Je voudrais d'abord m'associer aux remerciements d'Arnaud Richard, en y ajoutant ceux que nous vous devons, monsieur le président, pour l'aide que vous nous avez apportée.
On ne peut éluder le fait que, dans notre pays, des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit dans la rue. À l'issue de nos travaux, et sur le fondement de ceux réalisés par la Cour des comptes à la demande du CEC, nous considérons que le déficit du nombre des places d'hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile – 80 000 places pour environ 150 000 personnes sans domicile – impose l'ouverture de nouvelles places dans les zones tendues. L'ouverture de places nouvelles suppose une analyse préalable et approfondie des besoins de chaque territoire. Afin d'engager l'effort nécessaire, il faudrait étudier sans délai la possibilité de pérenniser tout au long de l'année les places supplémentaires déjà ouvertes l'hiver.
L'action publique ne doit en aucune manière renoncer à la prévention, ce qui suppose d'agir positivement sur les flux alimentant la population des personnes sans-abri. Ainsi, afin de maintenir dans le logement un ménage en difficulté financière, il conviendrait de mettre en oeuvre une action publique préventive dès le premier impayé de loyer. Le premier objectif du « logement d'abord » ne devrait-il pas être, en effet, de maintenir ces personnes dans un logement, quitte à ce que ce ne soit pas le même ? Le caractère crucial de ces problèmes invite à un questionnement collectif : jusqu'où doit aller l'action publique en la matière ? Quels sont les coûts comparés d'un maintien dans le logement sur fonds publics et d'un accueil en hébergement d'urgence après l'expulsion ? Cette réflexion sociétale doit être menée.
En matière de prévention, nous proposons d'orienter résolument, le cas échéant en leur attribuant une feuille de route définie par la loi, l'activité des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les Ccapex, vers l'étude des dossiers individuels d'impayés de loyer. Il faut que ces commissions se saisissent des dossiers les plus complexes et les plus susceptibles de conduire à la mise à la rue des ménages concernés. Ce traitement en amont des problèmes permettrait d'éviter à certains de ces ménages de se retrouver provisoirement à la rue.
Nous proposons par ailleurs que soit évaluée l'effectivité de l'accès des personnes hébergées à certains dispositifs spécifiques d'aide sociale ou de prise en charge médicale auxquels elles ont droit et qu'on étudie les raisons pour lesquelles le bénéfice de ces dispositifs n'empêche pas, dans certains cas, le recours à un hébergement d'urgence. La question est de savoir dans quelle mesure l'hébergement d'urgence et d'insertion en vient à constituer le volet « logement » de dispositifs d'aide sociale tels que l'allocation adulte handicapé, l'AAH, l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, ou encore le minimum vieillesse, alors que ceux-ci sont en principe conçus pour que leurs bénéficiaires n'aient pas recours au tout dernier filet d'aide sociale qu'est la mise à l'abri.
Étant donné la complexité du contexte administratif dans lequel s'inscrit la refondation, il nous semble opportun de ne pas attendre l'achèvement de cette réforme pour mettre à l'étude la possibilité d'intégrer les compétences de l'hébergement et du logement au sein d'une seule administration centrale, sur le modèle de l'innovation prometteuse que constitue la création en Île-de-France de la direction régionale interdépartementale de l'hébergement et du logement, la Drihl.
Dans le contexte de la réforme de l'administration territoriale et de la diminution au plan local des effectifs de l'État et du profond renouvellement des équipes administratives déconcentrées qui l'ont accompagnée, nous estimons qu'il convient de conserver la nouvelle organisation territoriale de l'État même si cela ne vaut pas approbation sans réserve de la façon dont sont désormais dissociées les compétences relatives à l'hébergement, au logement et aux champs sanitaire et médico-social.
Il faut aussi aborder le sujet de l'organisation du tissu associatif, qui continuera à constituer demain, comme il le fait aujourd'hui, le maillage des opérateurs de terrain dans le domaine de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées. L'engagement associatif est source d'innovations et est orienté vers les plus démunis. Il convient de conjuguer ces atouts avec les axes d'un service public définis à un niveau politique. Ces enjeux nous semblent appeler, sous une forme qui reste à imaginer, un dialogue dédié, public, et sans doute déconcentré, entre l'État et le monde associatif.
Nombre d'arguments militent pour ne pas procéder, à ce stade, à la décentralisation de la compétence de l'État en matière d'hébergement d'urgence et d'accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, même si les conseils généraux exercent une compétence légale de droit commun en matière d'aide sociale. La question de la « domiciliation » des personnes sans domicile constituerait une difficulté juridique et technique pour la prise en charge de leur hébergement par une collectivité territoriale. En tout état de cause, la politique d'hébergement a indéniablement une dimension nationale, non seulement du fait de son lien avec la politique migratoire, mais aussi parce qu'elle doit garantir une prise en charge inconditionnelle et équitable des personnes sans domicile sur l'ensemble du territoire.
Assurer le succès de la refondation suppose néanmoins d'améliorer la coopération entre l'État et les collectivités territoriales, qui participent substantiellement à cette politique. C'est pourquoi il convient de faciliter et d'organiser l'échange d'informations utiles entre les départements et les opérateurs associatifs chargés de l'hébergement d'urgence, via notamment les services intégrés d'accueil et d'orientation, les SIAO, et pour autant que les personnes concernées y consentent – je pense notamment aux jeunes majeurs pris en charge par ces opérateurs qui relevaient durant leur minorité de l'aide sociale à l'enfance, l'Ase. C'est là un problème délicat, qu'il s'agit de traiter dans le respect des compétences de chacun, notamment des conseils généraux, qui accomplissent un travail difficile en faveur des enfants en danger. il nous est revenu à plusieurs reprises, notamment des associations et du terrain, qu'un certain nombre de jeunes pris en charge par l'Ase avaient, une fois majeurs, recours à l'hébergement d'urgence. Il ne faudrait pas perdre, dans de telles hypothèses, le fruit du travail social accompli par les conseils généraux.
Nous appelons l'État à continuer de privilégier la constitution d'un SIAO unique dans les départements qui en sont encore dépourvus ; regroupant tous les opérateurs départementaux concernés, les SIAO constituent au niveau du département l'outil quotidien de régulation mettant en regard l'offre et la demande d'hébergement et de logement au bénéfice des personnes sans domicile.
Nous appelons également à l'accélération de la mise en place des plans départementaux d'accueil, d'hébergement et d'insertion, les PDAHI, même si ceux-ci risquent de mettre en lumière un manque de places d'hébergement ou en logements adaptés dans les zones tendues. Les PDAHI constituent un préalable au conventionnement pluriannuel entre l'État et chaque opérateur associatif, qui doit permettre de concilier l'organisation d'un service public réel et le financement pluriannuel, et donc lisible sur le moyen terme, des opérateurs associatifs. Outre le référentiel des prestations, déjà en vigueur, l'élaboration d'un référentiel national des coûts des prestations servies par ceux-ci est un autre préalable. En la matière, il faut désormais que les services de l'État disposent, dans des délais rapprochés, d'un outil fonctionnel et qui suscite la confiance des opérateurs associatifs.
Réussir la stratégie du « logement d'abord », c'est-à-dire assurer dès que possible l'accès, socialement accompagné, des personnes sans domicile au logement de droit commun ou adapté, nécessite que des logements adaptés, sociaux ou en intermédiation locative soient rendus disponibles, à des prix accessibles aux plus démunis.
Outre la reconquête des contingents préfectoraux d'attribution de logements sociaux, qui a déjà commencé, nous proposons que la loi « SRU » soit modifiée, par un relèvement du taux de 20 % en zones tendues, ainsi que par la bonification, pour le calcul de ce taux, des logements sociaux construits en prêts locatifs aidés d'intégration, les PLAI, et des places en maisons relais ou en pensions de famille.
Plus largement, nous préconisons de mobiliser l'expertise, le savoir-faire et les moyens des bailleurs sociaux pour la construction de places nouvelles en hébergement d'urgence et d'insertion. Les bailleurs sociaux, qui jouent déjà un rôle croissant dans ce domaine, doivent y être plus impliqués encore.
Le « logement d'abord » doit en outre promouvoir l'accompagnement social dans le logement. À cette fin, nous sommes favorables à la création de « plateaux techniques » constitués de travailleurs sociaux des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, qui ont vocation à procéder à l'accompagnement social – « hors les murs » du centre –des personnes logées au titre du « logement d'abord ».
Nous préconisons en outre de relancer la mise en place, prévue par la refondation, des « référents personnels » ; ceux-ci pourraient être volontaires au titre du service civique.