Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de François Thierry

Réunion du 26 janvier 2011 à 16h15
Mission d'information assemblée nationale-sénat sur les toxicomanies

François Thierry :

- Il est vrai qu'en matière de criminalité, Internet va être un des gros enjeux des années à venir.

Pour ce qui concerne les stupéfiants, Internet propose non seulement des graines à la vente mais aussi la méthode pour planter et récolter, ainsi que le matériel. Plus de 400 sites sont accessibles en France. Internet propose également de la vente de produits nouveaux comme le « spice », cannabis de synthèse fabriqué sous forme de spray dont on peut imbiber n'importe quel support à fumer.

Ce produit est interdit mais la molécule, Delta 09, est extrêmement puissante. On manque de recul pour évaluer ses incidences sur la santé publique mais un produit plus fort que le cannabis ne devrait pas être bon pour la santé. De tels produits -méphédrone, kétamine, spice- sont disponibles sur Internet…

Je n'ai pas de solution en matière de contrôle d'Internet : nous sommes pourtant nombreux à être concernés. Nous agissons avec Internet comme pour tous les autres moyens de transport du produit. Nous faisons de la veille et nous allons en faire davantage. Nous visitons ces sites, faisons de l'infiltration, comme pour les autres affaires.

Nous réalisons aussi des livraisons surveillées. Leur nombre a plus que doublé en un an. Ce mode d'action auquel nous croyons beaucoup consiste à laisser passer le produit pour interpeller son destinataire et éventuellement son fournisseur. Nous essayons de ne pas couper un chaînon du transport pour voir où va le produit et qui est derrière, en accord avec les magistrats. Tout cela est très rôdé, même en Europe.

C'est plus difficile avec certains pays, plus concernés que d'autres : appeler les Pays-Bas pour les informer que nous réalisons une livraison surveillée de 800 g de spice ne les intéresse pas vraiment : ils ont 2.000 demandes par semaine ! Nous essayons toutefois de motiver nos correspondants et de privilégier ces modes d'action classiques qui donnent de très bons résultats.

On ne fera pas de miracle avec Internet dans le domaine des stupéfiants. Le problème est ici identique à celui que posent la pédopornographie, le terrorisme, les financements occultes, etc. Internet sert à tout cela, comme il sert à plein de choses.

Pourquoi n'existe-t-il pas un discours plus vigoureux à propos des dangers de la cocaïne ? Les usagers qui ont une vie sociale développée, des relations familiales normales, qui font usage de cocaïne à titre ponctuel ou régulier, soit pour travailler mieux soit dans le cadre de fêtes et qui m'expliquent qu'ils hésitent à absorber un yaourt périmé depuis une journée ou deux me font toujours sourire : il y a en effet dans la cocaïne au minimum seize produits chimiques différents, voire plus, sans compter les coupages. Les feuilles de cocaïne trempent d'abord dans un bain de kérosène afin de les transformer en pâte que l'on fait réagir avec de l'acide sulfurique, puis chlorhydrique. C'est cette substance que l'on s'introduit dans le nez, alors qu'on hésite par ailleurs à manger un yaourt périmé ou que l'on recherche du bio sous prétexte que c'est meilleur !

La cocaïne souffre encore d'un important déficit d'information des consommateurs. C'est un produit encore à la mode qui a été fort bien lancé commercialement par ceux qui en vendent. Il jouit encore d'une certaine faveur dans la "jet set" ou dans une certaine classe sociale et ce ne sont pas les confessions publiques d'animateurs de la télévision qui y changeront quelque chose…

Une alerte est effectivement nécessaire en matière de santé publique mais ce n'est pas à moi de la lancer, certains s'en occupent d'ailleurs très bien. On sait qu'il existe un chiffre noir des décès par overdose de cocaïne et que certaines personnes développent des troubles mentaux sévères mais aussi bien d'autres pathologies. Nous sommes persuadés qu'un certain nombre d'infarctus, de ruptures d'anévrisme, etc., sont dus à la consommation de ce produit sans ce soit détecté. Il reste donc de gros progrès à faire dans ce domaine.

Pour ce qui est de l'héroïne, les deux ans de stock concernent le produit tel qu'il arrive en Europe, avant la plus grosse partie des coupages. L'héroïne est fréquemment coupée avec du plâtre, de la farine, de la colle, du sucre, du talc, de la brique et avec énormément d'anesthésiants vétérinaires qui renforcent son effet. L'usager a l'impression que le produit est bon parce qu'il a un effet puissant ; en réalité, c'est surtout l'anesthésiant vétérinaire ajouté qui produit l'effet.

Concernant la méthadone et le Subutex, peu de cas de trafics sont recensés. On sait qu'il existe un détournement -depuis le vol d'ordonnance jusqu'à la revente dans la rue- et de la contrefaçon mais il n'y a pas de dossier d'envergure, en France. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en aura pas.

Les cas ponctuels sont en général gérés par les services territorialement compétents. Pour le moment, on n'a pas perçu l'émergeante d'un phénomène préoccupant, même si la Suède nous alertés plusieurs fois à propos de Subutex venant de France vendu en fraude dans ce pays. On a trouvé la source et déféré l'auteur mais il ne s'agissait pas de grosses quantités.

Concernant les avoirs criminels et la cohésion européenne dans ce domaine, tout le monde a très bien compris l'intérêt que cela pouvait représenter en période de budget contraint. Outre la recherche d'efficacité, nous avons aussi la volonté d'essayer de coûter le moins cher possible à l'Etat. C'est pourquoi nous tentons de récupérer le plus d'argent possible.

Cela fait l'objet d'un atelier européen géré par Europol qui pousse les pays en retard à adopter des législations permettant le versement des avoirs criminels dans le budget des Etats. La Grande-Bretagne est extrêmement motrice sur le sujet, la France également. Des progrès restent à accomplir mais nous avons largement compensé notre retard. Nous croyons beaucoup aux perspectives d'évolution dans ce domaine. J'ai évoqué le Maroc ; nous avons également d'autres pistes avec l'Afrique ou la Turquie. Ce n'est qu'un début mais on arrive à remonter la trace de certains patrimoines alors qu'auparavant, on n'osait même pas poser la question ! Cela va donc dans le bon sens.

Quel est le rapport entre ce qui est saisi et ce qui passe ? Nous saisissons de manière certaine entre un cinquième et un quart de ce qui entre. Cela varie selon les produits, le moment et la typologie du trafic sur lequel on travaille. Un trafiquant, pour commercialiser un kilo, doit envoyer 1,5 à 2 kilos, voire plus. Les saisies ont donc d'un impact réel sur le trafic.

Elles font partie des préoccupations majeures des trafiquants, qui sont obligés de changer leurs routes et d'adopter des stratégies plus onéreuses. C'est ainsi que la cocaïne voyage de moins en moins sous sa forme finie. Traditionnellement, la cocaïne peut voyager en pain d'un kilo ; aujourd'hui, elle est déstructurée et mélangée à d'autres supports dans un laboratoire du pays de départ. Il s'agit de lui donner une forme différente pour la rendre moins détectable et plus facilement dissimulable et stockable à l'arrivée. Ceci nécessite, outre le laboratoire du pays de départ, d'en avoir un dans le pays d'arrivée pour retransformer la cocaïne et la rendre à nouveau compatible avec une commercialisation directe.

Ces deux laboratoires sont pour les trafiquants des outils extrêmement compliqués à mettre en place : il leur faut des gens compétents, ils risquent de se faire escroquer par leurs associés qui sont, avec nous, leur principal problème. Nous y voyons une forme de succès, même si cela n'a pas tari le trafic.

Quant aux faux médicaments, nous ne sommes pas saisis de ce sujet.

Concernant les quartiers, la collaboration entre services de renseignements est réelle. Elle pourrait s'accroître et s'améliorer, la marge de progression demeurant importante mais nous leur transmettons tout ce que nous identifions. Nous avons moins de retours de leur part, ce qui est normal car nous interpellons plus de 170.000 personnes par an. Notre volant d'activités est forcément supérieur à celui des services qui enquêtent sur les mouvements salafistes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion