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Intervention de Jérôme Bignon

Réunion du 1er février 2012 à 15h00
Mise en oeuvre du principe de précaution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Bignon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la résolution est un acte par lequel notre assemblée émet un avis sur une question déterminée. Cette modalité d'expression qui avait été quasiment éliminée, au nom du parlementarisme rationalisé, par les constituants de 1958 a repris vigueur avec les actes européens, qui lui ont redonné vie. C'est surtout la réforme constitutionnelle que nous avons votée en 2008 qui a ouvert la voie à un renouveau de cette procédure.

C'est ainsi qu'Alain Gest et Philippe Tourtelier ont mené un très important travail d'évaluation, dont ils ont scrupuleusement rendu compte au Comité d'évaluation et de contrôle, sur la mise en oeuvre du principe de précaution inscrit en 2005 à l'article 5 de la Charte de l'environnement. Ce travail a donné lieu à deux rapports, le premier en 2010 et le second en 2011, sur le suivi des conclusions du premier.

Nos collègues ont été amenés à déposer un projet de résolution qui traduit « l'opportunité d'une initiative parlementaire pour préciser la volonté du législateur ». J'approuve bien évidemment cette initiative, pertinente et heureuse, tant dans sa forme que dans son contenu.

Le principe de précaution est conceptuellement complexe et sa simple lecture peut plonger dans une certaine perplexité. On aurait donc pu imaginer que la jurisprudence, en tant que source du droit, vienne jouer le rôle utile qui est le sien dans la tradition juridique française. Mais chacun sait que, pour être source du droit, la jurisprudence doit être répétée, car un même point de droit doit être interprété dans le même sens par différents tribunaux, et hiérarchisée, les cours suprêmes fixant au bout du compte la règle qui devient source de droit, c'est-à-dire la jurisprudence dite « constante » de la Cour de cassation ou du Conseil d'État.

La difficulté du principe de précaution, chacun l'a compris, est que son interprétation a été et reste soumise à une jurisprudence d'abord supranationale, rendue par l'Organisation mondiale du commerce ou par la Cour de justice de l'Union européenne ou encore par la Cour européenne des droits de l'homme. Certes, on sent, dans la quarantaine de décisions qui ont été rendues après une douzaine d'années, une certaine homogénéisation progressive de la jurisprudence mais on est encore loin du compte pour pouvoir considérer que les choses sont stabilisées.

Les juridictions françaises ont également apporté leur contribution à la jurisprudence. Les rédacteurs de la Charte avaient certes essayé de colmater les brèches à l'avance : ils étaient conscients des difficultés qu'ils allaient provoquer en posant ce principe extrêmement intéressant mais complexe. Cette mission était probablement impossible puisque, dans sa conception, ce principe met en oeuvre trop de notions qui sont, par nature, aléatoires : l'incertitude scientifique du risque, l'incertitude quant aux connaissances scientifiques du moment – à quel moment doit-on se situer pour l'apprécier ? –, l'incertitude quant à l'irréversibilité du dommage. Toutes ces incertitudes rendent les craintes réelles ; elles sont fondées même s'il est trop tôt pour faire un bilan.

En outre, il n'y a pas en France un seul juge mais plusieurs : Conseil constitutionnel, avec maintenant la question prioritaire de constitutionnalité, juge administratif, juge civil, juge pénal. Il y a aussi plusieurs contentieux : celui de la légalité, celui de la responsabilité. C'est dire à quel point, dans une matière supranationale, diverse et avec des contentieux de types différents, il est difficile de créer une jurisprudence stabilisée qui permette à nos concitoyens de comprendre dans quel cadre le principe de précaution doit être apprécié.

Si certains juges semblent pourtant s'être bien situés dans la logique de la Charte, d'autres, par des glissements insidieux, ont fait évoluer la jurisprudence de la précaution vers la prévention, de telle sorte qu'il est aujourd'hui préférable d'opter pour une autre solution. Certains juges nationaux d'autres pays de l'Union européenne ont d'ailleurs adopté une position similaire : on a vu par exemple les juges belges faire dériver considérablement l'apport que peut constituer la jurisprudence en dénaturant fondamentalement le principe de précaution.

J'évoquais à l'instant la question prioritaire de constitutionnalité, qui connaît un développement assez fantastique mais qui n'a pas encore donné toute sa mesure s'agissant du principe de précaution. Sans qu'il faille en avoir peur, ce mécanisme aurait pu rendre difficile la stabilisation de la jurisprudence sur ce sujet.

La proposition de résolution qui nous est soumise doit être soutenue. Le rôle qu'elle confie au Comité de la prévention et de la précaution paraît pertinent. Ce dernier est complété et enrichi, mais on ne crée pas un organisme nouveau. La procédure préconisée pour la saisine est cohérente. La prise en compte de la santé paraît conforme aux aspirations de nos concitoyens et aux premières tendances de la jurisprudence, dont je viens d'écarter l'utilisation mais qu'il n'est néanmoins pas inutile de prendre en compte.

Pour conclure, je suis favorable à l'adoption de cette proposition de résolution.

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