Monsieur le président, madame la ministre de l'écologie, mes chers collègues, le débat que nous ouvrons est la conséquence de la décision de notre Comité d'évaluation et de contrôle, que vous présidez, monsieur le président, de retenir, comme premier sujet de son premier programme de travail 2009-2010, le thème de l'évaluation de la mise en oeuvre de l'article 5 de la Charte de l'environnement, relatif au principe de précaution. Cinq ans après l'entrée en vigueur de la Charte, le moment était en effet venu de juger de l'effectivité de sa disposition phare : le principe de précaution.
Nommés co-rapporteurs par le Comité d'évaluation et de contrôle, Philippe Tourtelier et moi-même avons d'abord mené une série d'auditions auprès de juristes, de scientifiques, de représentants de la société civile, d'organismes publics, de philosophes, d'entreprises, et je pourrais poursuivre la liste. Nous avons également bénéficié de nombreux travaux concernant la mise en oeuvre du principe de précaution. Cette première approche a été complétée par un séminaire parlementaire organisé le 1er juin 2010, sur la base d'un rapport d'étape dans lequel nous nous étions volontairement cantonnés à poser un certain nombre de questions, afin de faire réagir les participants au débat. Ce travail nous a conduits à quelques constats.
En premier lieu, aucun de nos interlocuteurs n'a clairement souhaité remettre en cause l'existence du principe de précaution, qui vous est cher, madame la ministre. Nous avons donc fidèlement tiré les conclusions de cette situation en repoussant d'emblée l'idée d'une abrogation ou même d'une modification de l'article 5 de la Charte de l'environnement. Je tiens à le réaffirmer ici sans ambiguïté, car certains, extérieurs à cette assemblée, ont soit parce qu'ils ne s'étaient pas livrés à une lecture suffisamment attentive du rapport, soit parce qu'ils avaient décidé de faire croire à de telles conclusions, nous ont fait ce mauvais procès.
En revanche, la plupart des contributions reçues nous ont fait part de la nécessité de rendre plus claire, donc plus efficiente l'utilisation du principe.
Deux aspects devaient à l'évidence être pris en compte.
D'abord, le principe de précaution est invoqué le plus souvent dans des cas très éloignés de sa définition constitutionnelle, notamment dans le domaine sanitaire, que le législateur, je le rappelle, n'avait pas retenu comme domaine d'application de la Charte constitutionnelle. Les exemples pour illustrer cette situation ne manquent pas, ne serait-ce que durant la période de nos travaux : par exemple, la suspension des vols des avions de ligne à la suite de l'éruption du volcan islandais ou la grippe H1N1.
Dans le premier cas, le risque était à l'évidence avéré, en raison du danger pour les avions de voler dans un nuage opaque. Le risque était également avéré dans le second cas dans la mesure où chacun sait que, s'il peut y avoir doute sur l'intensité du risque dans le cas de la propagation d'un virus, il n'y en a pas sur l'existence de ce risque ni sur la réponse à apporter, à savoir vacciner.
Dans aucun de ces deux cas, le principe de précaution n'était concerné, mais le grand public, les médias, voire les pouvoirs publics, confondaient précaution et prévention, c'est-à-dire risque non avéré et risque réellement connu. Premier travers, donc, du principe de précaution : la terminologie employée, très souvent inadaptée et à l'origine des critiques portées à l'encontre de l'existence même du principe.
Dans le rapport de suivi que le Comité d'évaluation et de contrôle nous a demandé de réaliser pour juger de la mise en oeuvre des conclusions de notre premier rapport, nous avons été amenés à constater d'autres utilisations inappropriées du principe de précaution.
Ce fut le cas, d'abord, de la question posée par la méthode de prospection des gaz et huiles de schiste. Ce sujet qui, de mon point de vue personnel – je n'engage pas mon co-rapporteur –, a été abordé dans la plus extrême confusion, où l'émotionnel a prévalu sur le rationnel, a de nouveau mis en lumière la difficulté de distinguer entre prévention et précaution, selon que les uns et les autres considéraient le risque comme avéré ou non, s'agissant de la méthode dite de fracturation hydraulique. L'avenir nous montrera sans doute que le Parlement se serait honoré de prendre le recul nécessaire avant de condamner, sans doute définitivement, un élément non négligeable de l'indépendance énergétique de notre pays.
Ensuite, l'affaire du Mediator a mis en exergue l'intérêt de l'utilisation du principe de précaution, donc de l'évaluation en termes de bénéfices-risques, en matière médicale.
Par ailleurs, le débat sur les éventuels dangers pour la santé du téléphone mobile et de ses antennes relais, que j'avais pu étudier dans le cadre d'un rapport pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, m'avait aussi alerté sur les difficultés, pour la jurisprudence, de bien interpréter la volonté du législateur en matière de précaution. N'est-il pas curieux de constater qu'en France, alors même que l'absence de risques liés aux antennes relais réunit un quasi-consensus scientifique, c'est justement dans ce domaine que les cours d'appel de Versailles, en 2009, et de Montpellier, en 2010, ont rendu des décisions visant à démanteler des antennes relais, en se fondant sur un unique rapport dont le caractère authentiquement scientifique n'est pas reconnu, et en s'appuyant sur le principe de précaution ? Décisions judiciaires contestables, absence de jurisprudence de la Cour de cassation, divergences d'appréciation des juridictions judiciaires et administratives, notamment du Conseil d'État, tout cela concernant les antennes relais mais en aucun cas la question plus légitime de l'exposition à long terme aux téléphones mobiles eux-mêmes, et s'insérant dans un contexte médiatique qui rend, là encore, très difficile une appréciation rationnelle de la problématique du risque éventuel pour la santé.
Outre que le principe de précaution est invoqué le plus souvent de façon inappropriée, il n'est pas mis en oeuvre de façon raisonnée, réfléchie et organisée. C'est la raison pour laquelle nous avons considéré, pour à la fois en faciliter l'utilisation et davantage éclairer les juges, qu'il convenait d'imaginer une procédure en plusieurs étapes, encadrant son usage tant dans le domaine environnemental que sanitaire. Il nous a semblé indispensable de renforcer la valeur des expertises permettant d'identifier le caractère plausible ou non des risques incertains, de mieux apprécier la notion de bénéfices-risques, sous l'angle scientifique, bien sûr, mais aussi sociétal, de mieux organiser de débat public et de laisser à un opérateur unique le soin de contribuer à la prise de décision, du seul ressort des autorités publiques.
La première phase de cette procédure est celle de l'identification de l'émergence de nouveaux risques pour l'environnement, la santé publique ou la sécurité alimentaire. Cette identification serait confiée à une instance que nous avons jugé pouvoir être le Comité de la prévention et de la précaution, qui a le mérite d'exister, ce qui nous évite de créer un nouvel organisme, et qui pourrait être utilisé sous réserve de la modification de sa composition et, sans doute, de son caractère, qui devrait devenir interministériel.
Le Comité de la prévention et de la précaution pourrait être saisi par le Gouvernement, par le Parlement et par le Conseil économique, social et environnemental. Dès lors qu'il aurait identifié un risque plausible, il désignerait un référent unique qui rendrait compte publiquement de la mise en oeuvre du régime de précaution. Ce référent susciterait une double expertise, scientifique et sociétale, contradictoire et indépendante. Son rapport devrait faire état des coûts et bénéfices de l'action ou de l'absence d'action. À l'issue de l'expertise, le réfèrent soumettrait aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l'organisation d'un débat public, dont il serait également chargé de rendre publics les résultats.
C'est à l'issue de ce processus que les pouvoirs publics seraient appelés à décider des mesures à prendre. La procédure comporterait donc quatre phases : identification, études, débat public et décision de l'autorité compétente. Elle serait, à nos yeux, susceptible d'éviter les difficultés de mise en oeuvre du principe de précaution. Ces quatre phases ont pour objectif de démontrer que le principe de précaution a toujours été entendu non comme un principe d'inaction systématique mais comme l'encadrement de mesures provisoires et proportionnées au regard des dommages envisagés ; elles offrent aussi l'opportunité de proposer des expertises qui permettent de mieux connaître les risques.
Mes chers collègues, nous avons souhaité, avec cette proposition de résolution, expliciter la position de notre assemblée sur les conditions procédurales de mise en oeuvre du principe de précaution. Il s'agit ni plus ni moins d'un guide, d'un outil pour rendre le principe efficient et éclairer la jurisprudence. Il nous a semblé important de ne pas mettre sur le même plan experts et parties prenantes, car nous croyons nécessaire la réhabilitation de l'expertise, même s'il faut avoir la volonté d'associer la société civile à la procédure. Mais il nous a surtout paru indispensable qu'une initiative parlementaire soit prise pour répondre aux interrogations encore à lever. Cette résolution prendrait toute sa force dans un vote unanime, auquel je ne peux que vous convier. Plus tard peut-être, dans un contexte plus éloigné d'échéances électorales, la proposition de loi dont Philippe Tourtelier et moi-même sommes les initiateurs, qui définit le principe de précaution dans le domaine de santé, compléterait donc utilement un dispositif plus opérationnel de mise en oeuvre du principe de précaution.
Mes chers collègues, voter cette résolution, c'est tout simplement conforter le principe de précaution. Voilà pourquoi j'ai confiance dans votre décision.
(Mme Catherine Vautrin remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)