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Intervention de Jacques Auxiette

Réunion du 15 mars 2011 à 17h00
Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française: production de matériels roulants voyageurs et frets

Jacques Auxiette, président de la commission « infrastructures et transports » de l'Association des régions de France :

Je vous remercie, monsieur le président, de rappeler le rôle qu'ont joué les régions dans le développement des transports, tout spécialement au moment où la réforme territoriale en cours fait peser une menace sur l'avenir de ces collectivités. La région des Pays de la Loire étant l'une de celles qui historiquement avaient été choisies pour, en quelque sorte, tester la responsabilité d'organiser les transports, puis cette expérimentation a été généralisée, en 2002, alors que je présidais le Groupement des autorités responsables de transport (GART). J'ai donc vécu de très près le processus qui a conduit à la configuration actuelle. Et je considère que les régions, toutes tendances politiques confondues – à l'époque, la diversité était plus grande –, ont sauvé le transport ferroviaire de proximité. L'heure était alors à la fermeture de lignes et à la suppression de trains, les cheminots s'inquiétaient légitimement de l'impact de la régionalisation sur l'emploi, mais leurs craintes se sont finalement révélées infondées. Des compétences confiées au plus près des territoires n'ont nui en rien à un objectif national tel que le développement des transports collectifs. Ces compétences peuvent même contribuer à sa réalisation, pourvu que les moyens soient assurés. Les chiffres sont révélateurs et les 40 000 cheminots qui font aujourd'hui rouler les trains express régionaux de proximité n'ont guère de raison de se plaindre des régions.

L'industrie ferroviaire s'appuie sur trois piliers. Il y a d'abord les TGV : je ne trouve pas pour ma part, qu'il y en ait trop – sans eux, la métropole nantaise n'aurait pas connu un tel développement ni un tel rayonnement – et ma région participera bien au financement de la nouvelle ligne Le Mans-Rennes. Il y a ensuite le marché des trains express régionaux qui, avec des commandes comprises entre 7 et 20 milliards, pèse lourd dans le chiffre d'affaires des constructeurs. On oublie trop souvent que les transports collectifs constituent une filière industrielle à part entière ! Je me félicite que votre commission d'enquête mette en avant cette dimension. Quand j'étais président du GART, j'ai toujours insisté sur le rôle joué par les autorités organisatrices de transport comme donneurs d'ordres, en sus de la contribution qu'elles apportent à l'exercice d'une liberté fondamentale en satisfaisant le besoin de déplacement et de mobilité. Cela étant, il ne faut pas moins de quatre ans pour construire un train, et la filière ferroviaire a encore de la marge pour améliorer son offre en termes de coûts et de délais.

Il y a enfin les transports collectifs en site propre – les TCSP –, pour lesquels Nantes et Grenoble ont montré la voie au début des années quatre-vingt. La région des Pays de la Loire a la chance de compter trois villes équipées : Nantes, Le Mans qui envisage une deuxième ligne, et Angers dont le tramway entrera en service le 25 juin prochain. Ayant la charge de faciliter le financement des TCSP, j'ai toujours considéré qu'il était anormal que les contrats de plan, puis les contrats de projets, n'aient pas prévu à cet égard d'engagements précis de la part de l'État et des agglomérations, comme cela se fait pour les contournements d'agglomération. Ayant dressé ce constat lorsque j'étais dans l'opposition, je me suis fait un point d'honneur, une fois en responsabilités, d'y remédier : nous avons consacré 1 million d'euros par kilomètre de tramway – ou, à Nantes, de « busway » – en site propre. Ainsi, au Mans, le financement de la région a été supérieur à celui de l'État.

En ce qui concerne Alstom et Bombardier, le salon « InnoTrans » de Berlin où nous étions allés présenter le train dénommé « Rayon vert » a été l'occasion d'alerter leurs dirigeants à propos des nouvelles dispositions fiscales concernant les régions. Avec des ressources verrouillées et ne pouvant plus voter d'impôts directs, il n'est pas certain que celles-ci puissent honorer les commandes qu'elles ont passées sans être contraintes d'en étaler les dépenses. Nous dépendons désormais de la fiscalité d'État et de deux impôts indirects aussi aléatoires l'un que l'autre : la TIPP et la taxe sur les cartes grises. Pour maintenir l'équilibre budgétaire dans nos collectivités, il faudra alors bloquer les dépenses de fonctionnement autant que possible et étaler des investissements. Ainsi, la région des Pays de la Loire a commandé depuis 2004, quatre-vingt-cinq trains pour 457 millions d'euros. Cinquante-trois ont été livrés. La décision de retarder des livraisons n'aurait rien d'anecdotique pour les territoires : Alstom étant implanté à La Rochelle et Airbus à Saint-Nazaire, leurs sous-traitants sont très nombreux même si ceux des chantiers navals et du secteur aéronautique le sont plus encore – mais ce sont là des industries « cycliques ». Ces entreprises ont créé, et la région y a contribué par ses aides, un réseau appelé Néopolia qui regroupe environ 140 PME relevant de plusieurs filières, y compris celle du ferroviaire : elles peuvent ainsi répondre de manière efficiente à des appels d'offres groupés en offrant des garanties de bonne fin et, par exemple, Néopolia Ferroviaire a pu se faire référencer par Alstom.

Les Pays de la Loire sont peut-être la seule région française à rouvrir une ligne de train, pour y faire circuler le tram-train : il s'agit d'une ligne de 64 km entre Nantes et Châteaubriant. La commande ferme passée à Alstom porte sur trente-neuf rames mais la région Île-de-France pourrait suivre à hauteur de 200. Les perspectives mondiales sont intéressantes car le produit couvre des besoins quotidiens et pourrait se substituer au tramway en réutilisant des lignes abandonnées. Les obstacles techniques ont toutefois été plus importants que prévu : il aura fallu dix ans pour disposer d'un matériel parfaitement adapté. Cependant, cette opération devrait apporter une nouvelle preuve, après le TGV et les TER, qu'une industrie, même aussi ancienne que le rail, peut être un facteur d'innovation et de modernité. Le bureau d'études de la SNCF du Mans a d'ailleurs mis au point avec nous le train dit « Rayon vert » dont le toit est équipé de cellules photovoltaïques qui servent à l'éclairage, à la ventilation, à l'alimentation de tablettes tactiles, et au graissage des roues qui est déclenché, quand il est nécessaire, c'est-à-dire dans les virages, par un système GPS. Les collectivités locales participent donc à la conception d'innovations utiles aux voyageurs et à l'exploitation des matériels.

Je conviens avec vous que la filière n'a pas eu une démarche européenne suffisamment marquée, sachant ce que celle-ci a pu procurer d'avantages à Airbus. À en juger d'après les enjeux sociétaux et environnementaux – recherche de déplacements moins polluants et moins consommateurs d'énergie fossile… –, il devrait aussi y avoir place pour une politique nationale de développement des transports collectifs ferroviaires au service d'une industrie performante à l'exportation, d'autant que notre pays est plutôt bien placé sur ce créneau. Mais nous ne sommes pas seuls au monde : à titre d'illustration, j'ai vu, à Berlin, la Chine faire une offre à l'Afrique du Sud pour développer un TGV.

Avant de conclure, j'insisterai sur la nécessité pour les régions de disposer d'une ressource affectée au développement des transports collectifs, comparable au « versement transport » qui a permis l'expansion des transports urbains. En 1980, un candidat à l'élection présidentielle avait fait la proposition d'y affecter une part de la TIPP, mais l'idée n'a pas été mise en oeuvre. L'actuel gouvernement s'est servi de cette taxe pour financer les transferts de compétences aux départements, je pense tout particulièrement à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Alors que, pour ceux-ci, cette affectation est de droit – à raison de quelque 16 centimes par litre de carburant –, et que l'État « engrange » 56 centimes, les régions, elles, doivent voter une taxe additionnelle mais qui est bien moindre. L'affectation d'une part de la TIPP se justifie parfaitement par le principe « pollueur-payeur ». En tout état de cause, il est urgent de prévoir des ressources si l'on veut maintenir un haut niveau de service de transport ferroviaire dans les régions françaises et préserver les commandes de matériel roulant à l'industrie. De façon assez paradoxale, ce sont aujourd'hui les experts de la SNCF qui rédigent, pour le compte des régions et à leurs frais, les cahiers des charges et les appels d'offre pour des trains dont elles ne sont même pas propriétaires.

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