..qui s'en emparent et se l'approprient pour l'inscrire plus nettement encore dans notre paysage normatif, mais aussi dans notre paysage mental en le mettant à l'horizon de nos débats dans de nombreux domaines. Vous avez fait, messieurs, oeuvre de pionniers, je vous en félicite et vous en remercie.
Voilà donc sept années que le principe de précaution est inscrit dans notre Constitution, avec la Charte de l'environnement adoptée en 2005. Chacun connaît mon engagement personnel dans cette reconnaissance nécessaire, je n'y reviens pas.
Toutefois, je ne me cache pas la réalité. Je sais que des voix s'élèvent encore, ici ou là, pour contester le principe de précaution, pour le critiquer, pour continuer d'affirmer qu'il constituerait un frein aux activités de recherche et même au développement économique.
Vous ne serez pas étonnés que je ne partage pas du tout ce point de vue. Le principe de précaution n'est pas la négation du progrès, il n'est pas la négation de la science. Il est même tout le contraire, car le doute, qu'il soit méthodique ou hyperbolique, mais aussi l'éthique sont partie intégrante de la démarche scientifique : Philippe Tourtelier nous a rappelé à ce propos la citation de Rabelais. Intégrer le doute et l'éthique, c'est l'inverse du dogme et c'est le contraire de l'obscurantisme, c'est tout simplement une science bien ordonnée. En fait, le principe de précaution est aujourd'hui l'une des conditions de possibilité et de crédibilité de la science moderne.
Il constitue à mon sens un exemple d'une vision nouvelle de l'écologie : non plus une écologie de l'objection et de l'obstacle, mais une écologie « intégrée » aux processus tant politiques qu'économiques ou scientifiques, une écologie qui les accompagne, les fonde en légitimité et leur donne de la viabilité.
De la même manière, le principe de précaution constitue une assurance de long terme, tant pour le chercheur que pour l'industriel. Face à des risques toujours plus incertains, à des conséquences qui peuvent être toujours plus graves, à mesure que progressent la science et la portée de ses applications techniques, il serait inconséquent – plus inconséquent encore que par le passé – d'attendre pour voir, pour connaître et pour éprouver la réalité du risque. En la matière, il ne faut pas confondre les expériences de la science, balisées et maîtrisées, avec les expérimentations, tentatives et tentations d'apprentis sorciers pas toujours désintéressés.
Le résultat d'un laisser-faire intégral en la matière serait, comme tout laisser-faire, exactement l'inverse de l'effet recherché, de la même manière que la liberté excessive peut dégénérer en tyrannie.
Et puis, outre ses conséquences concrètes, le laisser-faire total aurait pour résultat de démultiplier la défiance du corps social vis-à-vis des travaux et des professions scientifiques, dont le prestige a pourtant besoin d'être restauré si nous voulons construire une « société de la connaissance », capable de nous distinguer dans la mondialisation et que nous appelons de nos voeux.
Pour que la France reste un pays d'innovation, de progrès technique, de technologies de pointe, il faut qu'elle soit un pays dans lequel la science est crédible parce qu'elle sait anticiper. Les exemples sont multiples, certains en ont donné. Je n'entrerai pas dans le détail car je sais que là se trouvent peut-être des sources de contentieux.
Mais je veux dire ici que je ne défends pas une vision figée du principe de précaution. C'est au contraire un principe profondément dynamique, parfaitement adaptable en fonction de l'état des connaissances scientifiques. Ce n'est pas un principe déconnecté du droit, c'est avant tout un principe procédural. C'est pourquoi il est indispensable de clarifier les conditions de sa mise en oeuvre. Je partage sur ce point l'analyse extrêmement fine de la jurisprudence que vient de faire Jérôme Bignon, rejoignant me semble-t-il, les propos de Christophe Bouillon.
Il faut battre en brèche l'idée encore trop répandue que le flou, voire l'arbitraire présiderait à l'application du principe de précaution : tel n'est pas le cas ! Ce principe est tout sauf dénué de rationalité. Toute sa difficulté réside dans le fait que, par définition, le champ de la précaution suppose un très fort niveau d'incertitude.
J'indique au passage que je partage le point de vue d'Alain Gest quant à la nécessité de bien distinguer le régime de la précaution – où nous ne savons pas quantifier le niveau de risque – du régime de la prévention, dans lequel le risque est assez bien connu et où il s'agit de prendre des mesures qui permettent de le maintenir à un niveau jugé acceptable par la société. C'est une démarche que l'on connaît bien par exemple dans les installations Seveso ou dans les phénomènes naturels comme les inondations. Les outils de la prévention des risques sont fondamentalement différents et vous avez raison d'insister, les uns et les autres, sur le fait qu'il ne faut pas les confondre avec ceux de la précaution. C'est trop souvent le cas, et pourtant ils n'ont rien à voir.
Pour toutes ces raisons, je juge particulièrement stimulant le travail qui vous est présenté aujourd'hui dans le cadre de cette proposition de résolution.
Je trouve en particulier intéressante l'idée de mettre en place un processus clair, ce n'est pas André Chassaigne, après son intervention, qui me contredira, au moins sur ce point.
Il est d'abord intéressant de s'appuyer sur des processus pluridisciplinaires, donc sur de nouvelles expertises. Pour renforcer l'acceptabilité sociale des décisions, je crois à la nécessité de compléter l'expertise scientifique par une expertise socio-économique, pour faire clairement le bilan coût-avantage – dont Jean-Paul Chanteguet a souligné la nécessité – de chaque décision. Vous le savez, c'est ce que nous nous efforçons de réaliser, par exemple dans le domaine des biotechnologies.
Il faut aussi mettre en place, lorsque cela est nécessaire, une coordination précise. On rejoint là l'idée de réfèrent qui est développée dans le projet de résolution et à laquelle tiennent particulièrement Alain Gest et Philippe Tourtelier.
À ce propos, je ne partage pas la sévérité d'André Chassaigne sur le Haut conseil des biotechnologies. Les avis des deux comités du Haut conseil ont leur importance. Sur un sujet comme les OGM, on ne peut pas s'attendre à ce qu'il y ait facilement consensus, mais des travaux de qualité ont été menés par ces deux comités. Leurs éclairages respectifs sont utiles, en particulier pour le Gouvernement. Je citerai à ce propos un décret d'actualité, puisque c'est hier, 31 janvier, qu'a été publié au Journal officiel le décret sur l'étiquetage des produits sans OGM. Il s'appuie très fortement sur l'avis du HCB, quelle que soit par ailleurs la diversité des opinions qui ont pu s'exprimer. Les structures grenelliennes nous ont permis d'avancer.
Comme vous l'avez souligné, madame Fioraso, nous avons aussi besoin d'associer le public aux étapes successives de la mise en oeuvre du principe de précaution, selon des modalités qui restent à préciser. C'est l'intuition fondamentale du Grenelle de l'environnement, et ce mode de gouvernance semble absolument nécessaire pour assurer l'acceptabilité sociale de la décision qui devra être prise in fine.
Enfin, il faut distinguer très nettement ce qui relève de l'expertise et ce qui appartient à la décision publique sur les suites à donner.
Vous l'aurez compris, j'adhère à l'essentiel du projet de résolution. J'aurai, en revanche, des nuances à exprimer sur deux points d'organisation.
S'agissant d'abord du rôle que vous proposez de confier au référent, je partage avec vous l'idée qu'il est nécessaire d'avoir un point focal unique pour coordonner les différentes expertises à mettre en oeuvre, mais je suis plus réservée quant à l'idée de confier à ce référent l'organisation des autres phases, celle par exemple du dialogue avec le public.
Je pense en effet qu'il faut clairement distinguer dans le processus ce qui relève strictement de l'expertise et nécessite un pilote technique, et ce qui est du domaine du débat et de la décision, qui devrait rester dans le champ de responsabilité des autorités publiques – où le Parlement peut avoir un rôle important à jouer. Je marque donc une réserve sur ce point de la proposition de résolution.
Le second sujet qui me semble devoir être nuancé concerne l'initialisation de la démarche. Vous proposez que le Gouvernement, le Parlement et le Conseil économique, social et environnemental puissent lancer le processus. Ne faut-il pas prendre d'abord le temps d'apprendre et d'évaluer ce processus de mise en oeuvre du principe de précaution ? Ne faut-il pas, a minima, mettre en place des garde-fous – règles de majorité, voeux adressés au Gouvernement chargé de la saisine – pour éviter que le nombre de saisines ne discrédite le processus ?
Enfin, je voudrais revenir sur votre proposition d'étendre le processus aux domaines de la santé et de la sécurité alimentaire.
Nous avons eu ce débat, déjà très vif, à l'occasion de l'examen du texte relatif à la Charte de l'environnement. Le choix fait à l'époque a été de définir le principe de précaution dans le champ environnemental.
Il est vrai que, si l'on adopte un instant le point de vue d'un non-spécialiste, on peut être tenté, dans la vie courante, de faire référence à ce principe pour d'autres sujets que l'environnement. Je veux le dire très clairement : dans les domaines de la santé et de la sécurité alimentaire comme dans l'environnement, des situations de grande incertitude scientifique peuvent se produire et nous conduire à craindre des conséquences graves. Il est vrai aussi qu'il existe des liens entre les différents domaines. Anny Poursinoff, notamment, a évoqué les liens existant entre la santé et l'environnement. C'est pourquoi je comprends parfaitement les raisons qui vous ont conduits à poser la question de l'extension du processus à ces champs.
Cela étant, il ne faut pas méconnaître les implications juridiques – et singulièrement constitutionnelles – qu'entraînerait une telle évolution.
Il sera sans doute nécessaire d'ouvrir ce débat, mais il s'agira d'un débat constitutionnel. Il serait à l'évidence prématuré de prétendre le trancher aujourd'hui, dans le cadre de la discussion de cette proposition de résolution, et ce avant même qu'il n'ait lieu ! Je doute que le moment comme le texte soient adéquats.
Je vois, en tout cas, dans cette volonté d'extension du principe de précaution le signe indubitable qu'un pas essentiel a été franchi dans l'appropriation de ce principe par la représentation nationale, et je tenais à vous dire à quel point je m'en réjouis. C'est avec émotion que je me souviens des débats très vifs qui ont accompagné l'entrée du principe de précaution dans la Constitution.
Je donnerai donc, au nom du Gouvernement, un avis favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)