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Intervention de François Thierry

Réunion du 26 janvier 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

François Thierry :

- Il faut bien sûr travailler sur la demande. On ne peut méconnaître le fait que ces produits auront à terme des conséquences très nocives sur la santé de nos concitoyens si ceux-ci en sont usagers. C'est pourquoi ils sont interdits. Il n'y a pas d'autres justifications. Il faut donc absolument travailler à la réduction de la demande, nous sommes d'accord sur ce sujet.

Les organisations criminelles qui recourent au trafic de stupéfiants ont des stratégies commerciales extrêmement agressives. Les diminutions de la demande sont toujours compensées, comme on le voit aux Pays-Bas, par une relance de la stratégie commerciale de l'organisation qui se sent visée.

Cela ne veut pas dire que l'on ne peut arriver à réduire la demande, mais toute réduction accroît la concurrence entre organisations et développe des stratégies commerciales agressives : tout le monde a vu des reportages sur les « drug runners » qui, aux Pays-Bas, le long des autoroutes, cherchent, les armes à la main, à vendre de force leurs produits !

Il ne s'agit pas de ne rien faire mais il ne faut pas attendre des organisations criminelles qu'elles baissent les bras devant une réduction de la demande. Ce ne sera pas le cas ! Mon propos rejoint un peu la problématique de la dépénalisation, voire de la légalisation. Dépénaliser ou légaliser n'enlèvera rien à la détermination de ces organisations qui, de toutes façons, continueront à s'enrichir par d'autres moyens ou en utilisant les failles de la dépénalisation ou de la légalisation.

Le cannabis n'est pas un produit stable, on l'a vu : si vous autorisez la production d'un cannabis le moins dangereux pour la santé, à 10 % de THC, les organisations criminelles vendront du 30, du 35 ou du 38 %. Ils en vendront aux mineurs si vous en avez interdit la vente aux mineurs ; ils en vendront la nuit si vous avez interdit la vente de nuit !

C'est ce qui se passe aux Pays-Bas, où toutes sortes de commerces sont apparus à côté du commerce légal, ce qui ne résout rien. Vous aurez autorisé un produit de plus, et Dieu sait que l'on a du mal avec ceux qui le sont déjà, comme le tabac et l'alcool. Si on avait pu les interdire, on l'aurait fait. On a aujourd'hui 10 millions d'usagers d'alcool, 12 millions d'usagers de tabac et on essaie, à coup de spots télévisés et d'affiches de toutes sortes, de conseiller aux usagers de moins consommer et de prendre garde à leur santé !

Autoriser un produit de plus ne diminuera pas l'activisme très violent de ces organisations criminelles, ni leur activité. Les Pays-Bas, qui s'étaient engagés dans cette voie, sont en train d'en revenir. Ils subissent des conflits entre bandes rivales qui se battent pour fournir les coffee shops. Les coffee shops sont autorisés à vendre 100 kg d'une provenance fléchée mais en vendent en fait 2 tonnes : 100 kg de la provenance fléchée et, sous le manteau, 1,9 tonne de provenances diverses !

Aux Pays-Bas, 75 à 80 % des gens qui viennent se fournir dans les coffee shops ne sont pas hollandais. Cela a généré des trafics énormes. L'Etat en récolte certes les fruits, les gens dépensant de l'argent par ailleurs, mais on ne sait plus comment se défaire de ces trafics. Les coffee shops sont fermés les uns après les autres et l'on assiste à des troubles associés colossaux, avec des plaintes du voisinage incessantes.

On va créer selon moi un problème plus compliqué que celui d'origine. Si, demain, la cocaïne connaît le même engouement, va-t-on nous expliquer qu'il faut la dépénaliser et la légaliser ? On va reculer le problème sans avoir un effet réel sur les organisations criminelles. Or, ce sont elles que l'on veut viser, non l'usager. Certes, l'usage reste répréhensible mais l'usager est peu poursuivi pénalement : il est surtout encadré. Quand il est poursuivi pénalement, c'est pour mieux l'inciter à décrocher, non pour lui infliger réellement une peine.

Les législateurs que vous êtes ont pour l'instant souhaité ne pas modifier le droit, les praticiens et la jurisprudence ayant adapté leurs réponses : on ne matraque pas l'usager comme un délinquant ordinaire, on essaye de l'inciter à suivre des canaux de santé publique dans son propre intérêt. C'est fort utile pour l'inciter à décrocher.

Il est important de conserver des infractions qui permettent de toucher les organisations criminelles ; si vous les supprimez, vous privez les services d'enquête d'un moyen d'accès à ces organisations. Il s'agit d'infractions occultes, difficiles à mettre en lumière. La situation peut être très calme dans un quartier alors que celui-ci est aux mains d'une organisation de trafiquants ! Un intérêt de l'incrimination est de contraindre l'usager à nous parler, avant de l'envoyer chez le médecin ou l'assistante sociale.

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