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Intervention de Zora Zemma

Réunion du 24 janvier 2012 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Zora Zemma, présidente adjointe de l'association des parents adoptifs d'enfants nés en Algérie et au Maroc, PARAENAM :

L'association PARAENAM se réjouit de cette occasion qui lui est offerte d'apporter sa contribution aux avancées législatives en matière d'adoption. Nos adhérents soutiennent les mesures proposées : réforme de ce véritable outil de protection de l'enfance qu'est l'agrément ; facilitation du prononcé de déclaration judiciaire d'abandon ; amélioration de la préparation et de l'information des candidats ; limitation de la durée d'instruction des dossiers de demande d'agrément ; possibilité pour le président du Conseil général de prolonger la durée de validité de l'agrément après avis de la Commission d'agrément ; substitution, enfin, de la caducité de l'agrément à un retrait pur et simple en cas de modification de la situation matrimoniale du candidat.

Toutes ces avancées, que nous appelions de nos voeux, tendent à faire prévaloir l'intérêt supérieur de l'enfant adopté.

Les problèmes soulevés par l'adoption étant multiples, il est souhaitable que la législation s'adapte le mieux que possible aux situations les plus variées. Les parents adoptifs que nous représentons bénéficieront en partie des effets de la proposition de loi. Cependant, bien que l'adoption internationale soit reconnue comme une mesure de protection de l'enfance, les couples français ou binationaux ayant recueilli des enfants algériens ou marocains en kafala voient leurs requêtes en adoption plénière repoussées, en application des dispositions de la loi du 6 février 2001 relative à l'adoption internationale, qui empêche l'adoption d'un mineur étranger si sa loi personnelle prohibe cette institution.

Le sujet de la kafala judiciaire est souvent évoqué dans les débats relatifs à l'adoption. Aussi insistons-nous sur la nécessité d'une concertation interministérielle, en vue de faire évoluer la loi pour permettre aux enfants concernés de s'intégrer pleinement dans leur famille adoptive.

La proposition de loi soumise à votre Commission spéciale ne traite pas des problèmes liés à la kafala, qui aboutissent à priver des enfants d'un véritable statut et plonge les familles françaises dans des situations aussi dramatiques qu'insoutenables. Par exemple, plusieurs départements refusent d'instruire les demandes d'agrément, ou les traitent avec lenteur au motif que certaines familles se tourneront vers la kafala une fois cet agrément obtenu. Par ailleurs, les autorités consulaires françaises en Algérie et au Maroc délivrent les visas au compte-gouttes ; et pour ceux qui ont la chance de les obtenir, le délai oscille entre trois et huit mois. Les parents doivent-ils rester pendant tout ce temps auprès de leur enfant, au risque de perdre leur emploi ? Quant au document de circulation pour étranger mineur (DCEM), sa délivrance est soumise à la libre appréciation des préfectures, certaines d'entre elles la refusant en l'absence de visa. Des enfants sont ainsi en situation irrégulière alors que leurs parents ne le sont pas. Bref, la situation devient ubuesque.

De plus, les droits sociaux sont accordés de manière trop erratique, ce qui accentue la discrimination et le manque d'homogénéité au niveau national. Pour ces enfants en situation d'abandon, le fait d'être privés de ces droits constitue une violence supplémentaire.

Rappelons aussi que le recueil par kafala ne permet pas l'octroi d'un congé d'adoption, pourtant de nature à favoriser l'attachement de l'enfant à ses parents dès les premiers jours de la rencontre.

La déclaration de nationalité française est soumise à la libre appréciation des greffiers, qui, pour certains d'entre eux, méconnaissent les circulaires en vigueur et exigent un exequatur des parents titulaires d'une kafala judiciaire établie en Algérie. D'un tribunal d'instance à l'autre, les pratiques divergent : des dossiers pourtant complets sont rejetés au motif qu'ils ne le seraient pas ; d'ailleurs, la liste des pièces à produire varie selon les départements. Récemment, une greffière a exigé d'une mère, en plus des pièces requises, un justificatif prouvant que l'enfant résidait en France depuis plus de cinq ans. En désespoir de cause, cette mère a proposé de produire une inscription à la mutuelle…

Enfin, beaucoup d'enfants recueillis en kafala judiciaire sont accueillis dans des familles comprenant déjà des enfants biologiques. La différence de statut juridique entre les enfants d'une même famille induit au sein de celle-ci, en plus des difficultés administratives, des effets psychologiques dévastateurs.

La situation successorale de l'enfant recueilli en kafala est dramatique, puisqu'il ne bénéficie pas des droits reconnus aux autres enfants de la fratrie ; l'inquiétude est vive chez les parents, qui craignent pour lui un second abandon s'ils venaient à décéder. « Que deviendra-t-il si nous disparaissons ? » : telle est la question qui torture nos adhérents. De même, en cas de divorce avant l'obtention d'une adoption plénière, l'enfant ne pourra être adopté que par un seul des parents. Il sera fait abstraction de l'adoption familiale initiale, en l'absence de lien de filiation reconnu. Et ces situations perdurent tout au long des huit à dix ans que peuvent durer les démarches d'adoption.

« L'adoption est un aspect majeur de la politique familiale, auquel les Français sont très sensibles », écrivait M. Nicolas Sarkozy dans sa lettre de mission à M. Jean-Marie Colombani. Les adhérents de notre association, Français ou binationaux, sont profondément affectés de ce que l'accueil de leur enfant n'est pas reconnu. « Nous devons permettre à un plus grand nombre de familles d'adopter », ajoutait M. Sarkozy, et « faire disparaître les obstacles administratifs qui peuvent priver certains [de ces enfants] d'une pleine et entière intégration. » Pourtant, certaines autorités françaises continuent de défendre avec acharnement ce statut d'exception, au mépris des dispositions de l'article 20 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, aux termes desquelles tout enfant privé de son milieu familial a droit à une protection de remplacement.

En conclusion, l'intérêt supérieur de l'enfant, mesdames et messieurs les députés, doit vous servir de guide. La kafala est indéniablement une mesure de protection de l'enfant. Il est impératif d'agir. De fait, nous regrettons qu'aucune avancée n'ait été réalisée sur le sujet au cours de la présente législature. Nous réitérons donc notre demande d'une circulaire à destination des autorités consulaires françaises en Algérie et au Maroc, afin de préconiser et d'encadrer la délivrance de visas pour les enfants recueillis en kafala. Nous souhaitons aussi qu'une circulaire interministérielle soit adressée aux organismes sociaux et aux services du Trésor pour expliquer la kafala et ses effets sur le territoire national, afin de favoriser l'octroi des droits sociaux, congé d'adoption compris. Nous demandons la suppression de la condition de durée de résidence posée à l'article 21-12 du code civil pour l'obtention de la nationalité française, ainsi que l'abrogation du deuxième alinéa de l'article 370-3 du code civil, issu de l'article 3 de la loi du 6 février 2001 sur l'adoption internationale. Il convient en outre d'accompagner les parents français qui désirent que leur enfant acquière la nationalité française, ce qui ne peut que favoriser l'intégration familiale et citoyenne de celui-ci. Les requêtes en adoption plénière doivent être accueillies favorablement, dans la mesure où c'est l'adoption plénière qui crée des liens personnels – attribution du nom et d'un prénom choisi par l'adoptant – et patrimoniaux – obligation alimentaire et droits de succession – tels que l'enfant sera traité, juridiquement et socialement, de la même façon qu'un enfant biologique. Enfin, il faut mettre à profit la nomination de M. Thierry Frayssé comme ambassadeur chargé de l'adoption internationale pour traiter des questions demeurant en suspens avec l'Algérie ou le Maroc.

Nous, citoyens français, adhérents de l'association PARAENAM, comptons sur la capacité du droit français à évoluer et à faire montre d'une compréhension moderne de l'islam, et ce dans l'intérêt supérieur des enfants.

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