Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 5 février 2009 à 9h30
Attribution de fréquences de réseaux mobiles — Reprise du débat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Ainsi, l'ARCEP lance un appel à candidatures expirant à la mi-mars pour le futur quatrième opérateur mobile, afin d'attribuer les fréquences à l'été, sachant qu'un autre appel à candidatures pour les deux lots restants interviendra dans la foulée, dans le but d'attribuer les fréquences correspondantes avant la fin de l'année.

Nous contestons pour notre part l'opportunité d'ouvrir encore davantage à la concurrence le secteur de la téléphonie mobile. Tout indique que le scénario a été écrit pour Free qui, jusqu'à présent, est le seul candidat officiel à la quatrième licence. Le calendrier comme les conditions financières d'attribution sont favorables à l'opérateur malheureux, dont la candidature avait été rejetée en 2007.

Jusqu'à présent, Free conditionnait son offre à la baisse du prix de la licence ou à l'étalement de son paiement. En proposant de diviser les fréquences en trois lots et en réservant l'un d'entre eux à un nouvel entrant, pour un prix fixe d'environ 200 millions d'euros, le Gouvernement est visiblement décidé à faire un cadeau à cet opérateur. Un tel montant paraît en effet dérisoire, lorsqu'on sait qu'il représente à peine la moitié du budget publicitaire annuel d'un groupe tel que SFR. Le Gouvernement a beau se défendre de brader le patrimoine immatériel de l'État, la manoeuvre ressemble fort à une opération de solde ou de liquidation, à laquelle manque le préalable de l'inventaire. J'y reviendrai.

Le Gouvernement se retranche derrière l'argument selon lequel l'arrivée d'un nouvel opérateur améliorera l'offre des opérateurs, et laisse entendre que la modestie du prix d'attribution permet de mettre l'accent sur d'autres critères, comme les engagements en matière de couverture du territoire. Il est vrai que le directeur de Free, qui ne cache pas son enthousiasme, affiche l'objectif de faire baisser de 1 000 euros la facture annuelle moyenne par foyer, soulignant ainsi – à juste titre – les abus constatés aujourd'hui, que dénoncent du reste les associations de défense des droits des consommateurs. Le coût de production d'une minute de communication est en effet compris entre un et trois centimes d'euros. Or, elle est actuellement facturée trente-quatre centimes au-delà des forfaits, lesquels sont au demeurant très élevés en France par rapport à certains pays voisins.

Par ailleurs, Free a confirmé que ses objectifs étaient nationaux. « Notre projet », souligne la direction de l'entreprise, « c'est clairement une couverture nationale. Nous n'allons pas exclure les zones de faible densité. Au contraire, l'arrivée d'un quatrième opérateur, cela veut dire plus d'argent pour réduire les zones blanches, si les autres opérateurs sont volontaires. »

Outre que, pour parvenir à ses fins, Free devra investir au moins un milliard d'euros dans des infrastructures, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de ce raisonnement, que le Gouvernement semble avoir fait sien. On se demande bien pourquoi l'arrivée d'un nouvel opérateur aurait pour effet mécanique d'améliorer l'offre et la couverture territoriale. Nous sommes au contraire fondés à penser, à l'instar des organisations syndicales du secteur, que l'arrivée d'un nouvel opérateur, surtout en pleine crise économique, risque de créer nombre d'effets pervers.

En premier lieu, il y a fort à parier que le nouvel arrivant concentrera ses investissements là où il pourra gagner des clients, c'est-à-dire dans les zones à forte densité. Les « zones blanches », que voudraient desservir les champions de l'aménagement du territoire, seront-elles mieux couvertes ? Rien ne permet de le penser.

La France compte seulement cent habitants au kilomètre carré, la plus faible densité d'Europe, avec, qui plus est, de très fortes disparités territoriales, que l'on retrouve de façon éclatante sur la carte de la couverture par l'ADSL. Free est il disponible en Lozère ? Non. Seul l'opérateur historique, France Télécom, couvre l'ensemble du territoire national au tarif unique imposé par l'ARCEP, et supérieur à celui pratiqué par tous ses concurrents. De ce fait, sa part de marché est inférieure à 20 % dans les villes, mais elle est de 80 % ailleurs, à l'inverse des opérateurs concurrents. Veut-on que le téléphone mobile soit bon marché pour les citadins et coûteux pour les ruraux, fût-ce par le truchement des impôts locaux ? On serait loin de la péréquation républicaine telle qu'elle existe pour le timbre ou le téléphone fixe.

L'arrivée d'un nouvel opérateur risque en outre d'accroître sensiblement le coût d'acquisition du client pour l'ensemble des acteurs, notamment du fait de l'augmentation des dépenses publicitaires.

Dès lors, on a peine à croire à une baisse durable du prix pour l'ensemble des consommateurs, à moins que les salariés du secteur n'en fassent une fois de plus les frais à coups de licenciements, de restructurations et de délocalisations. Le secteur vit d'ailleurs depuis des années au rythme des restructurations, avec de très nombreuses suppressions d'emplois ces trois dernières années : 22 000 pour le seul groupe France Télécom, 1 900 chez SFR, 1 500 chez Alcatel, près de 1 400 chez Noos-Numéricable, un millier chez Neuf-Cegetel.

Les consommateurs, qui seront, selon vous, les principaux bénéficiaires de l'élargissement de la concurrence, en font aussi les frais et sont unanimes à se plaindre de la baisse continue de la qualité de service. Les abonnés à Noos et autres opérateurs savent de quoi je parle.

On le voit, les vertus dont vous parez la concurrence sont loin d'être vérifiées. De fait, aucun bilan n'a jamais été tiré de l'ouverture à la concurrence du secteur de la téléphonie. Cela fait plusieurs années que Daniel Paul et moi-même demandons l'évaluation précise et l'examen critique des conséquences de la mise en concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des transports ferroviaires et, bien sûr, des postes et télécommunications.

En dépit des évolutions inquiétantes observées dans tous ces secteurs, évolutions qui mettent à mal les principes constitutifs du service public définis par le Conseil d'État et font douter des bénéfices qu'usagers et citoyens devraient, selon les partisans de l'ouverture à la concurrence, tirer de celle-ci, rien n'a jamais été entrepris en ce sens.

On peut pourtant s'interroger sur le bien-fondé de cette vaste entreprise de dérégulation des services publics. On constate en effet une hausse généralisée des tarifs, qui compromet le principe d'égalité, par exemple pour les tarifs de l'abonnement au téléphone fixe ou pour les prix de l'électricité et du gaz. Cette hausse tarifaire s'accompagne d'une différenciation des prix, notamment dans le secteur postal, au mépris du principe de péréquation. La qualité des réseaux s'est également dégradée. La fermeture de lignes de fret et de bureaux postaux de plein exercice dans les zones les moins peuplées, l'inégal accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, viennent directement remettre en cause les principes d'égalité et d'adaptabilité du service public.

Outre ces entorses aux principes définis par le Conseil d'État, on constate une dégradation de l'emploi, un développement des emplois précaires et un investissement moindre dans la recherche. C'est l'équilibre économique et social de notre démocratie qui est ainsi en cause.

Du reste, nombre de chercheurs travaillant sur les industries de réseau s'interrogent sur la pertinence, tant économique que sociale, de l'ouverture de ces secteurs publics à la concurrence.

Alors même que la construction européenne pourrait s'appuyer sur des secteurs publics rénovés dans chaque pays et les inciter à coopérer, voire susciter la constitution de services publics à l'échelle européenne, tout témoigne au contraire, et votre décision nous le confirme, de la volonté de poursuivre dans la voie de la dérégulation à marche forcée.

Rien ne permet pourtant de penser que remettre à l'ordre du jour la notion de service public ou confier à l'opérateur historique le soin de garantir le respect des missions de service public soit un frein à l'innovation et au développement des nouveaux moyens de communication qui, tels Internet ou la téléphonie mobile, représentent aujourd'hui un enjeu économique, culturel et social fondamental.

Nous pensons en revanche que la concentration sans cesse accrue du secteur, aux mains d'un nombre très limité d'acteurs, parmi lesquels Free, et que l'UFC-Que choisir nomme très significativement le « cartel » des opérateurs privés, n'offre pas toutes les garanties de qualité de service aux usagers, dans le respect des principes républicains.

C'est pourquoi, nous sommes résolument hostiles à votre décision.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion