Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Catherine Gaffinel

Réunion du 24 janvier 2012 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Marie-Catherine Gaffinel, magistrate du bureau du droit des personnes et de la famille, à la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice et des libertés :

Je m'efforcerai de vous exposer le statut que nos engagements internationaux et notre droit confèrent à la kafala, en commençant par rappeler ce qu'elle signifie dans les pays d'origine – puisque, selon la représentante du Défenseur des droits, ses effets seraient bien moindres en France que dans ces derniers.

La kafala est une institution issue du droit coranique et, si les associations limitent souvent leur propos – comme je le ferai moi-même – au Maroc et à l'Algérie, elle est en vigueur dans beaucoup d'autres pays, tels que les Comores, le Mali ou l'Éthiopie. Au Maroc, elle est exclusivement judiciaire depuis 2002, ce qui permet un contrôle ab initio. Prononcée par un juge des tutelles après une enquête, elle a l'effet d'une tutelle légale ; en d'autres termes, elle est mentionnée en marge de l'acte de naissance de l'enfant, mais ne modifie pas sa filiation – particularité qui se retrouve dans tous les pays qui la pratiquent –, de sorte que l'enfant conserve son nom patronymique. Le changement de nom est toutefois possible a posteriori, si les kafiles en font la demande.

Le juge des tutelles contrôle le bon déroulement de la kafala. Comme nous l'avait précisé notre magistrat de liaison au Maroc, la venue en France de l'enfant recueilli est soumise à l'autorisation de ce même juge, les autorités consulaires marocaines prenant ensuite son relais. Ces dispositions montrent combien cette procédure est assimilable à une tutelle. Elle ne crée aucun lien de filiation et n'ouvre aucun droit successoral automatique : c'est par le biais du tanzîl que les kafiles peuvent léguer ou donner certains de leurs biens à l'enfant recueilli.

En Algérie aussi, la kafala s'assimile à une tutelle légale et le changement de nom de l'enfant ne s'effectue que sur demande ; en revanche, les kafiles peuvent léguer à cet enfant une partie de leurs biens, dans la limite d'un tiers.

Dans les deux pays, la kafala est temporaire : elle peut cesser, soit à la demande des kafiles, soit à celle des parents biologiques s'ils existent encore. Dans tous les cas, elle cesse lorsque l'enfant atteint la majorité. On voit donc qu'il existe une réelle concordance entre les effets de la kafala dans le pays d'origine et en France, dès lors qu'on l'assimile à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle.

En France, le principe selon lequel la kafala n'est pas une adoption découle de l'article 370-3 du code civil, modifié par la loi du 6 février 2001 relative à l'adoption internationale. Néanmoins, plusieurs conventions internationales reconnaissent cette procédure comme protectrice pour l'enfant.

Pour mémoire, la loi du 6 février 2001 a fixé la règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale. Ce texte, adopté à l'unanimité, visait à faire respecter la souveraineté des États prohibant l'adoption. À l'époque, la commission des Lois jugeait qu'il n'était pas souhaitable d'imposer unilatéralement l'application du droit français à des États étrangers cultivant une conception contraire à notre ordre public, étant précisé, par ailleurs, que l'interdiction de l'adoption n'est pas contraire à ce dernier, comme l'a rappelé la Cour de cassation dans cet arrêt du 19 octobre 1999. Le ministère de la justice continue d'adhérer à cette appréciation de la commission des lois, et ne souhaite donc aucune modification législative en ce domaine. Il en va, notamment, du respect des engagements internationaux pris par la France au cours des dernières années.

Ces engagements ne se limitent pas à la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989, dite Convention de New York. Notre pays est également signataire de deux conventions de La Haye : celle du 29 mai 1993, relative à l'adoption internationale, et celle du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants.

L'article 20 de la Convention de New York dispose que tout enfant privé de son milieu familial doit pouvoir bénéficier d'une protection de remplacement, laquelle, aux termes de l'alinéa 3, « peut notamment avoir la forme du placement dans une famille » ou « de la kafala de droit islamique ».

Par ailleurs, l'article 21 de cette même convention ainsi que l'article 4 de la convention de la Haye du 29 mai 1993 précisent qu'il convient de vérifier si l'adoption de l'enfant est autorisée par l'État d'origine. J'ajoute que la Convention de New York prend en considération le respect de la loi nationale et distingue entre la protection et l'adoption de l'enfant, laquelle ne peut intervenir que si les États l'admettent et l'autorisent.

La Convention de La Haye du 19 octobre 1996 a pour objet d'assurer la mise en oeuvre des mesures de protection à l'égard des mineurs, parmi lesquelles elle mentionne expressément la kafala. Rappelons que le Maroc a également ratifié cette convention.

La Cour de cassation a analysé ces différents textes, notamment au regard de l'article 370-3 du code civil. Depuis 2006, elle a rappelé à plusieurs reprises que la kafala n'était assimilable ni à une adoption simple, ni à une adoption plénière et – ce qui répondra aux préoccupations exprimées par le Défenseur des droits – qu'elle constituait une mesure de protection suffisante au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, notion que l'on retrouve non seulement dans notre code civil, mais aussi dans la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989.

M. Jean-Marie Colombani, dans le rapport qu'il remis au Président de la République en 2008, avait exclu toute modification de l'article 370-3 du code civil, pour les raisons que je viens d'indiquer : il préconisait une coopération avec les différents États appliquant la kafala. Les difficultés pratiques, que le ministère de la Justice ne nie pas, ne relèvent pas d'un problème juridique : on pourrait sans doute y remédier par des mesures ponctuelles.

La kafala, qu'elle soit délégation d'autorité parentale ou tutelle, offre donc un véritable statut pour l'enfant en France. Sans doute les personnels des juridictions sont-ils insuffisamment informés sur le sujet ; mais cela est vrai de toutes les décisions ou procédures étrangères : la kafala, sur ce point, ne fait pas exception. Toutefois, afin d'en clarifier les effets dans notre pays et d'éviter les désagréments évoqués par Mme Zora Zemma, la Chancellerie adressera prochainement une circulaire aux juridictions.

La kafala étant reconnue de plein droit dans notre pays, un jugement d'exequatur n'est en principe pas nécessaire ; cependant, il peut avoir un intérêt pratique, car une décision française restera toujours plus compréhensible pour les administrations.

En tout état de cause, la délégation d'autorité parentale comme la tutelle sont des procédures qui fonctionnent. La première s'appliquera essentiellement aux kafiles dont l'enfant a encore une filiation dans le pays d'origine ; dans le cas contraire, c'est le régime de la tutelle qui sera privilégié.

Ces éléments d'appréciation ne sont pas ceux du seul ministère de la Justice : selon de nombreux articles de la doctrine sur les arrêts de la Cour de cassation et sur la loi du 6 février 2001 sur l'adoption internationale, la kafala s'assimile bel et bien à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle.

Le ministère de la Justice, je le répète, ne méconnaît pas les difficultés pratiques liées à l'application de la kafala ; mais il était ressorti de la table ronde organisée par le Médiateur de la République que beaucoup d'entre elles excédaient son domaine de compétence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion