseurs étrangers pour cette raison.

En parallèle, des défis considérables sont à relever : au plan social en premier lieu, la région restant encore la plus inégalitaire du monde, même si les taux de pauvreté ont tendance à diminuer. Des secteurs tels que la santé ou l'éducation sont des domaines dans lesquels des efforts extrêmement importants sont à faire pour asseoir le développement économique. Il n'y a encore qu'au Chili où l'économie informelle est moins importante que l'économie formelle, et où les classes moyennes restent par conséquent fragiles, même si elles bénéficient aujourd'hui de la croissance, et sont susceptibles de retomber facilement dans la pauvreté. Défis de la sécurité et de la criminalité, ensuite, car la région reste l'une des plus violentes du monde. Défi de la drogue bien sûr, et de la corruption.

Cela étant, beaucoup de pays ont compris que l'Amérique latine avaient changée et nombreux sont ceux qui croient aujourd'hui en elle plus que jamais. A la différence de notre pays, en effet, les principaux pays européens ont fait de l'Amérique latine une priorité politique et économique ces dernières années, et ils se donnent les moyens de leur politique.

C'est notamment le cas du Royaume-Uni, de la RFA, de l'Italie, en plus du Portugal et de l'Espagne, qui font preuve d'un intérêt croissant pour l'Amérique latine et développent des relations commerciales, industrielles, culturelles et politiques, très actives, non seulement avec le Brésil, évidemment incontournable, mais avec les autres pays.

En 2010, l'Allemagne a par exemple défini une stratégie latino-américaine. Le Royaume-Uni est en train de faire de même et William Hague en a fait une priorité dès son arrivée au ministère. Dans une situation comparable à la nôtre, le Royaume-Uni avait autrefois des positions industrielles et commerciales très fortes, qui se sont peu à peu délitées. Il a fait l'analyse de la perte de son influence, de la diminution de ses parts de marché, de la baisse de ses IDE, et il est aujourd'hui ainsi en train de redresser la barre, d'étoffer par exemple son réseau diplomatique. L'Italie fait aussi un effort considérable sur le plan des relations industrielles et commerciales, effort initié par la Lombardie qui a été fort bien relayé par les gouvernements sur le plan politique.

On est donc en présence de pays européens qui ont perçu l'importance des changements à l'oeuvre en Amérique latine, qui ont su voir les opportunités qu'elle offrait et qui ont défini les stratégies nécessaires pour en profiter. Ils ont fait de l'Amérique latine une priorité politique, et la fréquence des déplacements des personnalités politiques allemandes et britanniques est remarquable, par comparaison avec les gouvernants français qui délaissent le sous-continent. Un pays comme l'Uruguay, très francophile – c'est le seul de la région à avoir maintenu le français comme deuxième langue obligatoire –, n'a pas reçu de visite ministérielle depuis très longtemps. Le Président de la République ne s'est pas rendu au Chili, malgré les invitations qu'il a reçues de deux présidents successifs.

Les autres pays font des efforts bien supérieurs, y compris l'Espagne et le Portugal. Ce que nous ne faisons pas, alors que nous ne manquons pas d'atouts.

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