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Intervention de Martine Timsit

Réunion du 24 janvier 2012 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Martine Timsit, directrice des études et réformes auprès du Défenseur des droits :

La kafala est un sujet dont sont régulièrement saisies plusieurs autorités placées sous la tutelle du Défenseur des droits. Le Médiateur de la République avait ainsi pu constater les difficultés concrètes auxquelles se heurtaient les parents et les enfants concernés, ce qui l'avait conduit à constituer en 2009, avec Mme Dominique Versini, Défenseure des enfants, un groupe de travail pluraliste auquel Mme Tabarot, d'autres parlementaires, des associations et des représentants des ministères nous ont fait l'honneur de participer.

Dans le dossier que je vous ai transmis, vous trouverez les comptes rendus de trois tables rondes qui ont permis de mieux appréhender ce problème complexe, encore trop souvent abordé de façon « lapidaire ». En effet, on nous oppose généralement que la France est liée par la Convention de La Haye du 29 mai 1993, laquelle interdit l'adoption d'un enfant qui n'est pas adoptable selon sa loi personnelle, ce qui est le cas des enfants recueillis en kafala. Si l'on peut entendre un tel argument, on peut cependant faire valoir que notre pays est également lié par d'autres conventions internationales, à commencer par celle des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui fait obligation aux États signataires de respecter l'égalité des droits des enfants sur leur territoire, sans discrimination quant à l'origine ou la religion. Or, c'est bien en raison de leur origine et de leur religion que les enfants recueillis en kafala se voient privés de certains droits.

La question doit donc être posée, selon nous, en termes d'égalité des droits. Il est pour le moins paradoxal, de surcroît, que la France n'offre pas aux enfants recueillis par kafala une protection équivalente à celle dont ils jouissent dans leur pays d'origine – puisque, je le rappelle, la kafala a été reconnue comme une mesure de protection de l'enfant par l'article 20 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Les diplomates algériens et marocains nous avaient d'ailleurs exposé, dans le cadre du groupe de travail, la portée juridique de la kafala dans leurs pays respectifs : cette procédure autorise la transmission du nom du recueillant – le « kâfil » – au recueilli – le « makfûl » – ; elle ouvre, dans une certaine mesure, des droits successoraux, et permet l'attribution de droits sociaux. Or, tous ces droits étant, en application de la législation française, liés à la filiation, ils sont refusés, sur notre sol, aux enfants recueillis par kafala.

Les réflexions du groupe de travail ont conduit le Défenseur des droits à proposer cinq mesures précises. La première concerne la procédure d'agrément, qui relève des seules compétences du législateur français. Il existe, en ce domaine une grande insécurité juridique, non seulement pour les familles, mais aussi pour les acteurs publics, notamment les conseils généraux. L'idée d'un agrément délivré aux familles kafiles après une enquête sociale destinée à vérifier les conditions d'accueil de l'enfant, semblait faire consensus ; mais, dans cette perspective, qui serait habilité à délivrer l'agrément, sachant que les conseils généraux ne sont compétents que pour l'adoption stricto sensu ?

La deuxième mesure, qui relève elle aussi du législateur français, consisterait à uniformiser les conditions d'entrée et d'accueil de tous les enfants sur notre territoire. De ce point de vue, il existe une inégalité de traitement quant au regroupement familial, en fonction de l'origine des enfants. Si le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) semble exclure de cette mesure les enfants recueillis par kafala, une dérogation est prévue pour les seuls enfants algériens, en application d'un accord bilatéral. Toutefois, dans un arrêt du 24 mars 2004, le Conseil d'État, saisi du cas d'un enfant marocain abandonné, a jugé que l'intérêt supérieur de celui-ci devait prévaloir, et qu'il devait donc bénéficier du regroupement familial.

Nous demandons aussi qu'un texte précise et rende opposables de plein droit les effets juridiques de la kafala en France. Bon nombre d'institutions et d'administrations ne connaissent guère cette procédure, au sujet de laquelle les spécialistes eux-mêmes se demandent si elle est assimilable à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle, mesure dont on connaît par ailleurs la lourdeur.

Le législateur français peut également décider, sans se heurter à aucun droit étranger opposable, la suppression, pour les enfants recueillis par kafala judiciaire et élevés par une personne de nationalité française, de la condition de résidence de cinq ans nécessaire pour solliciter la nationalité française – selon les dispositions de l'article 21-12 du code civil -, l'acquisition de celle-ci étant, pour ces enfants, le seul moyen d'être éligibles à l'adoption. Je précise que la mesure devrait être limitée aux cas de kafala judiciaire : il existe aussi, en effet, une kafala notariale, mais qui offre des garanties procédurales moindres.

Enfin, il serait souhaitable que le législateur réexamine l'interdiction faite aux français d'adopter lorsque la loi personnelle de l'enfant interdit elle-même l'adoption. Cette interdiction a été introduite il y a une dizaine d'années dans notre code civil. Le souci de respecter la souveraineté des États et la « loi personnelle » des enfants était sans doute louable, mais la mesure n'en est pas moins à la source des multiples difficultés qui viennent d'être évoquées. Nous préconisons, pour notre part, la possibilité de recourir à l'adoption simple quand la loi du pays d'origine interdit l'adoption, ; ce n'est peut-être pas la solution idéale, mais ce serait un moyen de faciliter la vie des familles concernées, tout en permettant de concilier les exigences contradictoires des lois personnelles de l'enfant et de l'adoptant.

S'agissant de la kafala, la sous-direction de la protection des droits des personnes du ministère des Affaires étrangères nous a dit qu'elle était quotidiennement sollicitée par des familles en proie à des difficultés. De son point de vue, la clarification du rôle des différents acteurs est une nécessité qui s'impose d'urgence.

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