Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d'abord dire quelques mots sur le modèle social français. Nous y consacrons des moyens importants ; c'est vrai. En la matière, des marges de progrès, des gains d'efficience sont-ils possibles ? Sans doute. Mais nous n'avons pas à rougir de notre système de protection sociale ni à craindre les comparaisons ; bien au contraire. Notre rapport le montre bien.
L'efficacité redistributive de ce modèle est incontestable. L'importance des transferts sociaux traduit, en effet, un choix de société marqué par la volonté de lutter contre les inégalités, qui sont bien plus faibles que dans un certain nombre d'autres pays. Dans le domaine social, les performances de la France sont souvent supérieures à la moyenne des pays de l'OCDE. C'est vrai, par exemple, pour le dynamisme démographique, la natalité ou l'espérance de vie. Au cours de nos déplacements, nous avons d'ailleurs pu mesurer combien certains de nos dispositifs sont enviés en Europe, y compris en Allemagne, pour ce qui concerne notre politique familiale.
Nos performances peuvent toutefois être améliorées, en particulier en matière de taux d'emploi, de retour à l'emploi de qualité, notamment pour les femmes – Michel Heinrich vient de l'évoquer. Dans ces domaines, nos résultats sont clairement moins bons. Nous pouvons aussi faire mieux en matière de lutte contre la pauvreté et contre l'exclusion.
Dans notre rapport, nous préconisons de développer l'expérimentation dans le champ social, qui est une pratique plus fréquente en Suède ou au Royaume-Uni. Nous pourrions le faire en définissant un programme pluriannuel d'expérimentations, en nous inspirant des politiques locales, en débattant ici régulièrement de leurs résultats, en renforçant l'évaluation et en y associant très largement les parties prenantes. Il y a là, très clairement, un levier structurant d'amélioration de la performance de nos politiques sociales.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, depuis l'expérimentation du RSA, menée sous l'impulsion de M. Martin Hirsch, pouvez-vous nous dire quelles actions ont été engagées dans ce domaine et quelles suites vous entendez donner à nos préconisations en matière d'expérimentation et d'évaluation des politiques sociales ?
J'en viens maintenant à la question des politiques d'articulation entre famille et travail, à l'équilibre des temps.
Comme nous l'affirmons dans notre rapport, les politiques visant à favoriser cette articulation sont facteurs de performance et de compétitivité, au niveau macro-économique tout d'abord, par leur impact positif sur la natalité, le taux d'activité, l'emploi et, en conséquence, la croissance et les comptes sociaux. Elles le sont, ensuite, au niveau des entreprises, en contribuant à prévenir les risques psychosociaux, en améliorant les résultats professionnels et la qualité de l'emploi, ainsi qu'en fidélisant la main-d'oeuvre.
En Europe, la France se distingue par de bons résultats dans le domaine de la politique familiale, en particulier en matière de fécondité et d'insertion professionnelle des femmes, qui se fait plutôt à temps plein. Il faut aussi citer l'excellente prise en charge des enfants de moins de six ans dans les écoles maternelles, et ne pas oublier une certaine stabilité dans le temps des aides apportées aux familles, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple.
Il existe néanmoins des voies d'amélioration pour mieux répondre aux difficultés parfois ressenties par les parents. En particulier, des efforts significatifs ont été réalisés pour développer une offre de garde diversifiée. Ils doivent être poursuivis et amplifiés. Je rappelle que les besoins non couverts sont estimés à environ 350 000 places, et ce, dans un contexte de diminution de la scolarisation des enfants de deux ans. Celle-ci est passée, en une décennie, de l'ordre d'un tiers à 13 % en 2010. Or l'accès à des modes de garde de qualité et financièrement abordables est lié à des enjeux majeurs : emploi, réussite scolaire, lutte contre les inégalités sociales. Nous demandons, en conséquence, que tout soit fait pour que le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans se maintienne au niveau actuel. Quelles mesures le Gouvernement pense-t-il pouvoir prendre en ce domaine ?
Plus largement, et par rapport à des pays tels que la Suède, des progrès restent à faire pour soutenir l'emploi des mères et pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.
Une étude récente de l'OFCE montre qu'une cohorte d'hommes dans la tranche des quadragénaires gagne 17 % de plus qu'une cohorte de femmes ayant les mêmes caractéristiques, l'essentiel de cette différence de salaires, soit 70 %, restant inexpliqué.
Je rappelle qu'en Europe, plus de 6 millions de femmes de vingt-cinq à quarante-neuf ans se déclarent contraintes à l'inactivité ou au temps partiel en raison de leurs responsabilités familiales, du fait notamment de difficultés liées à la garde des enfants. Comment pourrions-nous nous satisfaire de cette situation ?
Si je veux résumer la philosophie de notre rapport, nous souhaitons offrir plus de temps de famille aux pères mais aussi de meilleures opportunités de carrières aux mères.
Un congé parental long éloigne durablement les femmes du marché du travail ; il a des conséquences sur leur trajectoire professionnelle. C'est pourquoi nous proposons d'aller progressivement vers un congé parental plus court et mieux rémunéré, soit quatorze mois rémunérés à hauteur des deux tiers du salaire antérieur. Nous pourrions nous inspirer, en particulier, de ce qui existe en Suède et en Allemagne depuis une réforme récente. Nous proposons également d'instituer une période de deux mois « d'égalité » réservée à l'un des parents, comme cela existe dans plusieurs pays en Europe.
À l'heure où l'on parle tant du modèle allemand, je dis « Chiche ! » Je pense, par exemple, à la qualité du dialogue social dans ce pays, mais aussi à cette réforme du congé parental, dont nous avons pu constater l'impact très positif, en particulier sur l'implication des pères. En Allemagne, 25 % des pères ont recours au congé parental, alors qu'en France ils sont 3 %.
De fait, les dispositifs visant à favoriser l'articulation famille-travail concernent essentiellement la petite enfance. Mais l'on ne cesse pas d'être parent quand son enfant rentre à l'école primaire ! C'est pourquoi des mesures sont aussi nécessaires pour favoriser le développement des bonnes pratiques en milieu professionnel et promouvoir ainsi un meilleur équilibre des temps tout au long de la vie.
En vue de favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales, les entreprises doivent apprendre à repenser l'organisation du travail. Nous formulons, là encore, plusieurs propositions concrètes en ce sens, concernant notamment les accords de branche sur l'égalité et le rôle de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, en posant aussi la question de la mixité au sein des comités de direction. Mme la Secrétaire d'État, partagez-vous ces préoccupations ?
Un mot, enfin, sur les familles monoparentales, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté. Il nous semble nécessaire d'améliorer l'accompagnement des parents isolés en situation de vulnérabilité, dans le cadre notamment d'une expérimentation, à la lumière de certaines pratiques observées en Allemagne ou au Royaume-Uni. Y seriez-vous favorable, et quelles mesures sont, le cas échéant, envisagées dans ce domaine ?