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Intervention de Didier Houssin

Réunion du 6 avril 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports :

En préambule, je souhaite situer le cadre de mon action.

J'ai été nommé directeur général de la santé le 31 mars 2005. Le 31 août 2005, en pleine flambée épizootique mondiale liée au virus grippal H5N1, j'ai été nommé délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire. Outre la menace de pandémie grippale liée à ce virus, j'ai dû affronter, dès 2005, l'épidémie liée au virus chikungunya à La Réunion et l'état d'hyper-endémie lié au méningocoque B14.P1.7-16 dans la zone de Dieppe. J'ai donc été sensibilisé très tôt aux menaces épidémiques.

J'ajoute que je suis médecin et que je n'ai pas de lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou des dispositifs médicaux.

La campagne de vaccination contre le virus H1N1 a été inédite. J'en évoquerai successivement la programmation, l'explication et la gestion. Conformément à votre demande, je centrerai mon propos sur la manière retenue pour préparer et conduire chacune de ces actions.

Le travail de programmation d'une campagne vaccinale contre un virus grippal pandémique avait été partiellement préparé durant la période qui a précédé le 24 avril, dans le cadre de la menace liée au virus grippal aviaire H5N1. Plusieurs avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) avaient été émis ; des contrats de réservation de vaccins pandémiques avaient été mis en oeuvre ; un travail interministériel avait été lancé en 2008 sur les priorités d'accès à la vaccination ; des outils d'information à l'intention du public et des professionnels de santé avaient été élaborés.

L'éventualité, en cas de pandémie, de pouvoir proposer une vaccination avant la première vague, était cependant jugée hautement improbable.

Cette éventualité s'est toutefois présentée en 2009, en raison de la réactivité des pays d'émergence du virus et de l'OMS, en raison de la date de cette émergence – fin avril, donc au terme de la période de grippe saisonnière – et du fait que la pandémie épargna largement la métropole durant l'été. Tout cela rendait très probable la survenue d'une première vague pandémique avant la fin 2009, donc dans un délai compatible avec une campagne de vaccination préalable.

À partir de la fin du mois d'avril 2009, le travail de programmation s'est fait en plusieurs étapes. Il s'agissait d'abord d'inscrire cette tâche prioritaire en plus des missions du dispositif de gestion de crise, dès le début du mois de mai ; de définir une stratégie de vaccination et de préparer l'acquisition de vaccins, en mai et juin ; de choisir ensuite une organisation pour la campagne de vaccination, en juin et juillet, en tenant compte de nombreuses contraintes, parmi lesquelles les plus fortes étaient la présentation du vaccin en multi-doses – imposant un mode collectif d'organisation de la vaccination – et sa livraison très progressive. En août et septembre, il s'est agi de définir un ordre de priorité de la vaccination. La campagne de vaccination a été lancée en octobre, puis il a fallu, en octobre, novembre et décembre, assurer le suivi de cette campagne, en se préparant, au besoin, à sa suspension.

Cette programmation a été fondée sur l'expertise de différents organismes nationaux – l'Institut de veille sanitaire (InVS), le Comité de lutte contre la grippe (CLCG), le Haut conseil de santé publique (HCSP), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le Comité Consultatif national d'éthique (CCNE), dont l'avis n° 106a été formulé en février 2009 –, européens – le European Center for Disease Prevention and Control (ECDC) et l'Agence européenne du médicament (EMEA) –, et internationaux – le Center for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta, aux États-Unis, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment.

L'expertise était large et approfondie s'agissant du choix d'une stratégie de vaccination, de la décision d'acquisition de vaccins, de la définition d'un ordre de priorité pour la vaccination, du lancement et du suivi de la campagne. Elle était en revanche peu développée concernant les aspects organisationnels de cette dernière. L'organisation mise en place en France, choisie sous forte contrainte, s'est donc surtout inspirée de certains travaux conduits dans le cadre du plan variole – il est très vite apparu que le cadre d'ensemble n'était toutefois pas applicable –, de l'organisation de la vaccination contre la méningite en Seine-Maritime ou contre la grippe saisonnière, et de l'exemple du dispositif prévu au Canada. Cette organisation a été testée avant le lancement de la campagne, dans le cadre d'exercices, afin d'affiner, par exemple, l'organisation interne d'un centre de vaccination. L'organisation a été adaptée au fil du temps, notamment pour tenir compte de l'évolution des connaissances (type de vaccins recommandés pour les femmes enceintes, entre autres), des variations d'affluence, ou afin de rendre la vaccination possible pour certaines catégories de la population (constitution d'équipes mobiles).

Ce travail de programmation a réclamé la mise en place d'importantes articulations entre les ministères de l'intérieur et de la santé, avec les collectivités locales, à propos des centres de vaccination et avec d'autres ministères – éducation nationale pour la vaccination des scolaires, affaires étrangères pour la vaccination des Français à l'étranger, travail et solidarité pour la vaccination en milieu de travail ou en établissement médico-social, justice pour la vaccination en établissement pénitentiaire.

Le travail d'explication touchant la vaccination a été l'un des aspects les plus difficiles de la lutte contre la pandémie grippale liée au virus H1N1. Ce travail d'explication avait été partiellement préparé (outil internet « Mon quotidien en pandémie » destiné au site pandemie-grippale.gouv.fr).

Dès le mois de mai, ce travail d'explication s'est néanmoins révélé complexe du fait de la nécessaire articulation avec l'information sur la vaccination contre la grippe saisonnière, laquelle ne pouvait être abandonnée, de l'évolution rapide des connaissances, mais aussi de nombreuses incertitudes. Parmi ces dernières, les plus importantes ont concerné l'appréciation de la gravité de la pandémie, la possibilité de disposer de vaccins ayant une autorisation d'utilisation, la date des autorisations, le calendrier de livraison des vaccins et le volume des premières quantités livrées – les calendriers ont toujours été indicatifs –, les effets indésirables liés aux vaccins – ce qui a imposé la mise en place d'un vaste plan de gestion des risques et un travail particulier de transparence conduit par l'AFSSAPS autour des questions de pharmacovigilance –, la possibilité d'utiliser une dose plutôt que deux pour la vaccination, qui ne s'est confirmée qu'en novembre 2009, l'ordre de priorité à retenir pour la vaccination et les règles relatives à l'articulation avec la vaccination contre la grippe saisonnière, qui n'ont pu être fixées qu'en septembre 2009.

Ce travail d'explication, appuyé notamment par de nombreux points presse, un site internet dédié, des courriers de la ministre et une campagne de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), a été conduit auprès des professionnels de santé, des établissements de santé et du secteur ambulatoire, auprès du grand public et de nombreux autres acteurs de la campagne – centre interministériel de crise, préfets et leurs équipes opérationnelles départementales, autres ministères, services du ministère de la santé, chefs de centres de vaccination.

Ce travail d'explication a été appuyé d'initiatives à visée d'exemple, comme la vaccination de la ministre, ou la vacation en centre de vaccination que j'ai personnellement assurée le 21 novembre.

Les explications fournies par les autorités sanitaires ont toutefois été contrariées par l'intervention sur la scène médiatique – presse ou internet –, de différents acteurs, y compris des médecins, dont les propos ont semé le doute sur l'opportunité de se faire vacciner et dont les principaux messages étaient que la pandémie grippale, moins importante que d'autres problèmes sanitaires dans le monde, ne méritait pas l'attention, qu'elle n'était pas grave, que la vaccination était inutile, que les vaccins étaient dangereux, que la vaccination était organisée de façon collective, donc mal organisée, que la campagne de vaccination était le résultat d'un complot de l'industrie pharmaceutique, ou d'un complot politique visant à porter atteinte aux libertés individuelles, voire d'un complot visant l'élimination d'une partie de l'espèce humaine.

Dans le contexte d'une crise de longue durée, la gestion de la campagne de vaccination, au sens opérationnel et logistique, a réclamé des efforts importants et soutenus de la part de nombreux acteurs.

La gestion de la campagne a suscité de nombreuses décisions au niveau du Centre interministériel de crise (CIC), pilotée par le ministère de l'intérieur. Outre l'ouverture dès le premier jour du centre de crise sanitaire, la direction générale de la santé a fait évoluer son organisation interne afin de mettre en place une équipe « projet » pour préparer la campagne, puis participer à son pilotage et à son suivi – notamment opérationnel et logistique – en lien avec l'InVS, l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (ÉPRUS), la CNAMTS et l'AFSSAPS.

L'ÉPRUS, dont la montée en charge, peu après sa création, avait été retardée par des problèmes de gouvernance, a su jouer un rôle clé dans l'acquisition et la logistique des produits de santé – vaccins, aiguilles, seringues –, notamment grâce à la création en son sein de l'établissement pharmaceutique début 2009, et dans la gestion des ressources humaines, puisqu'il a fourni le contexte d'emploi qui a permis d'offrir un cadre juridique et de rémunération à près de 10 000 personnes.

Le rôle des préfets, mobilisés par les circulaires du 21 août et du 28 octobre 2009, a été central dans la mise en oeuvre de la campagne et dans les adaptations de son organisation, notamment lors du passage à une phase de forte affluence à compter du 18 novembre.

Les acteurs territoriaux, pour leur part, ont contribué à la gestion par la mise à disposition de personnels, de locaux adaptés, comme les gymnases, et de matériels ; certains ont mis en place un système dédié d'information de leurs administrés, voire d'organisation des prises de rendez-vous.

Les établissements de santé ont organisé une activité de vaccination en leur sein, indispensable pour certaines populations. Quant aux professionnels de santé, ils ont contribué largement au fonctionnement des centres de vaccination, puis ont pris le relais dans le secteur ambulatoire lorsque cela est devenu possible.

Enfin, le public, dont l'affluence s'est renforcée soudainement avant de faiblir à nouveau en janvier, a imposé de constantes adaptations du dispositif.

Du point de vue sanitaire, la gestion de la campagne s'est attachée particulièrement à fluidifier la logistique de distribution des vaccins afin d'éviter les ruptures importantes d'approvisionnement, à réguler les invitations à la vaccination grâce à l'envoi de bons, assuré par la CNAMTS – indispensable pour la mise en place effective d'un ordre de priorité, la sécurisation du dispositif de traçabilité et la mesure de la couverture vaccinale –, et à informer les professionnels de santé concernés, compte tenu des différents vaccins utilisés et des différentes recommandations d'utilisation. La gestion de la campagne s'est aussi efforcée d'éviter que des personnes prioritaires ne puissent pas accéder à la vaccination (édition de bons dans les centres de vaccination) et à la sécurité sanitaire de la vaccination, par une analyse des dysfonctionnements observés et la diffusion rapide de recommandations aux chefs de centres.

Enfin, grâce au dispositif de la réquisition, la gestion de la campagne a permis d'offrir un cadre d'action juridiquement sécurisé à tous les professionnels concernés.

En conclusion, je dirai que la campagne de vaccination contre le virus A (H1N1) organisée en France entre les mois d'octobre et janvier a été inédite, traduisant un effort collectif sans précédent, qui ne pouvait toutefois manquer d'interroger dans une société parfois saisie par l'individualisme. Des leçons sont à en tirer pour l'avenir de la vaccination, sur la capacité de l'État à informer et à expliquer à l'heure d'internet et sur l'aptitude du système de santé à s'organiser dans des circonstances exceptionnelles.

En mai, en août et jusque tard dans l'année, notre crainte était que la pandémie liée au virus H1N1 ne se traduise par une hécatombe. Nous avons tout fait pour l'éviter et protéger au mieux la santé des Français, la campagne de vaccination étant l'une des importantes mesures de prévention prises à cette occasion. La pandémie n'est pas terminée, mais nous nous sommes efforcés d'adapter les actions à l'évolution des connaissances, dans un contexte longtemps marqué – il l'est encore – par de grandes incertitudes. À ce jour, l'hécatombe n'a pas eu lieu. Chance inespérée ? Erreur d'appréciation ? Action efficace ? Les deux, voire les trois ? Votre commission d'enquête va pouvoir en juger.

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