Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jérôme Dubus

Réunion du 1er février 2012 à 19h00
Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Jérôme Dubus, délégué général du MEDEF d'Île-de-France :

En Île-de-France, sur 630 000 entreprises, quelque 250 000 adhèrent au MEDEF à travers ses huit structures départementales. Les MEDEF territoriaux sont les cellules d'adhésion, notre structure régionale s'occupant, quant à elle, des questions de logement, de transport et de développement économique, notamment.

Je serai relativement bref puisque nous vous avons fait parvenir un document de travail résumant notre analyse et nos propositions.

Comment les entreprises voient-elles la situation des transports en Île-de-France ? Depuis 2000, et même en faisant abstraction des années de crise qui se sont succédé depuis 2008, la croissance de la région a accumulé les retards. En effet, d'un peu moins de 2% par an en moyenne, elle a été inférieure à celle qu'on a observée dans d'autres régions françaises – en Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA) et dans les Pays de la Loire, elle a été comprise entre 3,5 et 4% –, dans d'autres métropoles européennes comme le Grand Londres ou Madrid voire même en Lombardie, pour ne pas parler des régions allemandes où la progression a été de 4 ou 5%. Cet écart est d'autant plus notable qu'ailleurs en Europe, c'est en général la région capitale qui tire la croissance du pays. Or, en France, elle se situe à peine dans la moyenne hexagonale.

Les problèmes de mobilité sont l'un des éléments qui expliquent cette croissance insuffisante. Jusqu'au début des années 2000, le réseau de transport était regardé comme un atout majeur de Paris et de l'Île-de-France par les investisseurs internationaux qui envisageaient de s'y s'implanter. Aujourd'hui, les études que nous avons menées avec la Chambre de commerce et avec l'Agence « Paris Île-de-France Capitale Économique » démontrent exactement l'inverse. Notre réseau de transport est considéré comme insuffisant et, changement majeur dans les critères de choix des investisseurs étrangers, il est même désormais perçu par ceux-ci comme un handicap.

Quant aux entreprises déjà implantées en Île-de-France, elles caractérisent le transport dans cette région par les trois « I » : irrégularité, inconfort et insécurité. Ce sont en effet les trois inconvénients que les salariés subissent tous les jours dans leurs trajets entre le domicile et le lieu de travail, et qui se traduisent pour eux par un double stress, avant et après le travail.

Se conjuguent ainsi les effets de deux facteurs négatifs : au niveau macroéconomique, le retard de croissance fait obstacle à l'arrivée des investisseurs étrangers – ce qui est d'autant plus regrettable que chaque emploi créé par un grand groupe en génère potentiellement huit chez les PME et les TPE sous-traitantes – cependant que le mauvais fonctionnement du réseau de transport entraîne une perte de productivité et d'heures travaillées.

Nous considérons que le réseau a beaucoup vieilli du fait du retard pris en matière d'investissement au cours des dernières vingt années – la dernière opération majeure remonte au début des années quatre-vingt-dix. Les conséquences en sont d'autant plus graves que, durant la même période, les emplois et les entreprises ont eu tendance à glisser dans un premier temps de Paris vers la première couronne, puis de la première couronne vers la deuxième. Paris a ainsi perdu 200 000 emplois, ainsi que des entreprises. Cette déconcentration de l'emploi vers les franges de la région est un phénomène structurel qui s'est amorcé sous la majorité « Chirac-Tibéri » et s'est poursuivi sous l'actuelle majorité municipale. Dès lors, le système actuel de transports en commun, organisé en étoile, ne permet plus aux salariés de se rendre à leur travail dans des conditions satisfaisantes : il est inadapté à l'évolution de l'emploi en Île-de-France, qui rend nécessaire un réseau circulaire – et c'est donc tout l'intérêt du Grand Paris.

Quatre séries de mesures s'imposent d'urgence.

Comme nous l'avons écrit dans le cahier d'acteur que nous avons remis lors de la consultation sur le Grand Paris, la première consiste à améliorer les infrastructures. Le plan de mobilisation de la région va dans le bon sens. Il correspond à ce qu'attendent les entreprises : renouvellement du matériel roulant sur la ligne A RER, remplacement des rames sur la ligne B, accélération des schémas directeurs de réseau et de remise à niveau pour les lignes C et D, « désaturation » de la ligne 13 par le prolongement de la ligne 14.

La deuxième urgence, qui nécessite des décisions aux effets tangibles, concerne la sécurité des voyageurs ainsi que la fréquence et la régularité des rames – même si, sur ce dernier point, la loi sur le service minimum a nettement amélioré la situation. Pour atteindre ces objectifs, il faut que le STIF soit beaucoup plus exigeant à l'égard d'opérateurs, la RATP et la SNCF, qui sont aujourd'hui en position de monopole.

Troisième urgence : il faut rationaliser l'exploitation du réseau, les zones de compétence des deux opérateurs se recoupant parfois. Des améliorations ont été apportées sur certaines lignes, mais il faut aller plus loin car la répartition entre la RATP et la SNCF, qui était efficiente il y a une vingtaine d'années, ne l'est certainement plus aujourd'hui.

Quatrième urgence : comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes du 17 novembre 2010 après le rapport de Gilles Carrez de 2009, il faut maîtriser les coûts de fonctionnement. Ceux-ci subissent actuellement une dérive, mais ce n'est rien au regard de ce qui nous attend quand seront réalisées les opérations prévues dans le projet Grand Paris Express et dans le plan de mobilisation pour l'horizon de 2025 : ils augmenteront alors d'environ 1,5 milliard d'euros.

Pour le long terme, j'évoquerai plusieurs points que Grand Paris Express et le plan de mobilisation de la région prennent globalement en compte, à commencer par le désenclavement de la banlieue. En effet, si, dans Paris, 95 % des emplois sont couverts par les transports en commun, cette proportion tombe à 45 % en banlieue. Je l'ai dit, le dessin en étoile du réseau n'est plus adapté à la nouvelle implantation des entreprises en Île-de-France.

Cela étant, nous nous félicitons de la fusion, que nous demandions, entre Arc Express et le Réseau de transport public du Grand Paris. Il est essentiel, pour le Grand Paris et pour le développement économique de la région, que soient correctement desservis les dix futurs pôles économiques majeurs qui seront demain les clusters de l'Île-de-France. Ces pôles doivent évidemment être intégrés dans le futur schéma régional de développement.

Cela dit, plusieurs insuffisances nous inquiètent beaucoup. Tout d'abord, le problème de la desserte de Saclay n'est pas réglé. L'on nous oppose qu'une ligne à grande capacité et à fonctionnement rapide, comme celle du Grand Paris, ne serait pas rentable en l'espèce. Des études de rentabilité réalisées sur certains tronçons de la ligne du Grand Paris Express démontrent en effet que c'est la moins rentable, puisque le retour sur investissement y est à peine de 50%. Toutefois, Saclay constitue une priorité pour le développement économique francilien – je rappelle que l'ambition est d'en faire un cluster à vocation mondiale – et il importe de trouver une solution, même si ce n'est qu'une solution intermédiaire.

Cergy et, plus largement, le Val-d'Oise, sont également insuffisamment desservis. Comme nous l'avons souligné dans notre cahier d'acteur, il est fort regrettable que Cergy soit « le grand oublié » du Grand Paris Express alors que c'est un cluster en évolution, une agglomération de 200 000 habitants en forte progression et riche de ses universités et de ses grandes écoles. Nous l'avons dit à plusieurs reprises au président André Santini et la Société du Grand Paris (SGP) étudie une possibilité de desserte directe de Roissy passant par Cergy. C'est une condition indispensable au développement du département du Val-d'Oise.

La troisième insuffisance concerne la desserte de Roissy à partir de Paris. Nous ne savons plus très bien où l'on en est du projet de CDG Express, même si, selon de récentes annonces, une solution aurait été trouvée. Le groupe Vinci a lâché prise en raison des exigences qu'ont multipliées les collectivités locales. Je pense notamment au tunnel passant dans le 18e arrondissement, tout cela n'était pas prévu et a représenté une telle dépense, que le coût du CDG Express a bondi de 500 millions à 1 milliard d'euros. Nous sommes évidemment très partisans d'une ligne dédiée entre la Gare du Nord et Roissy. Les 23 millions de touristes qui débarquent chaque année dans cet aéroport pourraient ainsi directement rejoindre Paris.

S'agissant du financement du réseau régional et du versement transport, je rappellerai quelques chiffres. Aujourd'hui, en Île-de-France, les entreprises financent environ 47% du coût de fonctionnement des transports en commun, contre 31% en 1983. Leur contribution n'a donc cessé de croître, du fait que le versement transport a augmenté tous les ans depuis une dizaine d'années de 4 à 5%, soit du double de l'inflation, et mais aussi parce qu'elles prennent en charge pour la moitié en moyenne le prix du Pass Navigo, le tout pour un service qui, il faut bien le dire, n'a cessé de se dégrader. Je reviendrai tout à l'heure sur la tarification unique, mais sachez que le relèvement de cette prise en charge est aujourd'hui l'objet de négociations dans les entreprises, dans la mesure où les salaires ne peuvent que difficilement augmenter. On ne peut donc prétendre, comme nous l'entendons dire parfois, que nous récupérerons ce que nous paierions au titre du versement transport en contribuant moins au bénéfice des salariés au titre d'un pass unique. En réalité, de nombreuses entreprises prennent aujourd'hui en charge le Pass Navigo à 70%, voire à 100%, et c'est une évolution qui s'accélère compte tenu de la difficulté à augmenter les salaires.

Autre phénomène parallèle à l'augmentation du versement transport : la part des déplacements entre le domicile et le travail dans l'ensemble des déplacements en transports en commun est passée de 40 % en 1983 à 33 % en 2008. Donc, non seulement les entreprises paient plus pour un service qui se dégrade de jour en jour, mais le Pass Navigo est de moins en moins utilisé pour des trajets entre le domicile et le lieu de travail mais pour d'autres déplacements. Il y a donc là un double effet de ciseaux.

En 2011, le financement du Grand Paris Express a déjà occasionné une augmentation importante des charges pesant sur les entreprises, mais celles-ci comprennent que c'est leur intérêt dans la mesure où il s'agit de financer des investissements. En revanche, elles acceptent de moins en moins de financer le fonctionnement de ce qui ne fonctionne pas ! L'idée a été avancée de conditionner la tarification unique à une évolution du versement transport, soit par le « dézonage », soit par une uniformisation des taux à 2,6%, c'est-à-dire au niveau en vigueur à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Cette dernière option se traduirait, pour les entreprises, par une ponction d'environ 800 millions d'euros venant s'ajouter à celle de 500 millions d'euros qu'elles ont déjà supportée en 2011. Une telle augmentation des charges pesant sur les entreprises franciliennes est incompatible avec l'objectif affiché du Grand Paris, qui est d'améliorer la croissance en Île-de-France. C'est une orientation qui nous paraît dangereuse pour les entreprises et ce serait un mauvais coup porté à la compétitivité de la région.

Face à la dégradation quotidienne des conditions de transport en commun depuis vingt ans, les employeurs font en effet preuve d'une grande tolérance, car ils considèrent que les salariés n'y sont pour rien ! Mais les uns comme les autres sont exaspérés par ce mauvais fonctionnement qui n'est pas digne de la région capitale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion